L’Institut national de la consommation a réalisé en décembre 2018 et janvier 2019, une enquête par sondage concernant 3015 chefs de ménage, selon un échantillon représentatif pour ce qui est de la répartition régionale et socioprofessionnelle portant sur l’endettement familial.
Tarek Ben Jazia et son équipe ont fait part de leurs constats sur l’évolution et l’aggravation de cet endettement qui a connu des modifications sensibles en 2018 par rapport aux années 2010 et 2011.
Il faut dire qu’il n’y a pas dans notre pays de statistiques complètes, englobant la totalité des crédits à la consommation dont bénéficient les ménages portant aussi bien sur les crédits bancaires centralisés par la BCT, que sur ceux accordés par les caisses sociales, les fonds sociaux des entreprises, les crédits-fournisseurs octroyés par les commerçants…
Il faut se contenter des statistiques de la BCT qui indiquent selon l’INC un encours en 2018 de 24 milliards de dinars, soit une croissance de 127% par rapport à décembre 2010.
Cependant, 2018 est tune rupture avec la croissance constatée jusqu’en 2017. Elle constitue un tournant décisif dans l’endettement bancaire avec la flambée des taux d’intérêt exigés par les banques. En effet, les crédits bancaires à la consommation ont baissé de 58% en 2018 par rapport à 2017 selon l’INC. Les Tunisiens se trouvent alors privés d’une ressource financière importante qui permettait de rééquilibrer provisoirement leur budget en attendant une promotion professionnelle, une augmentation de salaire, ou bien des jours meilleurs, ou encore l’accès à l’emploi d’un jeune diplômé issu de la famille.
Parmi les constats faits par l’INC, on relève ce qui suit : 43% des familles ont contracté au moins un crédit en cours de remboursement, alors que ce taux n’était que de 29% en 2014. L’accélération est vertigineuse, 20% des familles endettées ont contracté deux crédits et 10% remboursent trois crédits ou plus. C’est dire l’étendue de l’endettement généralisé des ménages tunisiens.
27% des familles considèrent désormais l’endettement comme une nécessité constante pour la gestion de leur budget, étant donné la détérioration de leur pouvoir d’achat à cause de la flambée des prix, constatée chaque année depuis 2011.
Il s’agit du noyau dur, où l’on atteint le niveau record du surendettement.
Le taux de remboursement atteint parfois 60% des ressources du ménage : c’est l’enlisement.
20% des ménages endettés reconnaissent qu’ils utilisent les nouveaux crédits pour rembourser les anciens. Ainsi, un nouveau palier dans le cercle vicieux de l’endettement vient d’être franchi par ces ménages.
Cette tendance pernicieuse est grave de conséquences pour l’équilibre de la famille et la stabilité de la société. Elle mérite des solutions structurelles à court et long termes.
L’endettement du Tunisien est en train de connaître non seulement une croissance vertigineuse mais aussi un changement de nature, une modification structurelle.
En effet, on s’endette de moins en moins pour investir : construction ou amélioration du logement, mais pour assurer ses dépenses quotidiennes et veiller sur l’éducation et la santé de sa famille.
Il s’agit là d’une tournure grave prise par le coût de la vie et par des comportements sociaux subséquents.
C’est alors que les dérives et les dérapages commencent à se multiplier en matière d’endettement des familles avec d’une part, la recrudescence des impayés relatifs aux remboursements des crédits à la consommation et d’autre part, l’émergence pernicieuse du crédit parallèle.
En effet, certains commerçants ont recours à de faux contrats de fournitures d’appareils électro-ménagers avec les citoyens en désarroi qui ont un besoin pressant de liquidités et ne peuvent pas accéder aux crédits bancaires.
Moyennant une cession délégation mensuelle sur salaire au profit du commerçant, le citoyen obtient un “prêt” dont il remboursera le double au bout de 12 ou 18 mois, soit un taux d’usure condamné par la loi. Il y a là des pratiques intolérables et condamnables.
Les pouvoirs publics doivent prendre des mesures pour mettre fin à ces pratiques toxiques qui peuvent aller depuis la création d’un médiateur bancaire à caractère social, au développement des transferts sociaux et de la compensation en faveur des ménages les plus démunis en passant par la montée en puissance de la solidarité sociale.