Table ronde : «Quel traitement médiatique pour la question terroriste ?»

La question du terrorisme occupe désormais, une place prépondérante dans les contenus médiatiques. On n’arrête pas d’en parler et l’horreur des massacres et des atrocités commis par ces semeurs de la mort occupent la Une de tous les médias qu’ils soient écrits ou audiovisuels. Et ça n’est pas sans susciter des interrogations et des polémiques autour de la manière à adopter pour traiter les informations s’y rapportant. Entre l’obligation de dénoncer leurs crimes et le risque d’en faire l’apologie et d’en devenir le complice tacite, les frontières ne sont pas infranchissables.

Une table ronde organisée en marge du VIIIe Forum international de « Réalités » a tenté d’apporter quelques réponses.

Animée par M. Abdelkrim Hizaoui, directeur du Centre africain de perfectionnement des journalistes et communicateurs (CAPJC), la table ronde a mis à nu les défaillances des médias dans leur traitement de la question terroriste. Malgré un brin d’optimisme, les participants n’ont pas caché leur insatisfaction  du rendu médiatique dans ce domaine.

Médias-terrorisme : quelle relation ?

La question du rapport entre les médias et le terrorisme demeure une question emblématique. Pour Sadok Hammami, maître de conférence au département journalisme et responsable du Mastère recherche «Médias et communication» à l’Institut de presse et des sciences de l’information (IPSI),   la relation entre le terrorisme et les médias est « plus complexe qu’on ne le croit». 

M. Hammami considère que la relation des médias avec le terrorisme est symbiotique. De ce fait, les terroristes «dépendent des médias et les médias ne peuvent ignorer les terroristes et ne peuvent s’empêcher de tirer un profit commercial de l’acte terroriste bien que cette relation, objectivement symbiotique, soit constamment réfutée par les deux « partenaires » qui se considèrent en fait comme des ennemis».

Les deux parties partagent, dans ce cas, les mêmes intérêts : faire parler d’eux.

Dans ce contexte, le philosophe et politologue français Raymond Aron considère que  «le terroriste ne veut pas que beaucoup de gens meurent. Il veut que beaucoup de gens sachent». Cela dit, le terrorisme a besoin, d’après Sadok  Hammami, des médias pour «spectaculariser» la terreur et la propager à large échelle pour atteindre l’opinion publique au double plan national et international. Sadok Hammami considère que «pour les terroristes, les médias, la télévision en particulier, sont un partenaire de choix de l’acte même de terroriser, car ces médias démultiplient l’effet en l’imprimant sur une multitude infinie d’écrans»…..

Complicité ?

Hélé Béji, intellectuelle et écrivaine, a, pour sa part, souligné que les médias sont devenus des complices tacites des obscurantistes qui sèment la terreur. Mme Béji ajoute que : «bien que le rôle d’un organe de presse soit de perfectionner la compréhension du monde, la machine médiatique fonctionne à l’envers de ce processus d’intelligibilité». Pour Hélé Béji, on a peur du terrorisme non pas parce que les gens meurent mais parce qu’on comprend moins ce phénomène. 

Tidiane Dioh, fonctionnaire international et responsable du programme médias à l’Organisation internationale de la Francophonie (OIF), insiste sur l’importance de la rigueur en matière de traitement de l’information relative à la question terroriste.  L’orateur s’est référé à une expression d’Albert Camus : «Mal nommer les choses, c’est ajouter au malheur du monde». Pour M. Dioh, le mauvais traitement médiatique de l’affaire du terrorisme peut aggraver les craintes des gens. Travaillant sur l’histoire immédiate et étant toujours à la recherche de l’information vraie et vérifiée,  le journaliste doit avoir la rigueur de l’historien et du chercheur fondamental, précise l’orateur.

Informer ou ne pas informer : le dilemme

Comment informer ou rendre compte des actes terroristes sans pour autant lui rendre service? Il s’agit d’un vrai dilemme.

Face à un terrorisme qui «se réinvente à travers les nouveaux médias, d’où peut-être l’efficacité des stratégies de recrutement et d’influence des organisations terroristes», les médias traditionnels semblent être entre le marteau et l’enclume.

Sadok Hammami estime que «Internet et les nouveaux médias favorisent une logique de  désintermédiation qui permet aux organisations terroristes de court-circuiter les médias et de disposer ainsi de leurs propres médias». M. Hammami avance l’exemple de l’Etat islamique (Daech) qui a développé des dispositifs de propagande basés entièrement sur les nouveaux médias, lesquels les libérèrent presque  de la médiation des médias traditionnels. Pour Omar Samy, Président du conseil d’administration du quotidien égyptien «Al Ahram» «Si nous nous abstenons de transmettre les informations relatives à la question terroriste, nous serons battus par les réseaux sociaux qui fonctionnent hors de tout cadre légal et en dehors de tout contrôle».

Avec près de 1,44 milliard d’utilisateurs facebook et 5 milliards d’utilisateurs de téléphonie mobile en 2017, les terroristes semblent avoir bien profité des nouvelles technologies. Mais leur besoin des médias classiques reste entier. 

