Secteur bancaire: Que faire des banques publiques ?

 

La Révolution a mis en avant certaines défaillances et a forcé les économistes à repenser la gestion macroéconomique. Elle a surtout révélé de nombreuses faiblesses structurelles dont notamment l’investissement privé. Ce dernier fait face à des difficultés d’accès aux financements bancaires. Il va sans dire que le secteur bancaire, en tant que principale source de financement de l’économie, nécessite des réformes cruciales et urgentes afin de mobiliser davantage l’épargne et de mieux affecter les  fonds à l’investissement. De toute façon, les investisseurs ont besoin d’un dispositif bancaire développé avec des conditions d’accès au crédit plus souples.

Les banques publiques constituent depuis longtemps le maillon faible du système bancaire tunisien et actuellement toutes les issues sont possibles : recapitalisation, fusion, privatisation etc. Les autorités n’ont pas encore une vision claire sur le devenir de ces banques. D’un côté leur situation est devenue trop critique remettant en cause leur survie et, d’un autre côté,  l’Etat ne peut pas laisser tomber ces banques. D’où la question que faire ? Mais avant de répondre à cette question, il faut se demander comment les banques publiques sont arrivées à cette situation et pourquoi ?

Il faut reconnaître que les banques publiques souffrent de nombreux problèmes de gouvernance et de gestion. Elles sont gérées comme une administration publique et non pas comme des banques. D’ailleurs, des banques privées avec une taille plus faible s’en sortent beaucoup mieux. De plus ces institutions se sont vues confrontées ces dernières années à des difficultés qui s’expliquent en partie par les prêts importants accordés au secteur du tourisme, ayant subi à la fois les effets de l’instabilité politique intérieure et du ralentissement économique. Actuellement, les trois banques publiques représentent un peu plus que le tiers des actifs du secteur et affichent le plus fort taux de créances douteuses, soit environ 30%, contre 9% pour le secteur privé. Les banques publiques se caractérisent également par un taux de provisionnement très faible (53% contre 62% pour les banques privées et une moyenne internationale se situant entre 70 et 75%). Le sureffectif pléthorique de plus de 6000 employés dont une bonne partie relève du personnel non qualifié a occasionné un ratio de frais du personnel très élevé estimé à 70% des charges d’exploitation.

Avant de se prononcer sur l’avenir de ces banques, il est plus judicieux de renforcer la position de ces trois banques via l’assainissement de leur bilan et l’atténuation de leur forte dépendance envers les injections de liquidité de la banque centrale. Parce qu’au final, il ne sert à rien de recapitaliser des banques en perfusion et en difficultés permanentes. Autrement les capitaux injectés seront gaspillés et les mêmes difficultés réapparaîtront au bout de quelques années. Et on demandera encore une fois au contribuable tunisien de consentir de nouveaux efforts.

Une fois que les trois banques aient fait l’objet d’un audit détaillé, plusieurs scénarios sont envisageables :

 

Le premier scénario, largement discuté est celui de la fusion des trois principales banques publiques pour créer un pôle bancaire public. Celui-ci pourrait constituer une réponse adéquate dans un pays où le tissu bancaire est atomisé et sous-capitalisé. Elle permet d’atteindre une taille critique qui serait en mesure d’innover pour répondre aux besoins des entreprises. Elle favoriserait aussi la diversification sectorielle et permettrait d’offrir plusieurs sortes de produits et de prestations. La taille critique permet à ce holding de rayonner sur le marché local et de jouer également un rôle fondamental sur le marché international.

Cependant, la fusion est de l’avis de plusieurs spécialistes loin d’être une panacée envisageable à court terme faute d’une recapitalisation et surtout d’un assainissement profond aussi bien sur le plan financier que sur le plan institutionnel et social. Autrement dit, la fusion, requiert l’assainissement en tant que passage obligé (licenciement d’une partie de l’effectif actuel) afin de répondre aux standards d’une taille critique. La question qui se pose est ce qu’on peut envisager une telle opération impopulaire et douloureuse dans un contexte de tensions sociales.

