Sommes-nous à la veille d’un effet Tequila ?

Par Hakim Ben Hammouda

 

C’est la question que se posent responsables politiques, financiers et experts après la publication, dans le courant du mois d’août 2013, du compte-rendu de la réunion de la Réserve fédérale qui a eu lieu en juin dernier. Ces « minutes », comme on les appelle outre-atlantique, même si elles ne révèlent pas de décision mais indiquent tout de même la tendance pour la Fed de mettre fin à ce que les experts appellent le Quantitative easing, comprenez la politique monétaire expansionniste, mise en place par les autorités américaines au pire moment de la crise financière globale. Cette perspective fait régner sur les marchés financiers de grandes inquiétudes et a mis les pays émergents dans une nouvelle tourmente. Une tourmente qui n’est pas loin de rappeler celle qui a précédé l’éclatement de l’effet Tequila à la fin de l’année 1994. 

L’expansionnisme fait partie des mesures de politique économique mise en place par l’administration américaine au moment fort de la crise pour sortir de la dépression et surtout éviter sa transformation en une grave déflation économique. Le Président de la Fed, Ben Bernanke, un des meilleurs connaisseurs de la crise de 1929 pour lui avoir consacré sa thèse de doctorat, savait mieux que quiconque que le resserrement de la politique monétaire lors de cette crise avait conduit l’économie mondiale à sa faillite. Par ailleurs, les tergiversations lors des premiers jours du mois de septembre 2008 sur le sauvetage de la Lehman Brothers, avaient conduit à sa faillite qui a failli emporter l’économie mondiale dans l’abîme. Du coup et dès les premiers jours de la crise, il a fait de la politique monétaire, un outil essentiel dans la lutte contre les effets récessifs de la crise. Il a surtout fait du quantitative easing un outil privilégié d’intervention sur les marchés en développant depuis 2009 trois programmes ambitieux. Ces programmes consistent en des achats massifs de bons de trésor qui permettent de maintenir les taux d’intérêt à des niveaux faibles. Dans le cadre de ces programmes, la Fed injecte près de 85 milliards de $ de liquidités pour racheter des actifs sur les marchés. L’expansionnisme monétaire ne s’est pas limité aux Etats-Unis. En effet toutes les banques centrales au monde se sont converties au pragmatisme américain y compris la très conservatrice Banque centrale européenne avec l’arrivée à sa tête de Mario Draghi. 

Ce changement de cap sous l’influence de Ben Bernanke a constitué une rupture majeure dans les fondements des politiques monétaires. En effet, depuis le début des années 1990, la lutte contre l’inflation était l’objectif majeur de ces politiques monétaires avec notamment la définition de zones cibles. Depuis, la croissance et l’emploi, particulièrement pour la Fed, sont devenus les priorités des politiques monétaires. Ces politiques ont pris un tournant expansionniste afin de mettre les économies mondiales sur les voies de la croissance. Ces politiques monétaires sont venues renforcer les politiques de relance budgétaire pour donner aux politiques économiques une inspiration keynésienne qui leur échappait depuis la victoire de la droite radicale dans les années 1980 et le retour en force des préceptes de l’orthodoxie économique.  

Mais, les discussions au sein du Conseil d’administration de la Fed, semblent ouvrir un retour à des politiques plus conventionnelles. Certes, il est prématuré de faire le bilan de ce changement de cap des politiques monétaires dans les années de crise. Certains n’hésitent pas à saluer ce retour aux politiques traditionnelles et estiment que l’expansionnisme monétaire et la disponibilité de l’argent facile ont dopé les marchés financiers et ont été à l’origine de la formation de nouvelles bulles financières. Mais, d’autres experts, plus nombreux, considèrent que les politiques monétaires non conventionnelles étaient nécessaires et qu’elles ont contribué au retour de la croissance mondiale même si elle est restée fragile. 

Une question essentielle liée à l’adoption des politiques monétaires expansionnistes concerne leurs effets sur les pays émergents. A ce niveau, la globalisation et l’interconnexion croissante des pays à l’échelle globale font que les décisions de politique économique interne dans les grands pays ont des effets sur le monde global. Ce fût le cas pour les politiques monétaires expansionnistes et la disponibilité d’importantes ressources financières sur les marchés des pays développés. Ces capitaux ont pris la direction des pays émergents, particulièrement ceux qui ont libéralisé leurs marchés de capitaux, pour bénéficier du différentiel de taux d’intérêt. Cependant, si ces flux ont mis à la disposition de ces pays d’importantes ressources financières particulièrement sur les marchés obligataires, ils ont contribué à un renchérissement des monnaies locales. Ces afflux de capitaux ont été à l’origine d’importantes inquiétudes dans les pays émergents et particulièrement de leurs entreprises industrielles qui ont vu leur compétitivité décliner du fait de la hausse des cours de leurs monnaies nationales. 

La perspective d’un changement de politique monétaire et la réduction du quantitative easing de la part de la Fed d’ici la fin de cette année et sa fin probable au milieu de l’année 2014 n’ont pas été sans effets sur les pays émergents. En effet, les investisseurs ont commencé à retirer leurs capitaux des pays du Sud pour les investir dans les pays développés qui commencent à connaître un retour de la croissance et dont le resserrement des politiques monétaires va entraîner un accroissement des taux d’intérêts et rendre les investissements plus alléchants. Ces sorties de capitaux pourraient déstabiliser les marchés de capitaux et surtout entraîner une forte baisse des cours des monnaies locales obligeant les pays à utiliser leurs réserves pour les soutenir. Un scénario qui n’est pas sans rappeler celui que les économies émergentes ont connu en 1994 où le resserrement de la politique monétaire américaine à partir du mois de février et le doublement du taux d’intérêt a été à l’origine d’un afflux important de capitaux. Ces sorties ont poussé le gouvernement mexicain qui a connu la plus grande sortie de capitaux à dévaluer le peso le 20 décembre, ce qui a eu pour effet une généralisation de la défiance et de la crise à tous les pays d’Amérique Latine.

Certes, on n’en est pas encore là et les autorités américaines hésitent encore à changer de cap en matière de politique monétaire. Cependant, les débats du Conseil d’administration de la Fed montrent que la sortie des politiques expansionnistes et le retour à des choix plus traditionnels, ne sont pas à exclure, ce qui met en ébullition les pays émergents depuis quelques semaines. Ces turbulences montrent, si preuve en est, que la coordination des politiques monétaires à l’échelle globale, est une question essentielle et espérons que les prochaines réunions du G20 apporteront des réponses coordonnées aux défis de l’économie globale. 

Un dernier mot sur l’impact de ce changement de cap sur les pays du printemps arabe. Certes, nos pays ne peuvent pas souffrir d’une sortie de capitaux mais le renchérissement des taux d’intérêt va alourdir les coûts de notre endettement et alourdir nos remboursements. Ces évolutions doivent nous emmener à renforcer les ressources internes de nos économies et leur mobilisation pour financer notre développement. Un moyen pour faire face à un contexte international des plus défavorables aux révolutions arabes.

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