Sommet Italie Afrique : Une autre facette de la gestion migratoire ?

Par Ghazi Ben Ahmed*

Rome accueille aujourd’hui le Sommet Italie-Afrique, rassemblant des représentant de plus de 25 pays dans un contexte où l’optimisme affiché peine à masquer les contradictions sous-jacentes. L’Italie, sous l’égide de la Première ministre Giorgia Meloni, proclame son ambition de « travailler pour le développement de l’Afrique dans un nouveau partenariat d’égal à égal« . Cette déclaration, toutefois, semble osciller entre espoirs naïfs et fourberie politique, révélant un potentiel jeu de dupes. D’un côté, l’Italie, avec Meloni (et sa coalition d’extrême droite populiste), affirmant son désir de contribuer au progrès de l’Afrique sous l’égide d’une coopération renouvelée et équilibrée. De l’autre, les pays africains exprimant leur mécontentement face à ce qu’ils perçoivent comme une ingérence européenne, tout en étant en quête d’un soutien financier et économique indispensable.
L’initiative phare du gouvernement italien, visant à mobiliser 5,5 milliards d’euros (en combinant les enveloppes de la coopération italienne et le fonds pour le changement climatique) pour le développement africain sur 5 à 7 ans, est accueillie avec scepticisme. Bien que les Émirats Arabes Unis et l’Arabie Saoudite aient manifesté leur soutien à travers des engagements financiers significatifs, la valeur ajoutée de ce sommet et la concrétisation des promesses restent incertaines. La volonté affichée de trouver des synergies (et des financements additionnels) avec d’autres programmes, tels que le Global Gateway de l’UE, soulève des interrogations quant à la viabilité et la sincérité des engagements pris, dans un contexte où les intentions et les résultats tangibles semblent plus qu’incertains.
Dans cette atmosphère de promesses incantatoires et de réalités politiques et électorales européennes à brève échéance, le Sommet Italie-Afrique pourrait bien s’avérer être un nouveau chapitre dans le long récit des jeux de dupes entre l’Europe et l’Afrique, où les discours d’égalité et de partenariat masquent souvent des dynamiques de pouvoir déséquilibrées et des intérêts divergents.

Fluchtursachenbekämpfung, littéralement « lutte contre les causes de l’immigration », demeure central
Un autre acteur européen avait précédemment exploré une démarche similaire, sans récolter les fruits escomptés : l’Allemagne. Cette dernière s’était engagée dans l’élaboration d’une politique africaine visant à renouveler ses liens avec les nations africaines, tout en cherchant à se distancer de la France, affectée par sa réputation d’ancienne puissance coloniale. « L’Allemagne rassure. Elle est très rationnelle et n’est pas dans le paternalisme. L’Allemagne profite des erreurs que les Français ont commises et adapte sa coopération avec les pays africains. Les Allemands ont l’organisation et la méthode de travail[1]. »
L’ambition de l’Allemagne à l’époque, tout aussi « louable » sur la forme que celle portée aujourd’hui par Meloni, prônait la fin de l’ère de l’aide au développement conventionnelle, en privilégiant l’orientation des investissements privés vers le soutien des énergies renouvelables et la préservation de l’environnement. Néanmoins, la crise migratoire constitue l’arrière-plan persistant de ces démarches, et l’Allemagne aspirait à établir un nouveau type de coopération apte à retenir sur place les jeunes aspirants à l’émigration. C’est donc en grande partie pour endiguer le flux migratoire que le gouvernement allemand avait articulé sa nouvelle stratégie africaine, incitant avant tout les entreprises allemandes à investir en Afrique.

