Licenciement massif de fonctionnaires (fictifs, ayant des diplômes bidonnés, corrompus, imposés par les partis, etc.), abolition des privilèges de la bureaucratie (voitures et logements de fonction, bons d’essence, etc.), privatisation des terres domaniales, optimisation des sociétés d’État, déficit-zéro, rémunération à la productivité, au mérite,… Autant d’enjeux tabous «impopulaires», carrément bannis du discours officiel des économistes et médias ! Angle mort, décence ou dissonance ?
Certes ces enjeux, sont peu «sexy» pour les radios et plateaux de télévision, très assoiffés par l’audimat et adeptes de l’argent facile (des partis et lobbies). Aussi, et plus grave encore, ces enjeux ne sont pas à la portée du premier venu en matière d’expertise économique.
Ces enjeux sont très exigeants en connaissances des théories économiques (instruments, incitatifs, évaluation, etc.) et d’analyses économétriques des données.
Ces enjeux et réformes liées ont besoin de démonstrations, de pédagogie, d’arguments chiffrés, de concepts articulés et à la fine pointe des connaissances macroéconomiques et microéconomiques. Faute de quoi, toutes les réformes sont vouées à l’échec, étouffées dans l’œuf.
FMI, des concepts et des diktats
Ironie du sort, le FMI et instances internationales martèlent haut et fort ces enjeux (tabous en Tunisie), les imposant dans l’agenda politique, comme passage obligé pour sauver l’économie tunisienne de la banqueroute.
Le discours et les concepts du FMI sont aux antipodes du discours économique dominant en Tunisie. Les enjeux des réformes divisent et dérangent les économistes tunisiens.
Des sujets clivants, des enjeux qui appellent des réformes qui n’ont que trop tardé à venir. La Tunisie n’a pas le choix que de traiter de ces enjeux, après dix ans de mal-gouvernance des finances publiques et de démantèlement du tissu industriel… et des propulseurs de la croissance et de la création de la richesse.
Le FMI est sorti de sa réserve pour décrier ces black-out, et ces (auto) censures systématiques au sujet des enjeux économiques les plus brûlants. Ces enjeux et réformes qui fâchent, qui stressent et qui peuvent ultimement déranger les pouvoirs et lobbies en place.
Aujourd’hui, le discours économique ambiant ne dit pas toute la vérité sur l’impératif des réformes à engager. On ne veut pas offenser, on ne veut pas expliquer tous les tenants et aboutissants de ces réformes imposées par le FMI.
Les économistes du sérail véhiculent un discours instable, souvent superficiel… qui navigue à vue, à contre courant du discours des bailleurs de fonds. Les promoteurs de ce discours dissonant ne veulent pas perdre pied dans l’establishment et subir les foudres des partis politiques… si jamais, on sort des punch lines et des cadrages éditoriaux partisans.
Décences ou dissonances
Sur les principales radios et plateaux de télévision, les mêmes économistes monopolisent la parole, trônent en mandarins et véhiculent un discours mielleux, peu engageants et laissant très peu de place à la démonstration économétrique. Ils sont prêts à tout, pour dire une chose et son contraire sur une autre radio. Avec des narrations changeantes, sans colonne vertébrale théorique, bien ancrée dans la science économique.
Les débats économiques zigzaguent a gré, surfant sur les stéréotypes, en méconnaissance des enseignements théoriques de toutes les écoles de pensées économiques.
Les stéréotypes écrasent les faits et font du déni à la probabilité requises pour démonter la causalité entre une décision et ses impacts factuels. Avec une rareté effarante de données et des publications évaluées par les pairs et ayant un facteur d’impact crédible dans les revues des sociétés savantes dédiées à la science économique.
Quand on écoute ces débats économiques désincarnés de la réalité des réformes requises, et surtout pendant cette crise économique sans précèdent dans l’histoire de la Tunisie, on ne peut que s’inquiéter encore et encore de l’avenir de l’économie tunisienne!
On évite les sujets qui fâchent
On est ballotté entre deux hypothèses aux antipodes.
1– Est-ce la «tunisianité» de ces économistes qui est en cause? En Tunisie, culturellement l’éducation cultive la décence… qui empêche de regarder les yeux dans les yeux, sans compter avec les «salamalecs» hérités de la période coloniale et dictatoriale. On ne parle pas des choses qui fâchent.
C’est le culturel en sa splendeur, les économistes du sérial tournent autour du pot, tournent en rond et bottent en touche quand les questions sont embarrassantes pour le pouvoir en place!
Pas grave si on cache la vérité, pas grave si on dit autre chose que la vraie vérité. Celle qui dérange et qui offense le pouvoir. «Je suis une fille de grande famille de la région de…, je ne peux pas critiquer les politiques économiques engagées par des économistes comme moi au sein de l’Etat…, je suis polie, « bint ayla »… et mes recommandations tiennent compte de cette révérence…», me confiait une macro-économiste très en vogue dans le système de l’establishment. Elle est très humaine, polie, souriante… mais, elle joue son jeu, optimiser les dividendes de ses recommandations et minimiser les risques encourus quand on parle au pouvoir…
En ligne de mire, des contrats de consultation et des ambitions ministérielles et ou encore dans les conseils d’administration des banques… Des économistes qui ne se mouillent pas et qui fricotent avec le sérail et instituions liées pour des revenus privés, des dividendes (jetons de présence dans les CA des banques…) et ayant les yeux virés sur les intéressements de toute sorte.
2– Est-ce un problème de dissonances cognitives et d’incompréhension des ABC des fondamentaux de la science économique, seule discipline des sociales ayant mérité un Prix Nobel? A les écouter, certains débats économiques ne sont pas toujours aux faits des concepts économiques… Pire encore, ils ont l’art de bâcler les choses, sans aller dans la démonstration, négligeant de préparer leur argumentaire, leur chiffres et estimations avant de passer en onde sur les radios et TV.
Les dissonances sont encore plus criantes, quand on touche aux réformes économiques douloureuses. Ils n’est pas rare de voir les économistes du sérail qualifier les promoteurs du déficit zéro ou encore les tenants de la lutte contre l’endettement de «gens de droite», d‘adeptes d’un néo-libéralisme orthodoxe! Ils ne connaissent pas la Tunisie… disait patron d’une banque à ces économistes trop critiques et moins enclins à courber l’échine, pour édulcorer leurs propos.
On traite là théorie économique et on malmène les lois économiques et les théorèmes fondamentaux de l’économie politique. On bafoue l’esprit de la rationalité (homooeconomicus), on idéologies les explications des enjeux et impératifs des réformes économiques exigées par les bailleurs de fonds et les agences de notation.
Pour beaucoup de ces économistes des plateaux de télévision, les deux hypothèses se vérifient simultanément. Et les médias de la place profitent de la tension ambiante, en mettant en compétition ces économistes, générant ainsi de la sélection adverse : une théorie économique qui stipule que dans des contextes fondés sur les faveurs et les proximités politiques, la mauvaise qualité (de l’expertise) chasse très souvent la bonne qualité, faute d’information symétrique, faute de sélection au mérite et faute de maturité des «expertises» sollicitées.
Pour sortir la Tunisie de l’impasse économique, le débat économique doit gagner en objectivité, en maturité et en respect de l’éthique scientifique… Le réalisme doit primer sur l’utopisme prévalant. Le tout pour ne pas perdurer le marasme économique paralysant le pays.
* Universitaire au Canada.