 

Le deuxième scénario serait relatif à une éventuelle privatisation des banques publiques. Cette opération consiste à céder une partie des parts de l’Etat à des  actionnaires stratégiques ou encore les transformer en Banque de Développement. La privatisation permet selon l’avis de plusieurs experts d’atteindre également  une taille critique et de mieux gérer les risques. Ceci est d’autant plus envisageable que la Tunisie n’a pas encore un champion national ni régional à l’instar d’ETTIJARI Banque au Maroc, ce qui l’empêche de financer de grands projets présentant des potentiels énormes dans les pays voisins.

Toutefois, la privatisation apparaît comme une opération complexe et difficile de part la réglementation en vigueur et de la constitution du capital social. Leur cession au profit des étrangers serait beaucoup plus facile mais elle pourrait ne pas être acceptée par la société civile qui garde un mauvais souvenir des privatisations passées.

La privatisation ne manquerait pas également  de compliquer le financement des PME et d’augmenter les coûts dans la mesure où les nouvelles banques vont se trouver obligées d’appliquer les standards internationaux.

Mais avant de présenter le troisième scénario qu’on peut éventuellement adopter, il importe de rappeler que :

– les banques publiques  assument en quelque sorte une relative responsabilité. En effet, si les indicateurs sont au rouge c’est parce qu’elles ont été fascinées par le modèle de la Banque universelle et cherché la diversification tout azimut en voulant devenir des supermarchés de la finance. Elles n’ont pas pu se prémunir contre les financements risqués dans certaines activités spéculatives (dont notamment l’immobilier, le foncier, le tourisme etc…) et refusé les demandes de certaines entreprises publiques en difficulté sous l’effet des interventions musclées d’anciens responsables proches de l’ancien pouvoir.

– Statuer sur le devenir des banques publiques que ce soit par leur fusion ou par la privatisation relève des prérogatives de l’Etat qui constitue le principal actionnaire. A ce titre, l’Etat devrait agir en tenant compte en premier lieu de l’intérêt national et des priorités économiques sans oublier bien entendu l’intérêt des autres parties concernées (les actionnaires privés et partenaires sociaux).

– Toute  solution envisageable requiert en premier lieu l’instauration des réformes pour les restructurer sur des bases solides et saines et leur donner un nouvel élan dans l’activité de financement des PME et plus d’efficacité dans la gestion.

 

Le troisième scénario, compte tenu des limites évoquées, le scénario qui semble le plus approprié serait de transformer les banques publiques en Banques de Développement régional en s’inspirant notamment de l’expérience française en la matière. En effet, et pour répondre aux défis de la Révolution à savoir la réduction des disparités régionales et l’amélioration des revenus des citoyens, la solution consisterait à restructurer ces banques en mégapoles bancaires publics par région (Sud, Nord-Ouest, Centre-Ouest) et les recapitaliser pour financer essentiellement les PME relevant des régions de l’intérieur.

Une telle proposition requiert les préalables suivants :

Le financement devrait tenir compte de la rentabilité financière et des objectifs en termes d’exportation, de création d’emplois et de croissance.

Il faut s’assurer que les nouvelles Banques de Développement régional puissent remplir les nouvelles missions qui leur sont dévolues en s’assurant de la bonne gouvernance et de la bonne gestion tout en mettant à leur disposition des Ressources humaines compétentes et bien averties.

Les Banques de Développement Régional devraient être en mesure d’accompagner les entreprises implantées dans les régions de l’intérieur pour les assister sur le plan financier et sur le plan technique.

Il importe de produire et suivre des indicateurs qui permettent d’apprécier, non seulement à un niveau national mais aussi au niveau régional, les entreprises financées par les banques de développement moyennant la réalisation des enquêtes périodiques sur l’état de santé de ces entreprises.

Mohamed Ben Naceur

 

 

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