Système bancaire: Une réforme partielle et incomplète

La réforme du système bancaire est un processus global et intégral, une sorte de mise à niveau, condition nécessaire pour engendrer l’efficacité escomptée, d’un système en grande difficulté.
Loin d’être un objectif en soi, c’est un moyen pour booster la croissance et financer les entreprises économiques.
Or le gouvernement semble-t-il, n’a ni la ferme volonté ni la compétence suffisante pour mener de front l’ensemble du projet. Alors on se contente du « spectaculaire », des mesurettes peu efficaces, partielles et partiales : la recapitalisation, une solution de facilité efficace peut-être à court terme.
Réalités fait le point de la situation.

Un système bancaire effrité et peu compétitif
Les experts financiers et bancaires sont tous conscients mais occultent le fait que la Tunisie est un « petit marché », alors qu’il y a beaucoup de petites banques, sans gros moyens financiers, incapables de financer de gros projets. Le système bancaire tunisien est effrité et morcelé, même si certaines banques privées sont adossées à de grands groupes bancaires internationaux comme l’UIB, l’UBCI et l’ATB.
Outre le manque de fonds propres, ces banques souffrent de 10 à 30% de créances carbonisées.
Il y a environ 10 ans, l’ABC Bank avait osé financer l’achat d’un avion TUNISAIR, elle a connu suite à cela une grande difficulté.
Cela justifie le fait que plusieurs banques créent un consortium avec un chef de file pour financer un projet en partageant ainsi les risques mais aussi leur contribution au financement du projet : TUNISAIR est contrainte de s’adresser à des banques étrangères pour financer l’acquisition d’un avion A320-200 et deux A330-200 avec la garantie de l’Etat pour 230 millions d’euros.
Les banques utilisent leurs fonds propres pour financer leurs immobilisations : construction de sièges prestigieux, aménagements et agencements d’agences,… les crédits sont octroyés à partir des dépôts à terme des clients et des comptes épargne. Or depuis le 14 janvier 2011, diverses craintes conjuguées au manque de confiance ont incité les déposants à retirer leur argent soit pour consommer, soit pour le déposer dans des coffres-forts chez eux (achats quotidiens sur le bord des routes). Il faut dire que la rémunération de l’épargne dans notre pays est si dérisoire (2 à 2,5% par an) que celui qui épargne perd du pouvoir d’achat puisque l’inflation est le double (5 à 5,7% par an) de l’intérêt escompté par l’épargnant.
La crise de trésorerie qui a frappé les banques tunisiennes a pour origine en partie la crise économique qui frappe le pays depuis 2011 et qui a provoqué la recrudescence des créances carbonisées. Elle a engendré aussi le resserrement des crédits qui s’est répercuté de façon douloureuse et négative sur le dynamisme et l’activité des PME.
Il faut dire que la gouvernance des banques publiques laisse beaucoup à désirer, ce qui a conduit à accorder des crédits à des projets non rentables, sans garanties réelles suffisantes, par complaisance sinon par corruption.

Cession des participations minoritaires de l’Etat
Le ministère des Finances avait fait adopter, lors du vote par l’ANC en 2014 de la loi de Finances complémentaire, la création d’un fonds national destiné à soutenir les banques publiques. Ce fonds devait être alimenté par la cession des participations minoritaires de l’Etat au capital des banques privées. En effet, l’Etat tunisien détient des participations directes et indirectes variant entre 5% et 25% au capital de 7 banques privées.
Même si ces participations donnent droit à un ou plusieurs sièges au conseil d’administration, elles ne permettent pas à l’Etat d’avoir un rôle décisionnel ni a récolter des bénéfices juteux pour le compte du trésor public, si on excepte les jetons de présence empochés par les fonctionnaires-administrateurs. Il serait donc plus logique que l’Etat se désengage de ces banques pour mieux concentrer ses moyens sur ses propres banques.
Cependant, il faut croire que ce fonds n’a pas été activé à ce jour : il est resté lettre morte alors que l’Etat a besoin de cet argent pour renforcer ses propres banques, en difficulté. Il y a là une carence qui mérite d’être comblée.
L’assainissement du portefeuille s’impose d’urgence
La grande défaillance constatée parmi les indicateurs des banques publiques consiste en un taux élevé des créances carbonisées. Ce taux est de l’ordre de 24% pour la BH et grimpe à près de 30% pour la STB. Ces taux sont très élevés et constituent un handicap majeur vis-à-vis de la rentabilité et de la santé financière des banques.
Ils sont révélateurs d’une non-maîtrise des risques et de dysfonctionnements graves au niveau du respect des normes prudentielles, d’autant plus que ces créances ne sont pas couvertes par des provisions suffisantes.
C’est pourquoi, il est urgent avant toute mesure de réforme, d’assainir le portefeuille de la STB et de la BH en cédant les créances à une société de recouvrement spécialisée animée par des professionnels pour faire preuve d’efficacité.