Pratiques et éthiques : les dérives

Le système médiatique, qualifié de «une jungle» par le journaliste à Jeune Afrique Sami Ghorbal, semble, bon gré mal gré, en train de favoriser la médiatisation du terrorisme.

Mais, peut-on garder son sang froid face au terrorisme ? Ce n’est pas évident, répond Sami Ghorbal. Le journaliste de Jeune Afrique, considère que les médias tunisiens ont commis des dérapages en matière de couverture des évènements terroristes.  Publier  des vidéos émanant de Daech et dans lesquels il adresse des menaces à la Tunisie, évoquer en public des informations relatives aux dispositifs sécuritaires et montrer les corps des soldats tunisiens, sauvagement assassinés au mont Chaambi en juillet 2013, émane d’un manque flagrant de professionnalisme.

S’agit-il vraiment d’un manque de professionnalisme ou plutôt d’une réelle adhésion des journalistes dans la lutte contre le terrorisme ?  Pour Sadok Hammami, « certains journalistes se voient comme les hérauts de la lutte contre le terrorisme, sacrifiant ainsi à la fois les règles professionnelles et éthiques». 

Mais qui peut élaborer les principes d’un traitement journalistique conforme aux règles professionnelles et éthiques ? S’interroge Sadok Hammami. «La réponse est à chercher dans deux directions : la réflexivité d’abord et l’accountability ensuite. La réflexivité signifie la capacité des journalistes  à penser leurs propres pratiques et à interroger leurs habitues. Quant à  l’accountabilty,  elle consiste à faire du journalisme un objet du débat public, ce qui permet  de renforcer le sens de la responsabilité chez les médias en général et les journalistes en particulier, tout en préservant leur autonomie».  

Ces deux pratiques permettront aux journalistes, ainsi qu’à leurs médias, de traiter convenablement, sans dérives ni dérapages, la question du terrorisme et épargnent le journaliste des risques imprévus.

Journalistes et terrorisme : le prix à payer

Evoquant l’expérience de France Médias Monde, Mme Marie Christine Saragosse, PDG du groupe,  a insisté sur la question de la sécurité du journaliste dans le contexte du terrorisme. France Médias Monde a, rappelons-le, perdu, en novembre 2013, deux de ses journalistes reporters, Claude Verlon et Ghislaine Dupont, journalistes à RFI qui ont été kidnappés puis assassinés par un groupe terroriste au Mali.

«La sécurité des journalistes, d’après madame Saragosse, est un point important ». Pour elle, «les journalistes sont les premiers garants face à l’autoritarisme et l’obscurantisme». Toutefois, «Aucun reportage ne vaut une vie» insiste la PDG du groupe France Médias Monde.

Les médias sont la première cible du terrorisme, Le fait d’être toujours « à la recherche de l’exception et à l’acte rebelle», comme l’a signalé Ridha Tlili, professeur à l’Université tunisienne, fait du journaliste l’ennemi le plus farouche de ces groupuscules obscurantistes.

Sid Ahmed Ghozali, homme d’Etat algérien,  a rappelé la décennie noire de l’histoire de l’Algérie qui a coûté la vie à 45 journalistes algériens. Les journalistes étaient les premiers à être visés par les terroristes.

Bien que les participants à ce débat aient évoqué des questions pertinentes et aient fait un constat très précis du traitement médiatique de la question terroriste, on est loin de trouver la solution miracle pour éviter de tomber dans le piège de la médiatisation complice de la nébuleuse terroriste. La question est si grave qu’un débat national serait opportun.

Mme Marie Christine Saragosse, Pdg de France Médias Monde: «Nous ne voulons pas être une caisse de résonance aux terroristes»

Joindre l’émotionnel au rationnel, s’agit-il d’une équation difficile à résoudre?

Je ne pense pas qu’elle soit aussi difficile, dès lors qu’on anticipe ou qu’on résolve l’équation en direct. Il faut qu’on retienne la leçon. Je pense qu’on doit réfléchir pour savoir comment réagir car nous, journalistes, sommes la cible directe du terrorisme. En attaquant un média, les terroristes font parler d’eux. En tuant les journalistes de RFI par exemple, les terroristes savaient très bien que ça va faire un grand écho. Ils s’en servent pour faire leur propagande.

Le terrorisme veut faire parler de lui plutôt que de faire mourir, qu’en pensez-vous ?

Effectivement. Pour ce faire, à France Médias Monde, nous ne permettons jamais de diffuser des  scènes d’assassinat ou d’exécution commis par des terroristes. Il s’agit d’un interdit absolu. On essaye de ne pas être une caisse de résonance à ces éléments qui nous manipulent. Le premier devoir du journaliste est de distinguer entre l’information et la manipulation. Il ne faut pas tomber dans ce piège.

Quelle est donc la différence entre la propagande et l’information ?

Il suffit de connaître la source de l’information pour pouvoir faire la différence. Cela requiert une vraie formation sur l’image. Il faut transmettre à ceux qui nous suivent, et particulièrement aux jeunes, le savoir-faire en matière de décryptage de l’image et de l’info. C’est une matière nouvelle qui doit être enseignée dans les écoles mêmes.

Mohamed Ali Ben Sghaïer

 

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