Se noyer dans un verre… de vin

 

Alors que la Tunisie est noyée sous la pluie que notre infrastructure n’a pu contenir et est submergée par les crises qu’on n’arrive toujours pas à gérer, un débat s’ouvrit trois nuits de suite concernant la consommation de vin qui serait permise dans l’islam selon l’islamologue Mohamed Talbi.

Dans les pays à tradition démocratique les débats s’ouvrent avant l’instauration de lois qui lui sont relatives ou suite à un malaise social ou encore quand l’actualité l’impose.  En Tunisie, les lois qu’on attend aujourd’hui de voir adopter sont relatives au terrorisme, les débats qui s’ouvrent dans les milieux institutionnels, juridiques et élitiques concernant des sujets sociaux sont la révision des lois relatives à la consommation des drogues et celui de la parité homme femme dans l’héritage. Ce sont les débats qu’il fallait ouvrir, car il est essentiel que les modifications de lois se rapportant à ce genre de sujets soient accompagnées par le changement des mentalités et par l’acceptation de l’opinion publique afin d’éviter une frustration socio-politique.

Le malaise aujourd’hui ne porte nullement sur le vin mais sur les crises entre syndicats et gouvernement allant jusqu’au risque d’année blanche. L’actualité est que plusieurs villes se noient et que les activités quotidiennes ont été carrément paralysées dans certaines régions à cause d’une infrastructure défaillante. Mais on préfère mettre de l’eau dans « le vin des Tunisiens » afin d’y diluer leurs vrais soucis et modérer l’impact de ces derniers.

Crise économique, effondrement du dinar, risque terroriste, attaques orchestrées à l’encontre des agents de sécurité s’intensifiant, éclatement du parti majoritaire et modification de la scène politique… au lieu de faire face à l’océan de crises car on risque d’y perdre bientôt pied, on préfère se noyer dans un verre d’eau ou plutôt de vin…

Outre la question elle-même se rapportant à la consommation de l’alcool, on se demande si cela servait à quelque chose ou même si le sujet ait été dicté par un contexte quelconque ? Pendant trois jours, le même invité a fait le tour des plateaux, sans même qu’on le laisse vraiment s’exprimer…

Il s’agissait d’un sujet hors-sujet et qui de plus a été marginalisé… Cela nous ramène à la question même du débat en Tunisie, à savoir comment réagir avec les regards différents ou avec les idées ouvrant une brèche dans les acquis ?

Quand la question du sacré a été abordée lors de l’élaboration de la constitution, nombreux Tunisiens se sont opposés au concept. A la diffusion du débat, nombreux ont été choqués par le fait que Mohamed Talbi ait osé fournir une explication différente des versets coraniques que celle proposée par les Oulémas. Il ne s’agit point d’adopter ou pas sa façon de voir les choses, ni même de trancher de sa véracité. Il s’agissait simplement d’assumer la liberté de pensée qu’on a exigée et d’accepter que quelqu’un puisse remettre certaines choses en question, même si l’on n’adoptait pas le même résultat.

De quoi les Tunisiens avaient-ils peur dans cette façon de juger la question ? Est-ce que l’alcool est un produit consommé par une minorité et qu’on craignait suite à la fatwa de Mohamed Talbi que les jeunes et moins jeunes se mettent à le consommer ? Ou a-t-on eu peur du principe même de se poser des questions ? Pourtant les plus grands philosophes de la civilisation arabo-musumane ont surtout brillé dans les cours des califes et des sultans, censés protéger la foi de la masse, et concernant le vin spécialement, c’est dans les mêmes cours que les poètes le chantaient… Ce sont plutôt les fanatiques qui ont porté atteinte à la vie et à l’intégrité physique, ainsi qu’aux œuvres des savants. Aujourd’hui, alors que le pouvoir s’ouvre en Tunisie sur la liberté et la démocratie, c’est la masse, la foule, qui laisse échapper le fanatisme en elle, en appelant à faire taire le professeur Talbi. Le contexte ayant changé, on passe des assassinats physiques aux assassinats symboliques.

Finalement, si le débat aura servi à quelque chose, c’était à une unique constatation, on continue à être partisans de la pensée unique, incapable d’accepter le débat quand cela touche les acquis…

 

 

 

 

 

Related posts

Le danger et la désinvolture 

Changer de paradigmes

El Amra et Jebeniana