Recapitalisation : quel mode d’emploi ?
Le projet de loi proposé par le gouvernement à l’ARP comporte deux hypothèses bâties chacune sur une vision différente : faut-il ménager au secteur privé une part importante dans la recapitalisation des banques publiques sans que cela soit considéré comme une “privatisation camouflée” du secteur bancaire par l’ARP ?
Ou bien faut-il garder la part du lion à l’Etat dans le capital de la STB et la BH ?
Toujours est-il que le ministère des Finances a déposé un projet de loi relatif à la recapitalisation des deux banques publiques (STB et BH) sur le bureau de l’ARP. Pour la BNA, il n’y a pas urgence, on y pensera plus tard. La commission des finances a procédé à l’audition de Slim Chaker, ministre des Finances à ce propos, mais aucune décision n’a été prise et l’examen du projet de loi en séance plénière de l’ARP a été différé en raison de la priorité accordée à la loi anti-terroriste.
Il faut dire que la commission des finances a écouté le PDG de la STB sur la situation de la banque et Fadhel Abdelkefi, en qualité d’expert financier sur l’opportunité et le contenu de la réforme des banques publiques. Celui-ci a confirmé l’urgence de l’opération recapitalisation mais insiste aussi sur la nécessité de changer de gouvernance.
Il semble cependant que le ministère des Finances, sans attendre l’adoption du projet de loi par l’ARP, a déjà pris l’initiative de déposer un dossier à la Bourse relatif à l’augmentation du capital de la STB et obtenu l’agrément du CMF dans ce but.
Il faut rappeler que dans le cadre des lois de finances votées par la chambre, 1300 MD ont été affectées au soutien des banques publiques : paragraphe 5 de la loi n°51 du 23 décembre 2013 et paragraphe 17 de la loi n°54 du 30 décembre 2013.
La STB va augmenter son capital pour atteindre 652,57 MD à travers la Bourse par l’émission de 130.515.000 actions au prix de 5,800D l’une et à raison de 21 actions nouvelles pour quatre actions anciennes. La souscription sera ouverte le 3 août et se poursuivra jusqu’au 1er septembre 2015.
Rappelons que 43% du capital de la STB est détenu par des actionnaires privés. La BH de son côté a déjà augmenté son capital de 62,7 MD.

Le business plan ambitieux de la STB, est-il réalisable ?
Dans le cadre de son augmentation du capital à travers la Bourse, la STB a présenté au conseil du marché financier son projet du business plan pour la période 2015-2019. Ce plan semble conforme aux recommandations des auditeurs des banques publiques. La STB prévoit de mobiliser le maximum de ressources financières pour promouvoir son développement. Dans ce cadre, elle doit attirer les dépôts de la clientèle dés 2016 et recourir au marché obligataire pour disposer de ressources à long terme.
Les dépôts-clientèle devraient passer de 4,3% en 2015 à 6,9% en 2016 et à 11% en 2019. La STB prévoit de doubler son produit net bancaire à l’horizon 2019 grâce à l’augmentation de ses commissions et de ses produits d’intérêts.
Le PNB de la STB pourrait passer de près de 313 MD fin 2015 à 574 MD fin 2019, soit une croissance annuelle de l’ordre de 17%. Plus facile à dire qu’à réaliser.
Ainsi le résultat net escompté fin 2015 serait de 55,383 MD alors qu’il devrait passer à 142 MD fin 2019.
Regagner la confiance de la clientèle est une tâche dure après des années difficiles, maintenir sa part du marché bancaire est encore plus difficile face à la concurrence agressive des banques privées.

Une restructuration timide
L’objectif proposé par la STB prévoit de réduire le taux des créances douteuses de 29% à 21% en cinq ans, ce qui est dérisoire et difficile à la fois et ne constitue pas un assainissement sensible.
Sinon pourquoi cela ne s’est-il pas réalisé au cours de ces dernières années ? En outre vu la persistance de la crise économique dans notre pays, ce taux est appelé à s’aggraver dans les années qui viennent.
Il est prévu d’inciter 520 agents STB au départ volontaire moyennant un dédommagement à négocier avec les syndicats, alors que 570 autres ont appelé à faire valoir leur droit à la retraite pour limite d’âge.
La STB est appelée à recruter et à former de jeunes cadres dotés de compétences appropriées, au nombre de 1700, destinés aux nouveaux métiers de la banque.

Comment instaurer la bonne gouvernance ?
La réorganisation de la STB ainsi que celle de la BH s’imposent sur la base du renforcement des organes de contrôle et le respect strict des normes prudentielles. Aussi, la restauration des compétences des commissions de crédit, d’escompte, etc… s’impose-t-elle d’urgence pour éviter les décisions personnelles et de complaisance. Des programmes de formation et de recyclage du personnel doivent être mis en place rapidement pour améliorer la qualité des prestations de service au profit de la clientèle.
La bonne gouvernance commence par la mise en place d’un nouveau système d’information ultra-moderne pour gérer les 200 agences en temps réel, du type global banking. Il a été évalué pour la STB à 72 MD, un investissement lourd, pourvu qu’il soit efficace.
Il y a lieu de constater qu’une commission a été constituée au niveau du ministère des Finances qui la préside, avec la participation de la BCT, pour choisir les nouveaux directeurs généraux des trois banques publiques avec appel à candidature. Le délai limite pour postuler à ces postes est fixé au 14 août 2015.
Les termes de référence, au nombre de neuf, comportent entre autres une expérience réussie en matière de gestion économique et financière, la capacité de coopérer avec le conseil d’administration et de mobiliser une équipe de cadres compétents etc.
Les cadres supérieurs sont appelés à présenter leur CV et attestations, sachant que celui qui sera retenu disposera d’un mandat de cinq ans, qu’il doit s’engager sur des objectifs précis, que ses performances feront l’objet d’un rapport annuel circonstancié et que sa rémunération sera proche de celles, très généreuses, des banques privées, indexée sur les résultats obtenus.
Voilà de quoi susciter les ambitions et les convoitises des gestionnaires de tous bords.
Cela permettra-t-il de mettre fin aux nominations préconisées par les partis politiques au pouvoir ? Voire.

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