Si la Tunisie avait été entendue…

Ils ont préféré faire la politique de l’autruche ou être dans le déni quand la Tunisie avait été prise d’assaut par des « hordes » – ce mot de Kaïs Saïed a fait l’effet d’une bombe médiatique à l’échelle mondiale » – de migrants venant de pays d’Afrique subsaharienne l’hiver dernier (février 2023).
Paniqué par les flux d’arrivants par voie terrestre, des frontières libyennes et algériennes, Kaïs Saïed avait alerté l’opinion nationale et internationale des graves conséquences que cette migration clandestine « anormale » pouvait causer à un pays comme la Tunisie, petit du point de vue de la superficie et en butte à une crise économique inédite et sans horizons. Il n’a eu de cesse de dire que ces vagues migratoires sont provoquées, c’est-à-dire qu’elles sont malintentionnées. Sans doute, Saïed faisait-il allusion aux menaces proférées par Rached Ghannouchi, ancien président du mouvement islamiste Ennahdha et ancien président de l’ARP, contre la Tunisie et l’Europe et surtout l’Italie, sur les colonnes du journal italien « Corriere della serra » paru le 30 juillet 2021, quinze jours après le coup de force politique de Kaïs Saïed et la fermeture du siège du parlement par les blindés de l’Armée.
Rached Ghannouchi avait mis en garde sans détour : « Si la démocratie n’est pas très vite rétablie, nous sommes tous dans le même bateau… Les Tunisiens, les Européens et surtout les Italiens, nous allons tous sombrer dans le chaos… Le terrorisme peut augmenter… Plus de 500 mille migrants pourraient tenter de rejoindre les côtes italiennes ».
Pourtant, personne n’en a fait cas. On se souvient encore, non sans amertume, du tollé mondial suscité par les propos du président tunisien, accusé de racisme et de xénophobie. Des condamnations avaient fusé de toutes parts, des instances onusiennes, des dirigeants occidentaux et notamment européens, des organisations internationales, etc. Même les Tunisiens n’ont pas été épargnés. Aucun donneur de leçon n’a daigné s’instruire des raisons exactes de la colère populaire qui a éclaté, notamment après l’assassinat d’un citoyen des mains d’un migrant. La cabale facebookienne, qui a duré plusieurs jours, s’en est donnée à cœur joie pour diffuser de fausses vidéos et des fakes pour le plaisir de porter atteinte à l’image de la Tunisie, ce pays pourtant historiquement connu pour son accueil toujours chaleureux, pour sa solidarité avec ses voisins et pour son hospitalité envers tous les étrangers. Entretemps, les centaines de migrants subsahariens continuaient d’affluer.
La Tunisie a été abandonnée à son sort et a été, de surcroît, exhortée à garder les migrants sur son sol, à respecter leurs droits fondamentaux et à leur garantir tout ce dont ils avaient besoin (nourriture, soins, logement). Même si des scénarios machiavéliques ont tenté de faire croire le contraire, les autorités tunisiennes ont fait le nécessaire, ce qu’elles ont pu, avec les moyens de bord, sans la moindre solidarité de leur voisinage proche ou lointain. Mais un message clair non négociable est parvenu au monde entier : « La Tunisie ne sera jamais une terre d’accueil pour l’immigration clandestine ». Comprendre qu’aucun centre d’accueil des migrants ne verra le jour en Tunisie.
Trois mois plus tard, craignant des arrivées en masse pendant l’été, c’est Giorgia Meloni, la Cheffe du gouvernement italien, qui viendra vers le président tunisien pour lancer le dialogue entre l’Italie, premier pays de destination de l’immigration irrégulière, et la Tunisie, pays de transit, sur de nouvelles assises basées sur le respect des intérêts mutuels.  Meloni reviendra une fois, puis une autre fois, avec la présidente de la Commission européenne, Ursula Van Der Leyen, et le Premier ministre néerlandais, Mark Rutte. Le marathon débouchera sur la signature d’un Mémorandum d’entente pour gérer ensemble la crise migratoire dans un cadre concerté et solidaire, du fait que la Tunisie ne pourra pas seule y faire face.  Mais les mêmes parties qui avaient fustigé la Tunisie et dépeint d’elle une image inhumaine et sanguinaire, se sont opposées au rapprochement de l’Europe avec la Tunisie et ont réduit en miettes le Mémorandum d’entente. Au niveau de l’Union européenne, également, les divisions vont vite éclater et le Mémorandum sera glissé dans les tiroirs.
Plus de deux mois plus tard, Lampedusa est submergée. L’île italienne compte plus de migrants (10 mille) que d’habitants (7 mille). La panique gagne toute l’Europe. Et Meloni de ressortir l’accord avec la Tunisie et de souligner, haut et fort, qu’aucune aide financière n’a, à ce jour, été transférée à la Tunisie sur la base du Mémorandum d’entente qui avait prévu l’octroi de 105 millions d’euros pour l’amélioration de la gestion des frontières tunisiennes. Ce qui confirme que la Tunisie a été abandonnée à son sort et que la gestion des flux migratoires dépasse ses moyens humains et logistiques. De son côté, Van Der Leyen fait le déplacement jusqu’à Lampedusa pour proposer un plan d’action en dix points dans l’espoir de limiter les flux. Le dixième point est consacré à la mise en œuvre du Mémorandum d’entente UE-Tunisie qui renaît ainsi de ses cendres et suggère entre autres de donner la priorité aux actions ayant un impact immédiat sur l’amélioration de la situation actuelle.
Le plan d’action prévoit également de renforcer la surveillance des frontières en mer et la surveillance aérienne et envisage d’étudier les possibilités d’extension des missions navales en Méditerranée. Un branle-bas de combat semble avoir été programmé du côté européen pour mettre un terme aux flux migratoires. En espérant que ce blocus des eaux méditerranéennes ne contribuera pas à convaincre les milliers de migrants subsahariens, qui fuient la guerre et la pauvreté, de se poser en Tunisie à défaut de se rendre en Europe. Dans le cas échéant, la Tunisie risque l’explosion puisqu’elle subit par ailleurs un blocus financier international en raison de la non-conclusion d’un accord de prêt avec le FMI sous les conditions de celui-ci.
Finalement, si la Tunisie avait été écoutée sept mois plus tôt et si elle avait été assistée et soutenue par l’Europe et les institutions et organisations internationales pour juguler les flux de migrants vers Sfax, Lampedusa et l’Europe n’en auraient pas été là aujourd’hui et peut-être que la mobilisation aurait été moins coûteuse.

 

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