Dans un endroit somptueux, qu’est Dar Hussein à la médina de Tunis, les férus de la chorégraphie, du monde de la danse et de l’expression corporelle avaient rendez-vous avec un spectacle inédit qui a eu lieu dans la soirée du dimanche 1er octobre s’appelant « Bird » avec pour seul protagoniste le danseur et chorégraphe Sofiane Ouissi. Cet événement artistique s’inscrit dans le cadre de la 9eme édition de « Dream City ». Le danseur était accompagné d’un Cacatoès blanc et un pigeon noir ayant gonflé sa gorge ; ce dernier voulait-il tout simplement dormir ? Le danseur était également accompagné par le rythme du percussionniste et luthiste Jihed Khmiri qui a collaboré dans plusieurs projets, notamment El balass et El Hajema du jeune réalisateur Zied Lytaiem. Khmiri a bien réussi sa musique d’ambiance, très douce et discrète, fruit d’une longue recherche pour la détection des sons et des attitudes des oiseaux et plus spécifiquement des tétrapodes dans la forêt. Il a joué, de surcroît, excellemment sur le bendir et le Oud.
Sofiane Ouissi lance un appel à l’ordinarité
Avant le démarrage de la performance, le danseur Sofiane Ouissi a attendu tranquillement que le public s’installe dans un théâtre disposé en carré et situé sous des arcades. Les spectateurs étaient répartis sur des tabourets en bois, limités dans le nombre pour ne pas déranger la prestation de l’artiste. Les présents ne dépassent pas par conséquent les 60 spectateurs. C’est un public de connaisseurs. C’est-à-dire que la plupart exerçaient le métier de l’art dramatique. Ils viennent pour avoir de nouvelles inspirations ou de nouvelles idées de création. Ensuite, une fois le public installé, l’artiste sort parmi eux, sans aucun artifice, et monte sur scène avec un silence absolu et commence à grignoter la planche avec de la craie blanche.
L’écriture est hermétique mais elle prend la forme des signes qui étalent des orientations et des marquages. En réalité, c’est un working in progress : il se mue au fil des représentations. Ainsi, sa durée était au départ de 30 minutes ; c’est désormais 50 minutes de mouvements et de gestes en immersion, dont une bonne partie est avec le Cacatoès, qui sont présentées aux regardants. Cet animal est une espèce d’oiseaux qui a le sens du rythme, bel et bien familier avec l’espèce humaine. Derrière l’habit ordinaire, c’est-à-dire de tous les jours, avec lequel Sofiane Ouissi est monté, se profile un appel pour une vraie proximité avec la nature et l’environnement. C’est un cri en silence à prendre soin de la nature et à la vivre autrement.
La mise en spectacle de l’animal
L’originalité de cette représentation est la mise en spectacle de la consonance des mouvements de l’animal avec les gestes et la chorégraphie de l’homme. Les deux bougent en symbiose, en harmonie et en concordance. Ils partagent le temps d’une œuvre la même énergie, la même invitation : la conscience de finitude du monde vivant et sa fragilité. Ce qui est neuf, c’est que c’est une sensibilisation silencieuse passant par la respiration, par le sourire, par les mouvements simples du corps, par une démarche circulaire, répétitive et évolutive en même temps. Les cheveux longs de Sofiane Ouissi augmentent cet aspect esthétique, charismatique et beau : ceci augmente l’effet du message voulu. En effet, sa chevelure dénote un homme vivant le cosmos dans sa chair.
Lors de sa prestation, c’est un acteur entrant en transe progressivement, la chaleur de son corps augmente peu à peu, il transpire, fait vibrer les mains, fait danser son ventre, joue avec son bassin, ses coudes et ses épaules dans un déplacement en reptation. Au fil de sa danse, il allège sa tenue vestimentaire, passe de la couleur verte à la couleur noire.
Dans la prestation de l’artiste, les mouvements des mains et des bras prennent le dessus sur les mouvements des jambes ; c’est comme si l’actant par sa posture décolle pour nous amener vers un univers mystique.
En dernière partie, Sofiane Ouissi a porté un Manjour ; lequel est un instrument de musique utilisé en Arabie orientale mais d’origine Est-africaine. Cet instrument de musique, la vraie découverte de cette performance, est confectionné de sabots de chèvre attachés à un tissu. Lors de cette prestation, Sofiane Ouissi l’a attaché autour de sa taille et peu à peu a commencé à le secouer avec ses hanches créant ainsi un bruit de cliquetis lorsque les sabots s’entrechoquent. Il est à remarquer que la beauté de ce son a pris de l’ampleur avec l’accompagnement de cette musicalité produite par les mélodies du Oud de Jihed Khmiri.
Cet univers artistique nous rappelle l’œuvre « La conférence des oiseaux », un recueil de poèmes d’environ 4.500 vers du XIIe siècle, en langue persane, du maître soufi Farid Eddine Attar narrant le périple d’un cheikh dans la conduite de ses élèves à l’illumination : la culture au service de la nature. Un tableau dansant à revoir car aidant à réfléchir dans un monde qui nous habitue au suivisme.
Mohamed Ali Elhaou