« Si je l’attrape, je serais débarrassé » : sommes-nous à l’ère de la banalisation du virus ?

Ça commence par une idée jetée en l’air, mine de rien, par une amie dûment vaccinée : « Je dois voyager dans un mois, je me demande si je n’ai pas intérêt à attraper le Covid tout de suite plutôt que de me retrouver contaminée juste avant de devoir prendre l’avion ? » Avec l’arrivée du variant Omicron et les niveaux de circulation virale inégalés depuis le début de l’épidémie, une idée s’est installée dans la tête de très nombreuses personnes : il deviendra vite impossible d’y échapper. Cette nouvelle souche du virus, dont beaucoup louent sa moindre gravité apparente, rebat les cartes. Au point que la maladie, qui a fait officiellement plus de 5 millions de morts dans le monde depuis 2019, pourrait presque apparaître comme une contrainte comme une autre, un facteur à prendre en compte dans l’organisation de ses vacances. En un mot : le Covid serait-il devenu banal ?
Chez les jeunes, la normalisation de cette épidémie n’est pas nouvelle, mais l’apparition du variant Omicron semble accentuer le phénomène. « A quoi bon répéter qu’on a 300 000 contaminations par jour si ce sont surtout des personnes qui font une forme de rhume », s’agace Edgar, un jeune consultant en aménagement du territoire, qui a reçu ses trois doses de vaccin. De fait, ce nouveau variant, à la contagiosité record, semble aujourd’hui provoquer moins de formes graves de la maladie.
Aux Etats-Unis, une récente étude des Centres pour le contrôle et la prévention des maladies estime ainsi qu’une personne malade du Covid-19, infectée avec Omicron, aurait environ 75% de risques en moins d’être placé en soins intensifs, et plus de 90 % de risques en moins de mourir, par rapport à une personne infectée avec le variant Delta. « Les divergences sur la perception de la maladie en fonction de l’âge se sont faites très vite, et la banalisation de la maladie est à l’oeuvre depuis presque un an, mais le variant Omicron va peut-être accélérer ce mouvement », décrypte Jocelyn Raude, enseignant-chercheur en psychologie sociale à l’Ecole des hautes études en santé publique, et spécialiste de ce domaine.
* »Fatalisme »
L’avalanche de cas observée par bon nombre de citoyens dans leur cercle proche mène aussi à une forme de fatalisme qui se ressent dans les décisions. « Comme je suis cas contact littéralement toutes les semaines depuis Noël, je ne m’empêche plus de voir des amis, alors que je ne le faisais pas avant », avoue Clarisse, qui travaille dans la communication à Montpellier, en France. La jeune fille de 27 ans raconte aussi la lassitude des retrouvailles maintes fois reportées avec ses amis. « Je suis remontée à Paris pour les fêtes, je devais voir des potes, mais j’ai une amie qui était malade, je me suis dit « c’est pas grave on se voit quand même »… Parce qu’au pire je l’attrape, je m’isole et au moins j’en serais débarrassée », détaille-t-elle avec aplomb.
Depuis quelques semaines, les signaux envoyés par le gouvernement français s’ajoutent à ce ressenti. Car même si l’exécutif se défend de « laisser filer le virus », les nouvelles mesures de contrôle restent relativement légères face à l’évolution vertigineuse des contaminations.
Récemment, ce sont même les règles d’isolement qui ont été revues à la baisse. Quitte à brouiller le message. « Il n’y a pas de mesures qui impactent réellement la vie de tous les jours, mais plutôt un tas de mesures parfois risibles, comme le fait de ne pouvoir consommer debout dans un café… Résultat, personne n’y croit vraiment », lâche Edgar. « Avec Omicron, le virus est devenu aussi contagieux que la rougeole. Il y a une réelle difficulté à le contrôler, ce qui veut dire que même les gens rigoureux sur les gestes barrière peuvent être contaminés », concède Jocelyn Raude, qui note « un sentiment de fatalité » de la part du gouvernement : « On cherche surtout à lisser la courbe des contaminations, plutôt qu’à contrôler la circulation du virus. »
Cette réalité sanitaire, couplée à la fatigue d’une épidémie qui n’en finit plus, pousse chacun dans ses retranchements quand vient le moment de décider de participer ou non à tel ou tel événement qui présente des risques de contamination. « Est-ce que le jeu en vaut la chandelle ? », se questionne ainsi Edgar à la veille de son anniversaire organisé dans le sous-sol d’un bar. « Au pire des cas, je me retrouve trois jours au lit mais au moins j’en aurais profité », calcule-t-il. Un constat partagé par Aline, une Parisienne qui reconnaît ne plus faire partie de la catégorie des « jeunes » : « Le mercredi et le vendredi, j’ai sport : je devrais me demander si j’y vais ou pas ? J’ai besoin de bouger et, après tout, on nous dit que la sédentarité liée au télétravail nous tue plus sûrement que le Covid quand on a mon âge et trois doses de vaccin. » En clair : le rapport bénéfice/risque a changé.
*Vers un virus endémique
D’autant que la vaccination a levé pour certains une inquiétude, celle d’être à l’origine d’une transmission qui engendrerait une forme grave de la maladie. « Le phénomène de la vaccination est assez classique, à chaque fois qu’on a développé des traitements efficaces, on voit que la perception de la maladie change », analyse Jocelyn Raude. « Le risque, je ne l’ai jamais perçu personnellement. Même si je vis seul, c’est pour les autres que je faisais attention. C’est vrai que maintenant que la vaccination s’est généralisée et qu’il y a la troisième dose, je n’ai même plus vraiment peur pour les autres », confesse ainsi Edgar. De fait, l’épidémie est entrée depuis l’extension de la vaccination dans une nouvelle réalité, la pression sur l’hôpital s’est déplacée des services de soins critiques aux lits d’hospitalisation conventionnelle. La tension est là, mais son effet peut sembler moins visible pour les personnes interrogées.
Surtout, le grand public perçoit aujourd’hui les signes d’une épidémie contrôlée, qui reviendrait de manière cyclique, sans la même gravité. Un passage de la pandémie vers l’endémie qui est envisagé de plus en plus ouvertement par les autorités et qui incite à « vivre avec le virus ». Dernièrement, c’est lors d’une conférence de presse que le chef de la stratégie vaccinale de l’Agence européenne des médicaments, Marco Cavaleri, évoquait ce point : « Avec l’augmentation de l’immunité de la population – et avec Omicron, il y aura beaucoup d’immunité naturelle en plus de la vaccination -, nous nous dirigerons rapidement vers un scénario plus proche de l’endémicité. » Mais, calmant les espoirs des plus pressés, il ajoutait ensuite, « N’oublions pas que nous sommes toujours dans une pandémie. »
Pour toutes les gens avides de normalité, il faudra donc attendre encore un peu. Même si certains ont déjà pris les devants.
(L’Express)

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