Par Hatem Bourial
Parmi les grands chantiers, ceux qui concernent l’Éducation nationale, la Santé publique et les Transports sont des priorités qui font l’objet d’approches et de contraintes différentes. État des lieux dans l’attente de réformes structurelles et ďune remise à niveau.
La réforme des grands services publics constitue l’un des grands chantiers à mettre en œuvre. Trop souvent, les termes de «délabrement», «dérive» ou insuffisance» reviennent à propos de services publics aussi essentiels que la Santé, le Transport ou l’Éducation. Des décennies de laisser-aller ont lourdement obéré ces départements qui furent les fleurons indiscutables de l’État tunisien. De nos jours, le discours récurrent sur la préservation des entreprises publiques et la volonté de les garder dans le giron de l’État induisent un second versant qui, lui, concerne les grands services publics qui ont tout autant besoin d’un audit global et d’une mise à niveau qui devrait optimiser leurs performances et leur efficacité.
Quelle stratégie pour les services publics ?
Dans les trois domaines essentiels que sont la Santé, l’Éducation et les Transports, il existe depuis longtemps, une cohabitation entre le secteur public et le secteur privé. Ainsi, le réseau sanitaire d’envergure déployé par l’État est juxtaposé à un autre réseau formé par les cliniques ou les laboratoires privés. De même, depuis l’Indépendance de la Tunisie, l’Éducation nationale compte sur le réseau des écoles publiques et celui des établissements privés que ce soit au niveau du scolaire ou de l’universitaire. Enfin, le transport public s’accommode depuis longtemps de l’existence d’un réseau exploité par les sociétés nationales et d’un autre qui relève de l’initiative privée.
Des cahiers de charges en théorie très stricts, encadrent toutes ces activités qui se sont multipliées pour les privés, lors de la mise en place du Plan d’ajustement structurel de la fin des années quatre-vingt. Plus d’une décennie après la Révolution tunisienne, la situation générale à ce niveau précis, mériterait d’être observée en profondeur et questionnée que ce soit en termes de gouvernance ou dans une perspective d’évaluation opérationnelle.
Considérant que les grands services publics ne devraient être ni cédés ni démantelés, les choix de gouvernement sont pour une continuité néanmoins difficile à maintenir que ce soit au niveau de la qualité ou à celui de la masse salariale. C’est d’ailleurs cette contrainte précise qui conditionne tout projet de réforme. Jusqu’où préconiser un État-providence et comment éviter les écueils du libéralisme à outrance ? Cette question délimite autant les marges d’action dont dispose la gouvernance que les impératifs éthiques qui s’imposent à l’action publique.
Cet ensemble de facteurs a une importance vitale pour le retour à la croissance et par ricochet un nouvel épanouissement du secteur public. Aujourd’hui, réformer signifie comptabiliser les acquis, choisir un cap opérationnel et enclencher un rebond salvateur. Cette démarche induit en son sein, une restauration progressive du prestige de l’État, malmené par une décennie de connivences et de désordre. Ce processus de reprise en main est en cours à plusieurs niveaux et devrait aboutir également à une réflexion en profondeur sur ces axes stratégiques du service public que sont la Santé, le Transport et l’Éducation.
Remettre à plat l’ensemble du système en regard des priorités
Dans ces trois domaines, les approches diffèrent et les actions des ministères de tutelle obéissent à des urgences et des calendriers différents. Si le statu quo prédomine en matière de transport, les projets d’investissement en infrastructure et en rénovation du parc de véhicules sont bel et bien enclenchés. De même, pour l’Éducation nationale, le choix stratégique semble être double avec d’une part, une remise à niveau du corps des enseignants et d’autre part, la création d’un Conseil supérieur de l’éducation nationale devant contribuer aux grandes orientations. Même chose pour le département de la Santé qui est traversé par deux problématiques : la situation des personnels et l’obsolescence de certains éléments du réseau sanitaire.
Une harmonisation de toutes ces stratégies ainsi que la définition active de grands projets (à l’image du futur hôpital régional de Kairouan ou des campus intelligents de demain) sont de nature à accélérer le processus de réforme et lui assigner un cap. Toutefois, il reste fondamental de remettre à plat l’ensemble du système et considérer les indicateurs chiffrés en regard des priorités qu’ils dessinent. De la sorte, au-delà des discours et des pétitions de principe, une action concertée pour la réforme pourra être engagée dans un esprit de continuité, de modernisation et de durabilité.
