Situation en Libye : Daech s’implante

 

A maintes reprises, ledit «État islamique»  a brandi des menaces sur le Maghreb, surtout après l’alliance de nombreux éléments d’Al-Qaida au Maghreb islamique (AQMI)  avec ce même groupe terroriste. Les récents événements en Libye, plus particulièrement ceux survenus dans la ville de Derna, viennent confirmer l’implantation de ce danger à nos frontières. Car, si en Syrie et en Irak ce groupe est combattu par une alliance internationale regroupant plus de quarante pays, la donne en Libye est tout à fait autre. Dans un tel contexte d’anarchie, l’appel international se fait de plus en plus pressant afin de trouver une solution politique et non militaire. Mais alors quel dialogue instaurer  devant la profusion d’armes et de milices  cumulée à l’interférence des intérêts de nombreux pays sur la scène libyenne ?

Derna, sanctuaire des islamistes radicaux au Maghreb

De nouveaux affrontements ont éclaté entre des milices islamistes rivales le 21 septembre dernier à Derna, causant la mort de douze Libyens et des blessures à quatre autres. Ces heurts ont opposé la brigade des «Martyrs d’Abu Slim» et le «Conseil de la Choura de la jeunesse islamique»,  et les morts se comptent dans les deux camps rivaux. Ledit «Majliss al Choura», créé en avril dernier, avait procédé à une exécution publique dans un stade de football de Derna. Ces scènes nous rappellent les Talibans en Afghanistan et Daech en Syrie et en Irak.

La ville de Derna, quasiment devenue le bastion des islamistes radicaux, est divisée par des affrontements armés entre les militants de la «Brigade des martyrs d’Abu Slim», affiliée à Ansar al-charia, et le «Conseil de la jeunesse islamique», affilié à l’EIIL, autrement dit «Daech». Les assassinats ciblés sont devenus également monnaie courante, le colonel Salwa Hindawi a été assassinée devant son domicile ; c’est la quatrième femme abattue dans la ville.

La loi des milices en Libye

Face à cette situation délétère, le gouvernement libyen, par le biais du «Conseil national» officiellement et internationalement reconnu et siégeant à Tobrouk, est acculé à l’inertie totale. Ce gouvernement n’a en effet aucun pouvoir sur le terrain, car ni armée ni police dignes de ce nom ne peuvent sécuriser les membres du gouvernement,pas plus que les villes. À Misrata (troisième ville la plus peuplée de Libye) la force dite «Boucliers de la Libye», proche des thèses du Parti de la justice et de la construction (PJC), bras politique des Frères musulmans, et dont la base est à Misrata fait partie de l’opération «FajrLibya»,  tout en acceptant le processus de réconciliation de Ghadamès.

Le deuxième groupe — ou milice — influent étant celui de «l’Alliance des forces nationales» (AFN) de Mahmoud Jibril. Sa présence couvre toute la région du Zentane et tout l’ouest libyen.,Son commandement est unifié sous la bannière de l’Armée nationale libyenne.

Le troisième groupe se compose de milices dites «djihadistes», que ce soient celles de Derna ou de Tripoli et elles refusent le dialogue. Autant dire que c’est le langage des armes qui prime actuellement et que tout dialogue nécessite un consensus avec ces milices, car elles contrôlent tout simplement une grande partie du territoire et des villes. Il faut insister ici sur le fait que la plupart de ces milices utilisent l’islam afin de camoufler un enjeu financier et œuvrent afin de maintenir le statu quo. Par ailleurs, les interférences des États étrangers et des intérêts des pays voisins ne font qu’aggraver la situation et enfoncer le pays dans une crise permanente. Ces alliances et les jeux claniques ne facilitent aucunement le dialogue, car chaque partie veut négocier en position de force, et ce, grâce à l’occupation du terrain, autrement dit par le contrôle du territoire.

