Le déficit de la balance commerciale constitue, avec le déficit du budget de l’Etat, l’un des principaux défis que connaît la Tunisie lors de sa transition économique. En effet, nous enregistrons depuis quelques années une détérioration de notre balance commerciale qui pèse lourdement sur l’équilibre courant et qui est à l’origine d’un grand nombre de difficultés dont la dégradation de nos réserves en devises étrangères et le glissement du dinar vis-à-vis des principales devises, en particulier l’euro et le dollar.
Les différents gouvernements ont cherché à arrêter cette descente aux enfers et cette détérioration de notre balance commerciale. La voie qui a été choisie est celle de la réduction des importations en imposant des droits de douane supplémentaires, particulièrement sur les produits en provenance des pays avec lesquels nous enregistrons les plus grands déficits, notamment la Turquie. J’ai toujours exprimé des doutes face à ces choix qui sont frileux et qui pourraient accroître nos difficultés économiques. D’abord, le recours à la baisse des importations par le biais d’une hausse des tarifs donne un mauvais signal pour les partenaires étrangers et une perception négative de l’évolution de la situation économique et des grands choix économiques du gouvernement. Ensuite, cette augmentation des droits de douane pourrait peser sur les coûts de fonctionnement des entreprises locales et par conséquent, diminuer leur compétitivité.
J’ai toujours été du côté de l’audace dans les choix de politique économique afin d’améliorer la situation macroéconomique. En l’occurrence en matière d’équilibre commercial, la relance des exportations constitue de mon point de vue la meilleure réponse et la voie à suivre pour améliorer notre équilibre externe. La relance des exportations passe cependant par l’amélioration de notre compétitivité et la sortie du modèle de spécialisation désuet hérité du début des années 1970.
A ce niveau, l’Institut tunisien de la compétitivité et des études quantitatives (ITCEQ) nous a fourni il y a quelques semaines, des éléments intéressants sur l’évolution de notre compétitivité dans un document intitulé « Compétitivité externe de l’économie tunisienne » (mars 2018). La lecture attentive des éléments avancés par l’ITCEQ nous permet d’avancer l’hypothèse que le véritable mal de la compétitivité de notre économie réside dans ce que j’appelle « la double dépendance ».
La « première dépendance » concerne la structure de nos exportations et la nature des produits exportés. En effet, si on examine de près nos exportations, on constate qu’après une forte tendance à la diversification, ce trend s’est stabilisé depuis 2008 et notre économie présente une structure moins diversifiée que nos principaux concurrents dont le Maroc, la Turquie ou la Bulgarie. Plus particulièrement, les exportations tunisiennes étaient concentrées entre 2005 et 2015 sur les textiles et les cuirs (29,4%) et les industries mécaniques et électriques (30,8%) qui ont enregistré les croissances les plus faibles de la demande mondiale, laquelle s’est située autour de 4,8% en moyenne annuelle au cours de la même période. Mais, cette spécialisation ne nous a pas permis de gagner des parts de marché. Bien au contraire, notre économie a perdu des parts importantes de marché au sein de l’Union européenne par rapport à certains de nos concurrents comme le Bangladesh, le Pakistan et la Pologne.
Ces éléments montrent l’épuisement de notre compétitivité. Certes, nous avons entamé depuis quelques années la transformation structurelle de notre économie et la transition vers des secteurs de haute technologie ; nos exportations dans ce domaine sont passées de 2,4 en 2000 à 9,6% du total en 2015. Mais, en dépit de ces progrès qui nous mettent en meilleure position que le Maroc avec seulement 5,3%, nos performances restent loin derrière la Chine ou la Malaisie dont le contenu en haute technologie de leurs exportations se situe respectivement à 30,4 et 43,2% en 2015.
La « seconde dépendance » concerne le marché où les exportations tunisiennes sont concentrées sur le marché européen, l’un des moins dynamiques par ces temps de globalisation. Le marché européen a reçu au cours de la période allant de 2005 à 2015 près de 73% de nos exportations. Mais, au cours de la même période, la demande du marché européen n’a augmenté qu’à une moyenne de 3,2% nettement derrière le marché du Proche et Moyen-Orient (10,1%), l’Afrique sub-saharienne (9,4%) ou l’Asie (7,4%). Mais, en dépit de cette concentration, nous avons perdu des parts sur ce marché vis-à-vis de nos principaux concurrents, notamment le Maroc.
Ainsi, cette double dépendance de nos exportations par rapport aux produits et aux marchés les moins dynamiques, pèse lourdement sur notre compétitivité. Et le rapport de suggérer quelques pistes pour échapper à cette situation. D’abord, au niveau des produits, cette étude dresse une liste de produits où nous avons enregistré une forte progression de nos exportations sur un marché mondial très dynamique au cours de la même période 2005-2015, dont les produits de l’aéronautique et de l’espace ( croissance des exportations tunisiennes de 43,2% et croissance de la demande mondiale de 7%), le matériel de télécommunication (16,9% et 7,5%), les appareils d’optique (15,7% et 5,7%), les produits de l’horlogerie (10,8% et 7,9%) et les produits pharmaceutiques (10,5% et 7,2%). Le même rapport suggère également une plus grande diversification des marchés et une présence plus accrue sur les marchés en forte croissance.
La question de la détérioration de notre balance commerciale n’est pas une simple question technique qui peut être réglée comme ont cherché à le faire plusieurs gouvernements par des mesures conjoncturelles dont l’accroissement des tarifs douaniers. Il s’agit d’une question structurelle qui touche les fondements de notre compétitivité et qui passe par l’élaboration de politiques audacieuses afin de rompre avec « les deux dépendances » et d’inscrire notre économie sur une nouvelle voie de croissance portée par les produits et les marchés dynamiques, et qui sera au cœur de notre transition économique et du nouveau modèle de développement. n