« Silentium », le nouveau long métrage signé Nidhal Chatta, sort en salle le 23 avril. Avec “Silentium”, Nidhal Chatta nous enferme dans un immeuble résidentiel du Kram, tout à fait banal. D’abord en suivant les pas de Malek, une jeune archéologue au passé lourd qui a trouvé refuge dans la grande Histoire. Puis en mettant en scène une mosaïque audacieuse d’individus rejetés par la société tunisienne. Homosexuel, mère célibataire, femme muette au mari violent, femme noire, tous se font épier, juger, et violenter, dans le silence et l’indifférence. En quittant très peu des yeux les appartements, la caméra nous livre une atmosphère étouffante, irrespirable. Les seules bouffées d’oxygène résident dans la résilience des personnages eux-mêmes, qui luttent pour continuer à rire, manger, boire… pour continuer à exister. Au travers de ces récits croisés, Nidhal Chatta braque un miroir sur une société tunisienne en pleine mutation, et met en balance l’espoir intemporel face à la violence quotidienne. Un film à la poétique brutale, qui sonde et interroge notre humanité.
Plus de trois ans après le tournage, et au terme de nombreuses modifications, l’œuvre sera projetée dans les salles nationales à partir du 23 avril. D’abord filmé dans une version plus crue, le produit fini laisse plus de place à la suggestion qu’à la démonstration. Afin de mettre ce film sur pied, Nidhal Chatta a fait appel à la scénariste Sophia Haoues, avec qui il avait déjà travaillé à l’occasion de son précédent long métrage, Mustafa Z, sorti en 2017.
« C’était presque impossible »
Aucun rôle n’est facile à interpréter. Cela est d’autant plus vrai pour le cas de Mounir, le concierge psycho-rigide aux allures froides et à la violence minutieuse : « D’ordinaire, un acteur utilise l’âme, les émotions, les sentiments que peut ressentir un personnage, pour les canaliser et les exposer au spectateur. Le plus courant est de s’inspirer de notre enfance, de notre expérience, d’un ami, d’un voisin, d’une connaissance. Mais pour ce qui est de mon rôle, ce n’était pas possible. Il fallait que j’imagine cette froideur, cette absence d’émotions. C’était presque impossible », se livre Mohamed Dahech, l’interprète de Mounir. Une tâche qui a demandé du dévouement et du détachement de soi. « En fait, je n’avais pas d’autre choix que d’avoir une interprétation essentiellement technique. Tout se jouait sur ma façon de me tenir, de regarder, d’effectuer tel ou tel geste. Mais c’était un travail de chaque instant avec le réalisateur. Pour certaines scènes, on a dû faire des centaines de prises pour parvenir à un résultat satisfaisant », poursuit-il. Un travail de chaque instant, basé sur la méthode de direction d’acteurs mise au point par Sanford Meisner, qui demande aux interprètes de réagir plus authentiquement à leur environnement et aux autres personnages, plutôt que de se concentrer sur leur propre rôle.
« Je n’avais pas autant d’expérience qu’elle dans la vie, donc j’ai dû fournir des efforts pour comprendre ce qu’elle vivait, et imaginer ce que cela fait émerger comme sentiments », précise quant à elle Maissa Ouesleti, interprète du rôle de Mona, une mère célibataire qui abandonne sa fille. « Mais, d’une certaine façon, je me reconnais en elle, dans son expérience du jugement qu’elle subit de la part de ses pairs et de sa famille. Elle paye le prix de sa liberté par la stigmatisation et la discrimination », poursuit-elle. Et de conclure : « Au départ, j’étais intriguée par ce rôle, Mona semblait mystérieuse. Puis Nidhal m’a dit qu’il me voyait en elle, donc je lui ai fait confiance. À un certain moment, j’avais l’impression que nous n’étions qu’une seule personne. »