“ Sous la bannière du vautour, des salafistes djihadistes tunisiens ” de Hédi Yahmed: Les semeurs du chaos

 

livre hédi yahmed

Par Mohamed Ali Ben Sghaïer

Premier pays fournisseur de djihadistes à destination des «marchés» traditionnels (Afghanistan, Somalie, Tchétchénie, Irak…) et «nouveaux» (Syrie, Libye, Mali…) avec plus de 3000 combattants, sans oublier les 10.000 jeunes empêchés de partir au front, La Tunisie fait face à la situation la plus délicate de son histoire.

Rares sont les études et les recherches sérieuses qui ont étudié et décortiqué le phénomène du djihadisme. Ce phénomène multiforme, complexe est toujours difficile à enrayer.

Le livre de Hédi Yahmed, “ Sous la bannière du vautour, des salafistes djihadistes tunisiens” (Tahta rayet aloukab, salafyoun jihadyoun tounisiyoun), fraîchement publié aux Editions Diwan, vient mettre sous les feux de la rampe des points et aspects très particuliers de ce «monstre» qui met en péril toute la région arabe.

A travers  un travail de synthèse qui représente le résultat de nombreuses enquêtes, des interviews avec des figures du salafisme djihadiste en Tunisie, telles que Seifallah Ben Hassine alias Abou Iyadh, Selim Kantri alias Abou Ayoub, des portraits d’icônes emblématiques de l’idéologie djihadiste comme Al Khatib Al Idrissi, Hédi Yahmed nous éclaire sur le parcours d’un phénomène qui reste toujours ambigu pour les Tunisiens.

En se basant sur des informations recueillies auprès de sources fiables, des témoignages, des histoires réelles qui retracent les parcours des djihadistes tunisiens, le livre nous présente une lecture très intéressante des circonstances du djihadisme en Tunisie.

 

Trois générations de djihadistes

Dans son livre, le rédacteur en chef de Hakaek online, a cherché minutieusement dans les origines de la radicalisation de certains Tunisiens et leur engagement, au nom du djihad, dans des groupuscules terroristes. Pour ce faire, Hédi Yahmed revient longuement sur les moments historiques marquants de ce phénomène et ses processus d’évolution.

Pour l’auteur,  le djihadisme en Tunisie est passé par trois périodes cruciales. En 1992,  le régime de Ben Ali a frappé fort contre les islamistes, alors qu’environ 20.000 islamistes, appartenant au mouvement Ennahdha – MTI à l’époque – furent emprisonnés, des dizaines de jeunes tunisiens ont fui le pays de peur d’être poursuivis. Durant cette décennie (jusqu’à 2001), les djihadistes de «l’exil» ont eu l’occasion de renouer des relations étroites avec des réseaux djihadistes internationaux. «De Londres à Milan, en passant par Paris et Bruxelles ainsi que d’autres capitales européennes,  des icônes du djihadisme tunisien ont entrepris de nombreuses tournées, leur permettant ainsi d’atteindre Islamabad, Kaboul, Jalalabad et d’autres villes afghanes».

Le congrès de 2000, tenu à la maison d’hôtes réservée aux combattants tunisiens, à Jalalabad (ville de l’Est de l’Afghanistan) a donné lieu à la création du Groupe combattant tunisien (Aljamaa attounissia almoukatila). C’était le couronnement d’un processus mené  par une première génération de djihadistes tunisiens.

Pour l’auteur, l’attentat-suicide de la Ghriba (Djerba) survenu le 11 avril 2002 et faisant 19 morts, représente une date-clé quant à l’apparition d’une nouvelle génération. Nizar Naouar, l’auteur du crime est le symbole de la transition entre la première génération construite et formée à l’exil et la deuxième génération résidant en Tunisie.

Cet acte terroriste, largement condamné et rejeté  par la population choquée et accablée, devint le catalyseur d’une vaste campagne sécuritaire contre un grand nombre de jeunes salafistes qui rêvaient, entre autres, de rejoindre le front irakien après l’invasion américaine en 2003. Suite à l’adoption de la fameuse loi antiterroriste, le 10 décembre2003, près de 2000 salafistes se sont trouvés derrière les barreaux que l’auteur qualifiera de djihadistes des geôles.

La troisième génération qui est apparue après la Révolution de 14 janvier 2011, représente un «cocktail» de djihadistes. Outre les djihadistes de la première génération qui ont profité de la chute du régime de Ben Ali pour rentrer au bercail, l’amnistie générale  décrétée par le gouvernement de transition de Mohamed Ghannouchi a permis à de nombreux salafistes de la deuxième génération impliqués dans des actes terroristes notamment celui de Slimane en 2007, de retrouver leur force, de se réorganiser de nouveau, d’endoctriner et de recruter des jeunes pour le djihad. Les «djihadistes post-Révolution», sont désormais à l’assaut de la société tunisienne. Ses valeurs et ses élites sont dans le viseur des semeurs du chaos.

Les assassinats de Chokri Belaïd et de Mohamed Brahmi dont l’implication du groupe Ansar Al Charia est avérée, furent un tournant décisif dans l’histoire du Pays. La classification du groupe dirigé par Abou Iyadh,  en tant que groupe terroriste a été le coup d’envoi à une guerre sans merci contre le terrorisme. Dès lors, le front contre les adeptes de ce courant agressif et sanguinaire est ouvert.

Bien qu’il n’apporte pas de révélations inédites, le livre de notre collègue Hédi Yahmed raconte d’une manière originale des évènements et des histoires choquantes.

Ce livre devrait ouvrir la voie à une réelle étude, non seulement sur le phénomène du djihadisme, mais plutôt sur l’idéologie de l’islamisme politique même. Cette idéologie de «l’idéal blessé» comme la qualifie le psychanalyste et chercheur Dr. Fethi Ben Slama, représente pour certains de nos jeunes et adolescents une échappatoire et un refuge contre le sentiment d’injustice et de l’incapacité de réagir qui les habite.

En définitive, le livre de Hédi Yahmed est une véritable mine d’informations bien recoupées, dans un style agréable et facile à lire d’un apport certain pour tous ceux qui s’intéressent à ce fléau des temps modernes ainsi qu’aux profanes.

Se refusant de présenter une tentative d’analyse ou de qualifier son ouvrage d’enquête journalistique, Hédi Yahmed a voulu présenter sobrement et sans aucune prétention un état des lieux à travers une série d’histoires narrées avec humilité qui accrochent et invitent à la lecture.

A consommer avec modération.

Hédi Yahmed , “ Sous la bannière du vautour, des salafistes djihadistes tunisiens ” Edité par Diwan éditions

243 pages

Prix 15 dinars

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