Contexte géopolitique propice au renouvellement
Les temps changent et le contexte international n’est plus propice aux querelles stériles. Et l’actuel gouvernement allemand semble l’avoir compris. « L’Afrique grandit et change énormément. Son évolution façonnera le XXIᵉ siècle – et donc aussi l’avenir de l’Allemagne et de l’Europe ». C’est avec ces mots que la ministre allemande de la Coopération économique et du Développement, Svenja Schulze (SPD), a présenté  la nouvelle stratégie allemande pour le continent africain.
Cette nouvelle direction stratégique marque une volonté de transformer radicalement, sur la forme et le fonds, les relations entre l’Europe et l’Afrique. Le but est de transcender l’héritage colonial et d’ajuster le déséquilibre historique de pouvoir entre les continents. Les Européens doivent admettre que se reposer uniquement sur des liens historiques et géographiques, censés conférer un avantage face à des concurrents tels que la Chine, l’Inde, ou la Turquie, représente une mésinterprétation stratégique. Effectivement, plusieurs pays africains ont établi des liens significatifs non seulement avec la Chine et la Turquie mais aussi, de manière choquante après l’offensive sur l’Ukraine, dans le domaine de la coopération militaire avec la Russie.
L’hésitation de nombreux pays africains à se positionner clairement dans un conflit dont les enjeux moraux semblent manifestes choque le bon sens. Aujourd’hui, l’Afrique cherche à se libérer de ce passé et adopte une posture proactive. Elle souhaite désormais choisir ses partenaires de manière autonome, sans se laisser entraîner dans des alliances dictées par d’autres et en évaluant ses options selon ses propres intérêts. C’est dans ce contexte qu’il faut comprendre les critiques du ministre des Affaires étrangères tunisien lorsqu’il accuse la Communauté européenne de souffrir « d’un sentiment de supériorité », « elle pense que c’est un modèle à suivre, alors qu’en réalité il s’agit d’une minorité[2] ».
Il est temps de dépasser ces querelles stériles et de voire l’Europe pour ce qu’elle est, une chance et une opportunité pour le développement du continent et pour faire face ensemble aux défis globaux. Tout le reste est chimères.
Comme le dit si bien l’écrivain malien Amadou Hampâté Bâ : « Les partenariats entre nations ne devraient pas être des miroirs reflétant les asymétries du passé, mais des fenêtres ouvertes sur les possibilités d’un avenir partagé. »
Les destins de l’Europe et de l’Afrique sont inextricablement entrelacés. Actuellement, l’Union européenne se positionne comme le principal partenaire commercial de l’Afrique, concentrant plus de 30% des échanges commerciaux extérieurs du continent. L’Europe, face à sa quête de diversification énergétique, a besoin de l’Afrique pour son approvisionnement en gaz naturel.
Avec l’annonce de l’exploitation prochaine de vastes gisements de gaz sur la côte ouest africaine, dont des réserves estimées à 2,83 trillions de mètres cubes entre le Sénégal et la
Mauritanie, l’Afrique se profile comme un acteur clé. L’Algérie, classée dixième producteur mondial de gaz, ainsi que le Nigeria, l’Angola, l’Égypte et la Libye, détenteurs de riches gisements, pourraient devenir des pivots essentiels pour réduire la dépendance européenne au gaz russe.
Cependant, la réussite de cette stratégie nécessite une collaboration réciproque. L’Afrique se doit de combattre la corruption et la mauvaise gouvernance, fléaux longtemps négligés, voire exploités, par les pays occidentaux et qui persistent sur le continent.
De son côté, l’Europe doit reconnaître et appuyer l’ascension de l’Afrique sur la scène mondiale en alignant ses actions sur les priorités africaines sans faire de concessions sur les valeurs qui la fondent : respect de la dignité humaine, liberté, démocratie, égalité, état de droit, et respect des droits de l’homme, y compris ceux des minorités. Cette dynamique ne pourra s’épanouir que grâce à l’engagement harmonieux des États membres de l’UE, condition sine qua non pour une synergie avec les visions globales de la Commission européenne.
Toute stratégie unilatérale d’un État membre, focalisée principalement sur la gestion de l’immigration dans sa politique africaine, est intrinsèquement vouée à l’échec. Cela s’est notamment manifesté avec le Mémorandum migratoire entre l’UE et la Tunisie, impulsé par la première ministre italienne. Il y a lieu de craindre que le Plan Mattei ne représente qu’une extension de ce mémorandum, transformant les dirigeants africains réunis à Rome en de simples garde-côtes pour le compte de l’UE en échange de quelques micro-projets dans les énergies renouvelables, voire gaziers. Une telle orientation risque non seulement de miner la profondeur et la richesse des relations euro-africaines mais aussi de réduire les chefs d’État africains à des rôles périphériques, loin de la coopération équilibrée et mutuellement bénéfique qui devrait caractériser les liens entre les deux continents. Sans compter que leur présence à Rome légitime la politique raciste anti-migration de Giorgia Meloni et la blanchit des milliers de migrants déportés dans le désert libyen, et victimes d’exactions et de meurtres.
En conclusion, il est essentiel de reconnaître que l’Afrique ne peut être perçue comme un simple échiquier sur lequel se jouent les rivalités géopolitiques entre les États membres de l’Union Européenne ou entre l’Europe et le reste du monde. La dimension humaine et les aspirations des peuples africains doivent être au cœur de toute démarche de coopération internationale. Les politiques et les stratégies développées envers le continent africain doivent impérativement être guidées par le respect de sa souveraineté et par la volonté de répondre aux besoins réels de ses habitants.
Il est temps de transcender les visions réductrices et les intérêts purement stratégiques pour adopter une approche qui valorise le partenariat véritable, l’échange équitable et le développement durable. Les richesses de l’Afrique, qu’elles soient humaines, culturelles ou naturelles, ne devraient pas être les enjeux d’une compétition internationale, mais les fondements d’une collaboration respectueuse et mutuellement bénéfique.

*Président fondateur
du Mediterranean Development Initiative

[1] https://amp.france24.com/fr/20190210-france-edgard-kpatinde-afrique-allemagne-influence-parts-marche-image-investissements
2 https://www.agenzianova.com/fr/news/il-ministro-degli-esteri-della-tunisia-lue-soffre-di-senso-di-superiorita-ma-e-una-minoranza/

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