Un plan de relance pour la Santé publique
Le récent rapport Oxfam consacré à la Tunisie présente un panorama de la situation générale de la Santé publique dans notre conjoncture actuelle. Réalisé par une organisation internationale reconnue, ce rapport révèle que deux millions de Tunisiens ne disposent pas de couverture sociale et de ce fait, ne peuvent pas accéder au système de soins public. En filigrane de cette situation, les autres indicateurs posent également problème. De nos jours, il y a 1,3 médecin pour 1000 habitants, ce qui est en deçà des normes internationales (2,5 médecins pour 1000 habitants). Dans le même esprit, l’infrastructure présente quelques défaillances avec 19 lits d’hôpital pour 1000 habitants alors que la norme internationale en exige 30. De même, notre système de santé dispose de 0,5 scanner pour 100.000 habitants alors que la norme internationale exige le double.
Les grands équilibres vont d’ailleurs en ce sens puisque le budget du ministère de la Santé publique pointe à 6,5% du budget de l’État alors que l’Organisation mondiale de la Santé en préconise 15%. Dans le même esprit, la Tunisie consacre 3,7% de son PIB au système de santé alors que la norme de l’organisation onusienne est de 5% au minimum.
Tous ces indicateurs soulignent la tension qui existe dans le secteur de la Santé publique et la nécessité d’apporter des réformes d’envergure. La pénurie de médicaments, la grogne des personnels médicaux et l’émigration de plusieurs médecins assombrissent davantage le tableau et incitent à un audit de la situation générale qui souffre de beaucoup d’autres disparités allant de l’accès inégal à l’eau potable au recul des politiques de prévention en passant par la rareté de certaines spécialités. Est-il acceptable que certains gouvernorats ne disposent que d’un seul spécialiste en gynécologie ou en psychiatrie alors que la Constitution garantit le droit universel à la santé ?
Les chantiers exigeants de l’Éducation nationale et du Transport public
Les efforts dans tous les grands domaines du service public sont indéniables mais demeurent insuffisants car les besoins sont immenses. L’équation posée aux gouvernants est complexe dans la mesure où le passif est le fruit de plusieurs décennies de reculs successifs. Souvent, la proposition d’un Plan Marshall est suggérée par les experts qui envisagent une refonte pure et simple des politiques publiques. À rebours, les partis politiques influents n’ont jamais apporté de programmes cohérents dans ces domaines stratégiques et pour les gouvernements successifs, c’est la figure de la quadrature du cercle qui s’impose tant les déficits sont abyssaux et les investissements gigantesques mais introuvables.
Comment envisager ces réformes ? Pour le domaine de l’Éducation, l’organisation d’une consultation nationale a été la panacée permettant de mieux comprendre les besoins et attentes du secteur. Ce type de consultation pourrait être élargi à d’autres domaines et même si la notion de concertation est indéniablement démocratique, il n’en restera pas moins que le bât continuera à blesser au niveau des moyens.
À ce titre, les experts préconisent pêle-mêle d›avoir recours à des mobilisations de ressources à l›échelle nationale et internationale, de réactiver les emprunts et planifier sur le long terme. Reste que certaines urgences n›attendent pas et qu›en même temps, les enjeux changent de mesure et de coût lorsque leur traitement est différé.
Un sursaut citoyen, une notion républicaine
Tous ces indicateurs et remarques soulignent bien l’étendue de ce qui est à accomplir dans le domaine des services publics essentiels auxquels s’ajoute naturellement la question de la modernisation de l’infrastructure que ce soit le réseau autoroutier ou les grands barrages hydrauliques. Au-delà des besoins et de la nécessité de parfaire les équipements, il est également fondamental de s’attaquer aux profondes inégalités que révèlent les statistiques. Cette exigence de rééquilibrage du territoire est d’ailleurs l’un des moyens à mettre en œuvre pour concrétiser les attentes des Tunisiens qui eux-mêmes, se doivent de contribuer à un sursaut national de nature à remettre en selle la notion républicaine de service public.