Commençons par une évidence afin de couper court à tous les malentendus : «Les traits structurels des régimes démocratiques sont bien les élections», affirme Raymond Aron. Le «règne» (cratos) du peuple (démos) se résume aussi à l’élection. Mais il ne suffit pas de faire triompher cette «bonne dimension», selon la très célèbre formule d’Aristote, car en passant du rêve à la théorie, notre rapport à la réalité risque de perdre une part de son innocence pour laisser place au soupçon. Depuis 2011, les lois dites de «démocratisation» se sont multipliées sans empêcher les dérives qui, lorsqu’elles se produisent, jettent l’opprobre sur l’ensemble de la machinerie politique et accroissent l’ampleur de la défiance. L’apparent respect, souvent, des règles du jeu démocratique ne saurait cacher la réalité d’un dérapage dramatiquement inquiétant. Alors, il est bon parfois, que notre «conviction démocratique» vacille, qu’elle hésite, qu’elle s’interroge, qu’elle se découvre vulnérable. L’histoire des élections, depuis l’Antiquité grecque, romaine et carthaginoise, est parsemée de manœuvres autoritaires, voire totalitaires. Parler des élections en Tunisie et des défis qu’elles rencontrent, c’est soulever d’emblée une multitude de questions : où en est notre jeune et très vulnérable démocratie par rapport à l’évolution démocratique dans le monde? Les élections dans nos contrées tiennent-elles face au retour sur la scène politique des intégristes obscurantistes avec leurs fâcheux desseins et leurs dangereux projets ? L’islamisme est-il soluble dans la démocratie ? Comment croire en une démocratie qui n’a été durant la décennie de braise qu’une recette pour une politique instable et versatile, sujette aux caprices des extrémistes, dans laquelle lobbyistes et agents étrangers d’influence règnent en maîtres ? Comment pourrons-nous promouvoir la démocratie dans notre pays si sa définition est encore en question ? Nous vivons la crise d’une démocratie naissante, prise sous les feux croisés des menaces émanant de l’islamisme, de la montée des démocratures, ainsi que des officines droits-de-l’hommistes à sens unique, qui la détruisent de l’intérieur. Le dilemme pour les uns est vertigineux: faut-il renoncer à la démocratie pour endiguer cette érosion dramatique, ou attendre que celle-ci ait raison de la démocratie, voire de tous nos acquis dans ce domaine ? Non. Car l’équation est heureusement simple : bien que l’esprit démocratique ne soit pas encore largement manifesté, nous savons avec certitude qu’il existe. La tâche est de transformer cette force latente en force dynamique. Dans ce contexte, je considère que dénoncer ces torts ne revient pas à discréditer mais bien à renforcer l’élection démocratique et la crédibilité pour y parvenir. Nous devons avoir le courage de réformer notre jeune démocratie en profondeur pour que les Tunisiens aient davantage le sentiment que cette démocratie est la leur, et non celle de turbans afghans, de suceurs de sang, de terroristes en sursis et de brebis galeuses. Le redressement de notre pays part de cette réforme. C’est une exigence démocratique, certes, mais aussi et surtout politique, culturelle et sociale. On est obligé d’assumer un nouveau cap et une nouvelle vision. Sinon, paradoxalement, les élections deviennent aberrantes et ne servent qu’à gérer le flou et l’incertitude.
La question n’est pas d’organiser des élections et de savoir qui sera le gagnant, mais plutôt comment éviter les risques de dérapages et empêcher que certains extrémistes et terroristes, ennemis de la liberté et de la démocratie, montent aux postes de décision. Dans notre scène politique, on connaît trop bien les noms de plusieurs prétendants dont l’arrivée au pouvoir, pendant la décennie de braise, ne fut qu’un crime contre la démocratie et un complot contre les aspirations de notre peuple. Ce sont eux qui ont propagé le terrorisme et soutenu la tendance vers le chaos. Alors, soyons sérieux ! g
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