Seuls maîtres après Dieu !

Vouloir être toujours sur le devant de la scène est un objectif noble et légitime. Mais la question qui dérange est de savoir à quel rang on doit aspirer et quels profits on peut en tirer, car tous les rangs ne sont pas toujours aussi édifiants qu’on le pense.
Ainsi, dans les cérémonies officielles, par exemple, le souci majeur des coureurs des premières places est d’obtenir un poste prestigieux et de profiter, autant que possible, des meilleurs avantages. Mais sur un autre plan, ils sont les premiers à vilipender et à contester.  En somme, être les premiers à revendiquer des «droits», mais rester les plus passifs sur le plan des devoirs. De ces arrivistes, qui ressemblent à l’étrange Philippulus, l’un des personnages qui m’a le plus impressionné dans les «aventures de Tintin», l’auteur, Hergé, disait qu’ils se prenaient pour «seuls maîtres après Dieu». Pire encore, ils prennent ton cœur par la main droite, en te jetant des molotovs de la gauche ! Ils sont experts dans la manière de manipuler la vérité, d’inventer des complots imaginaires pour en fomenter de réels et d’exercer leur pouvoir machiavélique. Dans sa célèbre pièce de théâtre «Les pions», Mustapha Fersi lance une mise en garde à tous ceux qui prétendent faire la politique  sans affronter les ruses intimes de ces menteurs dominateurs.
Leur engouement pour les premiers rangs n’est pas dicté par des considérations collectives, mais par des appétits personnels, façon pour ces politicards de regagner un peu du terrain perdu. Leur but «premier» étant la domination à travers les mensonges, avec comme condition «première» l’illusion de la «bonne conscience».
Ce phénomène et ses variations restent à analyser plus finement, en fonction des particularités de notre scène politique. Il ne faut pas croire que, derrière ce spectacle dérisoire, la légitime «concurrence politique» demeure intacte. Bien au contraire, celle-ci est désormais l’objet d’un grand désarroi. C’est une nouvelle pratique qui se lève dangereusement et se présente comme un culte envahissant, semant à tout vent injonctions et exorcismes. Elle continue de tisser ses toiles sitôt que ses fils se défont, en repoussant, sans cesse, plus loin les limites de l’abjection. Sidéré, le malheureux peuple compte les points sans toujours réaliser l’ampleur du risque pour son pays.
La décennie de braise nous renvoie, sans cesse, à ses mensonges, à ses échecs et tragédies. Depuis, il n’y a eu ni de grandes idées ni de grandes solutions. Ce vide a produit des formes pathologiques dans la scène politique et son instrumentalisation par des formes non moins pathologiques dans les médias. Nous sommes dans une petite «histoire» aux effets pervers où l’ignorance ne cesse de faire des progrès et où d’incroyables foutaises servent désormais de caisse de résonance aux idéologies extrémistes en ligne qui prospèrent sur les réseaux sociaux. Car, de tous nos maux, l’ignorance est toujours le pire. C’est là que l’individu passif devient «sujet» de ce mélange confus de mensonges et de doctrines populistes.
Faute de stratégie et de tout mécanisme d’organisation, d’arbitrage et de discipline, ce comportement constitue un foyer de tension où peuvent prospérer en toute impunité les poisons.
Quand l’ignorance, la vengeance, les haines et les ressentiments se déchaînent, sans parler des mensonges éhontés qui, ces temps-ci, salissent les valeurs politiques et les normes médiatiques, cela apporte une preuve supplémentaire, voire définitive, que nous sommes bien entrés dans une impasse fortement émotionnelle dans laquelle il ne peut y avoir que des «traîtres» et des «héros» imaginaires !
Les réactions à ce désastre, unanimement passives, des intellectuels sont affligeantes, pour ne pas dire irresponsables.

Related posts

Le danger et la désinvolture 

Changer de paradigmes

El Amra et Jebeniana