La décision des autorités chinoises, plus particulièrement des responsables de la Banque centrale de la République populaire de Chine ou la fameuse PBoC, de laisser le cours du yuan fluctuer de 2% autour du taux atteint la veille, a mis les marchés mondiaux en émoi. En effet, en l’espace de quelques jours, on a assisté à une forte dépréciation de la monnaie chinoise par rapport au dollar. Cette décision est venue rompre le calme des marchés en cette fin d’été et donner des sueurs froides à l’ensemble des acteurs mondiaux. Ainsi, les marchés financiers mondiaux, calmes jusque-là en attente du retour des goldens boys de leurs vacances dorées, sont en plein désarroi signe d’une grande incertitude et d’une inquiétude des investisseurs.
Et, les raisons de cette inquiétude et des interrogations sont double. D’abord, les questions concernent l’état de l’économie chinoise. Il faut dire que la décision des autorités avaient pour objectif de doper une croissance qui a commencé à fléchir dangereusement avec des estimations qui la situeraient nettement en dessous des 6% prévus par le FMI pour l’année 2015. En effet, les projections récentes de la croissance chinoise pour cette année la situeraient plutôt entre 5 et 6% pour l’année en cours. Un taux fiable pour aider la Chine à relever ses défis internes notamment en termes de création d’emplois et d’équilibre régional. Mais, ce décrochement de la croissance est une mauvaise nouvelle pour l’économie mondiale dans son ensemble dans la mesure où la Chine est restée le dernier pôle de croissance dans un monde où la « croissance médiocre », pour reprendre les termes de Christine Lagarde, la Directrice générale du FMI, a tendance à s’imposer et à devenir l’horizon difficile à dépasser de l’économie mondiale.
En effet, progressivement la Chine est devenue une locomotive importante de l’économie mondiale par son poids dans la croissance mais aussi sa place dans le commerce. Quelques chiffres suffisent à montrer le poids de l’empire du milieu dans le monde d’aujourd’hui. D’abord, la Chine a représenté durant les dix dernières années près du tiers de la croissance mondiale. Ensuite, elle consomme près de 50% de la demande mondiale de charbon et de nickel, 40% de celle du cuivre et de zinc. La Chine absorbe également 15% des exportations de l’Asie du Sud-Est. Ainsi, elle est devenue un acteur majeur de l’économie mondiale et par sa croissance forte depuis la crise de 2009 a maintenu l’économie mondiale sous perfusion et l’a empêchée de sombrer dans une déflation grave. Or, depuis que la croissance a commencé à décrocher dans l’empire du milieu les pays émergents, particulièrement ceux qui tirent une partie de leur croissance des exportations de matière première comme la Russie, sont rentrés en récession. Par ailleurs, les marchés de matières premières ont sombré avec le recul de la demande chinoise et leurs cours sont au plus bas.
Ainsi, la croissance chinoise semble connaître une panne, ce qui est de nature à mettre le monde entier en émoi sur l’avenir de la croissance mondiale. Est-ce la fin de la Chine comme semblent le suggérer certains analystes ? Nous pensons que l’économie chinoise est rentrée dans une phase de transition et de transformation structurelle depuis quelques années pour passer d’une spécialisation à faible coût de main d’œuvre à une spécialisation à fort contenu technologique. Cette transition économique et la montée de filières de l’économie chinoise mettront du temps et se traduiront par des moments de faible croissance qui auront des effets sur l’économie mondiale.
Le monde devrait par conséquent se préparer à un défi supplémentaire qui est celui de la faiblesse de la croissance chinoise et y trouver des réponses pour sortir de la « croissance médiocre ». C’est la voie à laquelle se préparent les autorités américaines qui pourraient retarder un resserrement de la politique monétaire annoncé depuis longtemps mais toujours retardé. C’est ce que devraient également faire les grandes puissances économiques mondiales et la plupart des pays et sortir des politiques d’austérité en construisant localement les sources de leur croissance et non pas en espérant la tirer des marchés mondiaux.
Le second motif d’inquiétude de la décision chinoise concerne son avenir. En d’autres termes, les autorités chinoises s’apprêtent-elles à favoriser d’autres dépréciations ou se limiteraient-elles à cet ajustement ? Certains pensent que les autorités chinoises vont tout mettre en place pour favoriser un retour en force de leurs exportations et par conséquent de leur croissance économique. Ceci pourrait entraîner d’autres dépréciations, ce qui encouragerait une nouvelle « guerre des monnaies ». D’ailleurs, certains pays asiatiques, notamment le Vietnam, la Malaisie ont déjà procédé à des dévaluations de leurs monnaies pour éviter des pertes de compétitivité.
Or, cette politique nous paraît difficile à tenir dans la mesure où elle pourrait entraîner l’hostilité des autorités américaines où la Chambre des représentants est allée en avril 2010 jusqu’à adopter une série de mesures de riposte contre la Chine dont la monnaie était soupçonnée de sous-évaluation. Par ailleurs, ces dévaluations sont à l’origine d’une sortie de capitaux. Certaines indications soulignent d’ailleurs que les réserves chinoises ont baissé de 345 milliards de $ en une année entre juin 2014 et juin 2015 et qu’au mois de juillet 2015, elles ont fondu de près de 45 milliards de $. Ce mouvement ne se limite pas à la Chine d’ailleurs et les sorties de capitaux des pays émergents au cours de la même période se sont élevées à 1000 milliards de $, un montant supérieur à celui de l’après crise de 2009. Mais, un mouvement qui est significatif des limites des dévaluations monétaires pour doper la compétitivité.
Ainsi, l’économie mondiale ne cesse d’avoir des sueurs froides suite aux incertitudes chinoises. Des développements qui ne font qu’assombrir un peu plus le ciel de la croissance mondiale et la quête d’une croissance « introuvable ». Mais, ces tensions mettent l’accent sur l’importance des marchés nationaux et la nécessité de rompre avec les politiques d’austérité afin d’opérer une relance mondiale concertée et sortir du mythe « en attendant Godot » de la croissance mondiale.