Sept ans après, hormis l’immobilisme pesant, le processus de transition démocratique fait face, plus que jamais, à de grandes incertitudes et le pays connaît une impasse dont la grande caractéristique est le délitement de l’Etat, l’absence d’une visibilité et de perspectives qui permettent aux Tunisiens d’avoir des raisons d’espérer et plus de confiance en l’avenir.
Malgré toutes les promesses que la Révolution a fait naître chez toutes les couches sociales pour la liberté, la dignité et le développement partagé, un profond désenchantement perdure sur les fronts politique, sécuritaire, économique et social. Le changement tant espéré tarde à se manifester, les promesses annoncées n’ont pu être concrétisées et ceux qui ont été le feu follet de ce grand chamboulement se trouvent, encore une fois, exclus de toute forme de participation et de toute action de développement.
Sept ans après, un sentiment d’inachevé domine, voire même de frustration. Au fil des ans, on a l’impression que rien ne bouge, que le pays reste plombé, ne trouvant pas comment se libérer de contradictions qui ne finissent pas de l’enchaîner et de le tirer vers l’arrière. Le déclic n’a pas encore eu lieu, à cause de l’incompétence des uns, l’insouciance et l’égoïsme des autres. En corollaire, on a eu droit à une vie politique qui a été biaisée par un jeu obscur de partis politiques dont la reproduction quelque peu anarchique n’a produit que rejet et manque de confiance. Il en résulte que les gouvernements successifs qui se sont relayés dans un laps de temps très court ont été incapables de conduire le changement et impuissants à faire prévaloir le droit et la loi. En raison de leur extrême fragilité, ils ont été inaptes par leur composition partisane à convaincre et à éviter au pays bien des tourments.
Sept ans après, l’optimisme a cédé le pas à des questionnements lancinants, la ferveur au doute et l’engagement au désintérêt. Aujourd’hui, à cause de l’incompétence omniprésente, la jeune démocratie est en panne, l’ économie en berne, les libertés publiques sont menacées et les finances publiques sérieusement mises à rude épreuve. La classe politique, les élites, les organisations nationales et les organisations de la société civile ne cessent de ramer à contre-courant en faisant montre d’une incapacité notoire à trouver un compromis qui permet de mener les réformes essentielles et de repenser dans la sérénité un modèle de développement alternatif qui mettrait un terme au replâtrage et à l’approximation qui ont mis le pays au bord du précipice.
Sept ans après, la Révolution tunisienne qui a nourri bien des espoirs et qui est suivie avec beaucoup d’intérêt de par le monde, est à la croisée des chemins.
Outre la fragilisation de l’Etat, ce qui pose problème, ce sont la fragmentation de la vie politique et l’absence d’un véritable débat public, la fracture qui existe entre la classe politique et le reste de la population. Le pays compte plus de 210 partis politiques qui ne présentent ni programmes ni perspectives. D’où un sentiment de frustration qui ne cesse de se nourrir dont la manifestation la plus tangible est la désaffection des jeunes du jeu politique. Les prochaines Municipales, prévues en mai prochain, après leur report à trois reprises, risquent de marquer la faillite des partis politiques puisqu’on s’attend, comme le montraient de nombreux sondages, à un très fort taux abstentionnisme pouvant atteindre 70% du corps électoral qui ne se reconnaît plus dans sa classe politique. L’inflation des partis n’a pas été synonyme de consistance, ni de promotion d’un véritable débat public sur les problématiques de fond. Notre classe politique, déchirée, désorientée et coupée des réalités, a pour souci majeur l’accaparation du pouvoir et des postes de responsabilité.
Ce décor ne peut pas être complet si l’on omet de mentionner les pistes glissantes empruntées par un processus de justice transitionnelle qui s’est transformé en instrument d’inquisition instrumentalisée par certaines parties, non pour rechercher la vérité, favoriser la réconciliation nationale et fermer une page sombre de notre passé, mais pour régler des comptes politiques et réécrire autrement l’histoire du pays.
Les dérapages que connaît l’Assemblée des Représentants du Peuple, constituent un autre aspect de l’impasse dans laquelle se trouve engluée la transition démocratique.
En effet, l’ARP s’est transformée par l’inconscience des élus en une arène de luttes politiques et de surenchères stériles qui l’ont éloignée de sa mission naturelle qui est celle de se consacrer à renforcer l’édifice démocratique, à initier les réformes et à se prévaloir en contre-pouvoir et en gardien de la nouvelle Constitution.
A l’aggravation des difficultés économiques s’ajoutent l’approfondissement du malaise social qui se manifeste par un chômage endémique des jeunes, une détérioration des conditions de vie dans les régions intérieures du pays, et des services sociaux, notamment en matière d’éducation et de santé et par l’impossibilité de parvenir à une paix sociale. Nonobstant ce tableau quelque peu sombre, la Tunisie n’est pas un cas désespéré. Seul un sursaut d’orgueil est à même de permettre à cette expérience inédite de se renforcer et de produire pleinement ses fruits. Il va falloir que toutes les forces vives de la nation se mettent en ordre de bataille pour réinventer des solutions qui permettent d’appréhender nos problématiques dans un esprit serein et responsable, de réinventer un consensus, de réhabiliter l’effort et le mérite et de restaurer l’autorité de l’Etat, garant des libertés et du respect de la loi.