Pour comprendre ce qui se passe en Syrie, il faudrait relire l’histoire mouvementée de ce pays depuis la chute des Omeyyades en 750 après la défaite de leurs troupes à la bataille du Grand Zab. Pourquoi maintenant ? Parce que l’histoire se pense, et entre autres par analogie. Structurellement, à chaque époque ses bourreaux. À chaque époque le carnage qui les fait naître. À chaque époque donc, ses zones obscures qui produisent un effet de cisaille sur la conscience du temps. Il va sans dire que l’histoire ne détient aucune réponse. Mais toute exploration de ses événements montre qu’elle est indispensable dans les tentatives de reformuler les questions et d’y voir plus clair. La Syrie vit, depuis l’invasion des jihadistes le 8 décembre 2024, sur un volcan en éruption et les marionnettes, actionnées par diverses puissances mondiales et régionales sur sa scène, ne cessent de se multiplier. Des alliances suspectes se nouent pour souffler tous les repères d’appartenance et l’ennemi déclaré peut devenir en un rien un ami discret. Les plus grandes marionnettes de ce cirque de l’abjection sont sans doute les jihadistes qui, chaque fois qu’on scrute attentivement les traits de leurs visages quand ils commencent à délirer en postillonnant, tirant orgueil d’être des agents à la solde de l’ennemi de leur patrie, on se rappelle la secte des «hachachines» (les assassins) qui ont commis les crimes les plus abominables entre le douzième et le treizième siècle. C’est le grand explorateur Marco Polo et à sa suite les historiens des Croisades qui leur ont donné cette appellation, parce qu’ils consommaient des drogues avant de s’adonner à leurs crimes. Nombreuses sont leurs victimes parmi les notables et les gens du peuple, et à leur tête le Calife abbasside Al-Mostarched. De même que Saladin qui a failli tomber dans l’un des complots qu’ils ont ourdis contre lui. Les «assassins» sont une secte qui a habité les montagnes de la grande Syrie et de la Perse, s’isolant ainsi de la civilisation. Une lecture approfondie des évènements historiques et de l’interprétation des relations douteuses entre les sectes dans cette région du monde musulman est susceptible de nous faire découvrir combien les jihadistes qui ont envahi dernièrement la Syrie sont imbibés de l’esprit des «assassins», leurs chefs spirituels ayant les mêmes matrices idéologiques et les mêmes pratiques terroristes. Abou Mohamed al-Joulani, chef du front terroriste al-Nosra (aujourd’hui : Hayat Tahrir al-Cham), qui se vante d’être l’»ami» et l’«allié» d’Israël, les yeux fermés, la tête chancelante, la langue pâteuse, n’est que la continuité «objective» de ceux qui ont écrit les pages les plus sombres de l’histoire de la Syrie par leurs épées maculées du sang de la trahison. Quoique «Hayat Tahrir al-Cham» soit une secte dérivée de l’extrémisme sunnite et les «assassins» soient issus de l’«ismailisme» chiite, les deux sectes ont les mêmes dérives terroristes : tuer au nom de Dieu et régner au nom d’un gourou sectaire. Il faut reconnaître, en fin de compte, que saisir ce qui se passe dans la tête des jihadistes, au pouvoir en Syrie, demeure une interrogation vertigineuse, probablement sans fin. Il y a ce qui s’explique et ce qui ne s’explique pas. Les discours victimaires, l’apologie de l’extrémisme sectaire, le dénigrement des valeurs humaines peuvent être atténués, mais cela ne les rend pas moins énigmatiques et la matrice terroriste ne peut s’éteindre, parce qu’elle touche à ce qui est à la fois le plus clairement exprimé et le plus volontairement dissimulé.