Il fut un temps où tout jeune homme en âge de se marier en appelait à sa chère maman, qui commandait les services d’une « Khatba », une marieuse qui connaît toutes les jeunes filles de la ville et qui tentait de satisfaire les deux partis.
Aujourd’hui, les sites de rencontres sur Internet ont remplacé ces dames pour le meilleur et souvent pour le pire. Alors, ces sites sont-ils compatibles avec nos traditions ? Une question qui peut sembler incongrue tant les Tunisiens et les Tunisiennes sont férus de sites de rencontres, mais que l’on a posée à de nombreuses personnes, hommes et femmes, jeunes et moins jeunes…
Chacun a présenté ses arguments et les raisons qui le poussent à aller chercher l’âme sœur sur internet. Voici leurs témoignages, francs, malicieux et parfois inattendus.
Il est donc loin le temps de la « khatba », cette vieille dame qui, selon un historien, « connaissait toutes les familles des médinas de la Tunisie et qui tentait, moyennant finances, d’unir des couples qui ne se connaissent pas, puisque la mixité n’existait pas et que les jeunes filles étaient enfermées chez elles… »
Il ajoute : « A l’époque, on disait qu’une femme sort deux fois dans sa vie : la première pour aller chez son mari et la deuxième pour aller au cimetière ! Un dicton qui étonne les jeunes d’aujourd’hui, mais qui s’appliquait encore il y a un demi-siècle à peine… »
Puis, le temps est venu des petites annonces matrimoniales ou de rencontres, publiées sur les pages des journaux. Il fallait écrire une longue lettre explicative, avant d’avoir droit à une éventuelle réponse et à une hypothétique rencontre. Aujourd’hui, ils sont des milliers à rejoindre chaque jour la grande foule sentimentale d’Internet, à la recherche de quelqu’un avec qui partager sa vie, ou tout au moins, un bout de chemin.
Les pièges de l’anonymat
Aujourd’hui, toute personne peut s’inscrire sur un forum, repérer celui ou celle qui l’intéresse et cliquer sur son profil pour dialoguer en tête-à-tête. C’est facile, rapide et efficace ! Une jeune fille encore célibataire à 33 ans et qui est à la recherche d’un mari témoigne : « Dès que j’arrive sur un forum, je repère les personnes qui sont susceptibles de m’intéresser et on discute… En général, j’arrive à décoder ce qu’il y a derrière les mots et ce n’est pas toujours très beau ! »
Selon cette demoiselle, « il y a les dragueurs qui ne sont pas intéressés par une relation sérieuse, mais qui recherchent plutôt des relations sexuelles et une liaison à court terme. Au bout de quelques minutes, ils vous interrogent sur votre physique et demandent des photos. Dans ces cas-là, je laisse tomber car les pièges sont nombreux… »
Il faut cependant être prudent et « le premier rendez-vous doit toujours avoir lieu dans un endroit public : café, salon de thé, restaurant ou même jardin public… On ne sait jamais sur qui on va tomber », précise une enseignante de quarante ans, divorcée et qui cherche à refaire sa vie.
Elle rapporte une anecdote qui en dit long sur les mentalités de certains dragueurs invétérés : « Il y a quelques mois, j’ai discuté avec un homme passionné de littérature française, comme moi. On a discuté sur le forum jusqu’à trois heures du matin et le lendemain, on s’est retrouvé sur une terrasse de café pour faire plus ample connaissance. Et là, il a montré un visage de goujat puisqu’il m’a montré une clef et m’a raconté toutes les difficultés qu’il a eues pour se faire prêter l’appartement d’un ami pour deux heures ! Il me prenait pour une prostituée… Je l’ai traité de tous les noms et je suis partie. Et cette histoire m’a déprimée durant plusieurs jours».
« On décroche de la vraie vie »
Selon un bref sondage effectué auprès des Tunisiens de tous âges, ils passent de longues heures à discuter sur les forums et les réseaux sociaux. Des heures prises sur leur travail, sur leur sommeil et sur leur santé. Mais le plus grave, c’est qu’ils décrochent souvent de la « vraie vie », de la réalité. L’histoire la plus incroyable est celle de cette famille où chacun est enfermé dans sa chambre, en train de discuter et la maman doit inviter toute sa famille à se rassembler pour les repas par des messages sur Facebook !
Côté hommes, la situation semble plus confortable. Samir, un cadre de banque de 35 ans, alterne travail et chat sur Internet, notamment sur Facebook. Pour lui, « c’est la plus belle invention depuis que l’humanité est sur cette terre. Auparavant, il fallait sortir, aller en boîte, veiller tard pour éventuellement faire une rencontre intéressante. Mais moi, je n’ai pas beaucoup de temps libre… Avec Facebook, c’est facile et rapide et ça ne coûte rien ». Normal de parler de coût, pour un banquier !
Selon un psychologue, « les hommes sont directs dans leur demande, alors que les femmes sont plus idéalistes dans leur quête d’amour. C’est donc décevant, voire blessant lorsque, pendant plusieurs semaines, un homme vous laisse croire qu’il s’intéresse à vous alors qu’en réalité, il vous considère comme un objet de désir. »
Mais les belles histoires existent, comme cet homme mûr, divorcé et qui cherchait « quelqu’un de bien ». Pendant des mois, il a discuté avec une jeune femme sur Internet : « Nous avons pris le temps de nous connaître, de fonder une relation profonde et sincère. Elle connaissait mes défauts, mes goûts, ma psychologie et moi la sienne. On avait en outre échangé des dizaines de photos et de vidéos et notre rencontre a été merveilleuse. » Depuis, ils parlent de se marier et d’avoir des enfants…
Pour notre psychologue, « le problème qui se pose souvent lors de la rencontre réelle, c’est qu’elle met face à face deux êtres qui ont des affinités théoriques, mais qui, dans le quotidien, peuvent avoir des façons de vivre différentes…Il ne faut donc pas confondre rencontre et relation durable, mais plutôt confronter les deux réalités afin d’actualiser et de valider les informations échangées dans le virtuel, avant la rencontre. »
Il arrive aussi qu’une rencontre débouche sur une amitié profonde, alors que physiquement, il n’y a pas d’attirance. C’est le cas de cette dame, cadre dans une société privée, qui a pris rendez-vous avec un homme qu’elle a beaucoup apprécié lors de leurs longues discussions sur le Net : «Mais lorsque je l’ai rencontré, j’avais envie de m’enfuir, car ses manières étaient un peu maladroites. Il était à l’opposé de ce que j’aime ! Mais quand on s’est assis autour d’un chocolat chaud et qu’il a commencé à parler, j’ai été séduite par sa culture et son sens de l’humour et on est devenu très bons amis… »
Nous avons même rencontré un couple qui s’est marié après avoir longuement discuté sur Facebook. La jeune épouse a évoqué ses souvenirs d’il y a trois ans : « Tout était clair dès le départ, ma situation familiale, nos loisirs favoris, nos souhaits dans la vie et surtout nos caractères… Nous nous sommes mariés au bout de six mois, pour le meilleur et pour le pire et depuis ça va très bien… » Et le mari de préciser : « il faut dire qu’on se ressemble beaucoup et qu’on appartient à la même catégorie sociale et que nous avons les mêmes convictions, les mêmes ambitions… »
Précisons enfin qu’il y a un terme qui est revenu dans toutes les bouches féminines lors de nos discussions : le mot romantisme qui semble totalement absent dans les discussions. On a beau utiliser les technologies les plus performantes, les sentiments humains ne semblent pas changer…
Yasser Maârouf