Derna est devenue un cas particulier et vient de prouver encore une fois combien il est facile en Libye de basculer dans un radicalisme aveugle. Toute la population de la ville est menacée par l’application des lois dites islamiques. Les menaces sont tellement pesantes que des centaines de famille ont quitté Derna en direction d’autres villes de l’Est libyen. Les populations de la ville caressent l’espoir d’une éventuelle intervention des forces de l’ONU afin que la vie normale reprenne son cours.

Le dialogue entre Libyens est-il possible face à l’anarchie ?

Le marathon engagé depuis le mois de juin 2014 par les pays voisins de la Libye (Tunisie, Égypte, Algérie, Niger et Tchad) tente de trouver un terrain d’entente entre les différentes factions armées rivales. Alger s’apprête à accueillir un round d’observation entre plusieurs belligérants de la scène libyenne. Les Émirats et l’Italie collaborent aux efforts pour la tenue de cette rencontre. L’Iran soutient également cette initiative. Que cache le conflit libyen pour susciter un tel intérêt international ?

De Téhéran à Alger, un appel au dialogue entre les diverses factions rivales est à l’ordre du jour, c’est d’ailleurs l’option prise par l’ONU. La prochaine réunion prévue à Alger aura pour but, selon Mme Afkham (porte-parole du ministère iranien des Affaires étrangères) d’instaurer un «dialogue entre les groupes et les courants politiques libyens (qui) est l’unique voie pour sortir de la spirale de la violence et de l’instabilité dans ce pays». La responsable iranienne a conclu en exprimant  son espoir de «voir le Dialogue d’Alger contribuer à l’installation de la paix et de la stabilité en Libye et dans toute la région.»

La prochaine rencontre d’Alger va-t-elle inaugurer une nouvelle ère pour la Libye après Tunis, Rome et Madrid ? Cette rencontre prévoit d’associer certaines personnalités proches de la mouvance de la diaspora libyenne. Mais, si les forces proches de l’Alliance des forces nationales acceptent d’associer la diaspora, les Frères musulmans et leurs alliés s’attachent à «la pureté révolutionnaire des participants au Dialogue». Les accusations de «fouloul », c’est-à-dire les ex –partisans de Kaddafi, sont de mise. Les tractations d’Alger et de Ghadamès prépareraient-elles de nouveaux équilibres en Libye, suite au retournement de la situation en Syrie et en Irak ?

Auparavant, des pourparlers sous médiation de l’ONU sont en cours entre le Parlement libyen et les personnalités politiques de l’opposition dans la ville frontalière de Ghadamès afin que la Libye revienne au processus politique. Bernardino Léon, envoyé spécial de l’ONU en Libye, a rappelé que l’organisation autoproclamée État islamique,«Daech», serait déjà opérationnelle dans ce pays. Mais l’appel de M. Bernardino Léon est resté pratiquement lettre morte, car les protagonistes campent sur leurs positions. Ce blocage, avait rappelé l’envoyé de l’ONU, profiterait pleinement à «Daech» qui tente ou avait déjà installé une base permanente en Libye comme siège de sa branche en Afrique du Nord, qui sert d’antenne de recrutement.

En Tunisie, la crainte se fait grande quand on sait que le retour des Tunisiens partis en Syrie et en Irak passerait par la Libye, une terre de transit, où les armes  circulent à profusion. Notre sécurité nationale est des plus menacée, particulièrement au cours de ce mois des élections que le monde entier scrute. Si nos forces de sécurité commencent depuis quelques mois à reprendre l’initiative par des opérations dites d’«anticipation», il n’en demeure pas moins que la menace est cette fois-ci réelle et qu’il faudrait s’associer au plus vite avec notre voisine l’Algérie afin de parer au danger des milices armées libyennes.

Pour ce qui est du dialogue national libyen, il est souhaitable que les « sages » de Libye saisissent cette opportunité de dialogue et pensent à l’intérêt national du pays et à sa population plutôt qu’aux appartenances tribales, claniques et surtout mafieuses.. La seule issue aujourd’hui serait l’intervention de l’ONU, par une mission de bons offices, sinon par le biais des forces de l’Union africaine ou internationales, afin d’instaurer une paix durable jusqu’à la mise sur pied d’institutions sécuritaires solides.

F.C

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