Selma Elloumi Rekik, ministre du Tourisme: « Nous avons perdu un million de nuitées »

Les mesures décidées par le Gouvernement pour porter secours aux professionnels du tourisme suite à l’attentat terroriste de Sousse ont soulevé une polémique et ont été diversement appréciées par l’opinion publique.
Afin d’éclairer nos lecteurs nous avons donné la parole à Mme Selma Elloumi Rekik, ministre du Tourisme
Pouvez-vous dresser un état des lieux de notre tourisme après l’attentat terroriste de Sousse ?
Lorsque je suis arrivée au ministère du Tourisme, la situation était déjà difficile : tous les chiffres étaient en baisse, il y avait une grande instabilité avec des freins à tous les niveaux, outre les problèmes structurels et la révision des produits touristiques. On a ressenti cependant une légère reprise, c’est à ce moment là, que se produit l’attentat contre Charlie Hebdo qui a provoqué un ralentissement des réservations.
L’attentat du musée du Bardo qui a suivi, a engendré ensuite une vague d’annulations.
Nous avons entamé alors un grand travail pour faire oublier l’attentat et avons constaté même une reprise sur les marchés français et allemand et des indices positifs sur d’autres marchés.
L’attentat de Sousse a provoqué non seulement l’arrêt brutal des réservations, mais aussi l’annulation des réservations pour un million de nuitées.
Nos marchés traditionnels sont réticents, l’image de notre pays inspire des craintes : les touristes ont besoin de sécurité. Nous travaillons en étroite collaboration avec l’Allemagne, la Grande Bretagne et la France qui n’interdisent pas à leurs ressortissants de visiter la Tunisie, mais demandent la mise en place rapide d’un système de sécurité efficace, sûr et concret.
C’est pourquoi, en coopération avec le Chef du gouvernement et le ministre de l’Intérieur, il y a actuellement une forte concentration des forces de sécurité sur les sites et les circuits touristiques.
Nous sommes en accord total avec les autorités des pays émetteurs de touristes qui demandent une transparence totale. La mise en place d’un système de sécurité avec plus de 1000 personnes est de nature à rassurer les touristes et à les faire revenir en Tunisie.

Quel est votre plan d’action dans l’immédiat ?
Nous devons changer notre stratégie de communication pour l’adapter aux circonstances et aux spécificités de chaque marché émetteur. Nous avons tenu à effectuer des révisions dans ce sens avec la société en charge de la communication. Nous sommes en contact permanent avec les tour-operators pour les rassurer et avons décidé de poursuivre jusqu’à la fin de l’année notre soutien financier pour le transport aérien afin de maintenir les flux touristiques vers la Tunisie.
Pour le marché russe qui est prometteur, le directeur général de l’ONTT s’est rendu sur place avec un directeur de la BCT pour étudier les possibilités de développement en trouvant une solution pour l’utilisation du rouble.
Nous comptons beaucoup sur le marché algérien et le marché intérieur pour atténuer la défection des marchés européens traditionnels.
Pour le marché algérien, nous avons engagé une campagne de communication et avons demandé aux autorités en charge du transport aérien d’intensifier les vols entre les deux pays.
En attendant, des constructions en dur aux passages frontaliers, des aires de repos provisoires seront aménagées pour améliorer l’accueil.
La FTH est en train d’étudier la mise en place de tarifs bonifiés pour les séjours dans les hôtels aux Algériens, car jusqu’ici 20% seulement fréquentaient les hôtels mais aussi pour les citoyens tunisiens et les TRE.
Des contacts ont été pris avec des chefs de grandes entreprises pour examiner la possibilité d’octroyer des facilités au personnel pour séjourner dans les hôtels.

Les mesures prises par le Gouvernement sont-elles nécessaires et suffisantes pour redresser la situation ?
Il s’agit de mesures exceptionnelles destinées au sauvetage du secteur afin de se préparer pour la prochaine saison. Nous devons éviter une catastrophe économique globale, car des hôtels qui n’ont pas de clients risquent de fermer et de licencier le personnel. Ils ne pourront ni payer le fisc ni la CNSS ni rembourser les banques.
Il faut absolument éviter la possibilité d’un cycle infernal d’effondrement du tourisme, en reportant les dettes bancaires et fiscales. C’est une bouffée d’oxygène pour toute l’économie du pays. Il y a également des mesures d’ordre social pour ne pas laisser en détresse le personnel qui risque d’être licencié. N’oublions pas que l’emploi direct et indirect portent sur 400.000 salariés.

Les mesures que vous avez annoncées manquent parfois de précision ?
Chaque ministère va arrêter de son côté les modalités d’application des mesures prises par le gouvernement.
Pour les crédits bancaires, il y aura une circulaire de la BCT dans ce sens. Pour la fiscalité, ce sera le ministère des Finances et pour la CNSS ce sera le ministère des Affaires sociales qui préciseront les détails.
Pour faire face aux problèmes structurels du tourisme, quelle est votre stratégie à long terme ?
Tout le secteur touristique a besoin d’être restructuré, car il ne répond plus aux impératifs de l’heure.
La restructuration doit toucher aussi bien les institutions étatiques que la profession. La réorganisation des structures étatiques doit se faire en fonction des objectifs : incitations aux investissements, développement de la formation professionnelle, révision de la classification des hôtels, introduction des normes de sécurité…
L’hôtellerie tunisienne a beaucoup souffert depuis plusieurs années et des solutions courageuses s’imposent pour redresser la situation.
Un tiers des hôtels sont en difficulté depuis plus de dix ans.
Le deuxième tiers souffre depuis 2011 et le troisième tiers risque de s’écouler s’il n’y a pas de mesures de sauvetage immédiates.

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