L’affaire de la fabrication des masques de protection et de la fuite du cahier de charges spécifique ont fait couler beaucoup d’encre. L’Instance générale du contrôle des dépenses publiques a rendu publics les résultats de son enquête préliminaire. Rappelons, au passage, que le ministre de l’Industrie et des PME, Salah Ben Youssef, avait choisi de charger le député d’Al Badil Ettounsi, propriétaire d’une usine de textile, de fabriquer 2 millions de bavettes, ce qui est considéré comme un conflit d’intérêts et une violation de l’article 25 du règlement intérieur de l’ARP (Assemblée des Représentants du Peuple).
L’enquête de l’Instance a été effectuée du 17 au 23 avril 2020 auprès de la FTTH (Fédération Tunisienne du Textile et de l’Habillement, de la Pharmacie Centrale de Tunisie (PCT), du ministère de l’Industrie et des PME, du ministère de la Santé, du ministère du Commerce et du Centre Technique du Textile.
Violation des principes de la bonne gouvernance
Tout d’abord, les inspecteurs ont constaté un nombre important de commissions mixtes et l’absence d’indications relatives à la répartition des responsabilités. « Plusieurs commissions ont été constituées, sans définir de prérogatives, de spécialités et de structures. Il n’y a pas eu de procès-verbaux non plus à l’issue des réunions, ce qui va à l’encontre des principes de la bonne gouvernance », lit-on dans le rapport préliminaire de l’Instance.
Les inspecteurs ont aussi signalé que la PCT n’a pas été directement chargée de faire ce qu’elle devait faire, sachant que ce point a été défini suite à un accord de principe adopté lors des premières réunions des membres de la commission nationale de lutte contre le nouveau coronavirus (SARS-CoV-2 ou COVID-19). La PCT était alors considérée comme l’acheteur public, ce qui empêche le ministère de l’Industrie de prendre certaines décisions qui ne relèvent pas de son champ d’action : négociations au sujet du prix des bavettes, contact direct avec les professionnel du textile pour se procurer des bavettes, etc.
D’un autre côté, les inspecteurs ont mis en exergue le fait que les professionnels et les représentants du métier du textile ont, certes, fait partie des commissions mixtes. Cependant, ils n’ont pas directement contribué en vue de définir les spécificités techniques des produits, et de fixer les prix. C’est ce point qui conduit, selon les inspecteurs, aux soupçons de conflits d’intérêt.
Dépassements en série du ministre de l’Industrie et des PME
Autre point souligné par les inspecteurs : les spécificités des bavettes, mentionnées dans le cahier de charges, ne sont pas tout à fait conformes aux recommandations de la certification ANFOR – éco-label européen des produits textiles -. Toujours au sujet du cahier de charges, seul un document technique a été élaboré alors qu’il fallait aussi mettre en place un cahier de charges administratif selon les enquêteurs. Un tel document aurait pu définir les manières de prendre part à la commande publique.
Par ailleurs, les inspecteurs considèrent que le ministère du Commerce est le seul organe de l’État habilité à fixer les prix des bavettes par le biais d’un arrêté ministériel. Chose qui n’a pas été faite selon eux puisque les prix ont été fixés dans les réunions des commissions mixtes. D’autres dépassements ont été constatés par les inspecteurs :
- La PCT n’a pas fait les préparatifs nécessaires en vue de contrôler les achats des bavettes
- Le ministre de l’Industrie a conclu, verbalement, un accord avec un fournisseur – ndlr : le député d’Al Badil Ettounsi – en vue de produire 2 millions de bavettes. Ceci va à l’encontre du principe de la transparence, de la concurrence et de l’égalité entre les acteurs économiques dans le cadre des commandes publiques
- L’affaire est susceptible d’être un conflit d’intérêts, et ce conformément aux dispositions de l’article 20 de la loi numéro 40 de l’année 2018, relative à la déclaration du patrimoine et aux conflits d’intérêts, ainsi qu’aux dispositions de l’article 25 du règlement intérieur de l’ARP
- Certaines informations ont fuité lors de la communication téléphonique entre le ministre de l’Industrie et l’industriel en question – le député d’Al Badil Ettounsi -. Ces informations ont permis à ce dernier de connaître les spécificités des bavettes à confectionner, ce qui lui a permis d’acheter une grande quantité de tissu. Par la suite, il a contacté plusieurs petits industriels en vue de fabriquer les 2 millions de bavettes
Suite à ces constats, plusieurs recommandations ont été formulées par les inspecteurs de l’Instance générale du contrôle des dépenses publiques :
- La PCT doit acheter les bavettes suite à la réception d’une correspondance envoyée par le ministre de la Santé
- La PCT doit préparer un document définissant les principes de la concurrence pour les bavettes
- La PCT est appelée à appliquer l’article 6 de la loi numéro 105 de 1990, afin de garantir la rapidité et la transparence des opérations. Une commission interne, formée par le Conseil d’Administration, doit superviser la satisfaction des demandes relatives aux bavettes et prendre les décisions adéquates
- Il faut déterminer, rapidement, les coûts des analyses techniques des bavettes. Chose qui doit être faite par le Centre Technique du Textile
- Une commission mixte et restreinte doit suivre les approvisionnements de la PCT en bavettes (au sein du ministère de la Santé ou de celui de l’Industrie et des PME). Le processus d’achat des bavettes par la PCT doit être accessible publiquement