Au moment où les différentes parties se réunissaient, entamant un dialogue qui peine, des amendements ont été effectués au niveau du règlement interne de l’ANC. Le blocage et la méfiance régnant sur le dialogue national se sont alors propagés au sein de l’Assemblée. D’un côté, Ennahdha insistait pour imposer Ahmed Mestiri, ce qui a été jugé par certains comme une tentative d’installer au pouvoir quelqu’un sur qui le parti aurait de l’influence et, de l’autre, apportait des modifications pouvant lui octroyer plus de pouvoir au sein de l’ANC. Des deux côtés, Ennahdha semblait ne pas vouloir lâcher le pouvoir, mais aussi gagner du temps en cultivant la diversion… Décryptage
Décidés le 4 novembre dernier, les amendements introduits sur les articles 38 et 79 du règlement interne de l’Assemblée constituante (ANC) ont été annulés le 27 du même mois. D’autres modifications apportées aux articles 106 et 126 ont par contre été maintenues.
Un vif débat national et politique a été provoqué par ces amendements. L’opposition a souligné qu’ils servent l’intérêt d’Ennahdha et lui octroie plus de pouvoir au sein de l’ANC. Hormis les amendements effectués sur l’article 106 prévoyant d’accélérer le rythme de l’ANC et l’adoption de la Constitution, ceux ayant touché les autres articles ont été rejetés, provocant le boycott de la part de l’opposition.
Ettakatol, partenaire dans la Troïka, a également exprimé son refus des mêmes modifications, notamment celles touchant à l’article 79, jugeant qu’elles visent particulièrement le président du parti et de l’ANC, Mustapha Ben Jâafer.
Après presque trois semaines de négociations, le 27 novembre 2013, l’ANC a annulé lors d’une séance plénière les amendements apportés aux articles 36 et 79. Le vote a été emporté grâce à 150 voix appuyant le retrait contre 49 objections et 14 abstentions.
On semble alors avoir dépassé le blocage…
Néanmoins, les amendements ont été apportés lors d’une période critique où quartet, opposition et gouvernement essayaient de trouver un terrain d’entente pour pouvoir avancer sur le terrain du dialogue national. L’issue de ce dialogue aurait limité le pouvoir d’Ennahdha puisqu’elle aurait abouti à un nouveau gouvernement constitué de technocrates indépendants. Le parti au pouvoir aurait alors cherché à s’assurer plus de pouvoir à travers l’ANC, institution dont la dissolution fut en été exigée, mais que la Troïka a «réussi à sauver.»
Est-ce le blocage du dialogue qui aurait, en cas de réussite, limité le pouvoir d’Ennahdha, qui a rassuré le parti islamiste et l’a incité à revenir sur les amendements pour ne pas ouvrir plusieurs fronts au même moment ?
Sahbi Atig a par ailleurs déclaré qu’Ennahdha «revient sur les amendements pour renforcer le consensus et faire aboutir le dialogue national et la transition démocratique». Ennahdha ne semble donc plus avoir besoin de ces amendements puisque le parti est toujours en place dans le gouvernement et fait preuve de bonne foi en revenant sur ces modifications. Mais, encore une fois, le pays en pleine crise perd un temps précieux à résoudre des problèmes aléatoires et collatéraux.
La situation à l’ANC ne s’améliore pas pour autant puisque l’Assemblée n’est pas encore sortie de l’impasse. Ainsi, même si le différend autour des amendements a été résolu, la question de l’ISIE demeure figée.
En effet, le tribunal administratif a annulé pour la troisième fois les travaux de la commission chargée du tri des candidatures. Les raisons de l’annulation sont «non-conformité à la grille d’évaluation des candidatures à l’ISIE» et «défaut de promulgation et publication de la loi organique sur l’ISIE II au JORT.»
La commission menace de son côté d’instaurer une loi, en dernier recours, empêchant le tribunal d’annuler ses propres travaux.
Outre l’impasse concernant l’ISIE, dont la constitution est l’un des points de la feuille de route proposée par le Quartet, d’autres blocages parsèment le dialogue national, déclaré par ailleurs cliniquement mort par Lazher Akremi.
Dialogue national en réanimation
Depuis deux semaines dure le blocage, à cause de la personnalité du chef du gouvernement, et à l’heure actuelle plus personne ou presque n’y croit. Rappelons que le gouvernement et l’opposition se sont retrouvés au point mort, les premiers soutenant la candidature d’Ahmed Mestiri et les derniers la rejetant.
Abdessatar Ben Moussa, président de la Ligue des Droits de l’Homme en Tunisie, membre du Quartet, a proposé une solution «neutre», à savoir laisser aux quatre organismes initiateurs du dialogue le choix du nouveau chef de gouvernement.
La solution pourrait en effet dénouer la situation à défaut d’un refus par les uns ou les autres du nom qui sera proposé.
Néanmoins le dialogue national entamé malgré maints obstacles se déroule de plus en plus dans une ambiance plombée par la méfiance. Lazhar Akermi a souligné dans sa déclaration à Mosaïque FM que la raison de la mort du dialogue national est le manque de confiance entre les différents partis. Quant à Yassine Ibrahim, il a démontré que la crise autour du nom du chef du gouvernement prouve l’irréalisme et le manque de pragmatisme des acteurs politiques et des forces syndicales.
Il est alors difficile de croire en une possibilité de réanimation du processus du dialogue, même si le quartet peut encore y apporter une solution en proposant un nom.
En attendant le dénouement, la situation sécuritaire est plus précaire que jamais. Sahbi Jouini, chargé des affaires juridiques auprès de l’Union nationale des syndicats des forces de sûreté (UNSFS) a déclaré il y a quelques jours que 2 tonnes d’explosifs ont été saisis et que la situation ne présage rien de bon. Il a souligné par ailleurs que les autorités n’ont pas encore commencé à lutter contre le terrorisme.
D’un autre côté, l’effondrement économique et l’approche des dates commémoratives de la Révolution des 17 décembre 2010 – 14 janvier 2011 alimentent les tensions et les revendications socio-politiques. Aujourd’hui et plus que jamais, le dialogue national devrait aboutir à des prémices de solution, quant à l’ANC, elle devrait commencer à présenter des projets et des institutions concrets et finis…
Par Hajer Ajroudi