Talibaniser la société

Entre l’Asie et l’Afrique, l’internationale théocratique tire un trait d’union symbolique. Par- delà mille et une spécificités, le triomphe taliban, là-bas en Afghanistan, titille la déconfiture des nahdhaouis en Tunisie. Les uns et les autres sunnites, machistes et peu chagrinés par les procédures appelées terroristes, se regardent quand bien même peu ils y prendraient garde. Nos ghannouchistes ratèrent la piste militaro-takfiriste balisée depuis vingt ans par les talibans.

Aujourd’hui, ceux-ci tâchent de rassurer, en paroles et sur le papier, en matière de libertés. Hypocrites ou naïfs, Américains et Européens prétendent conditionner leurs futurs liens, à tisser avec les nouveaux maîtres de Kaboul, à leur attitude envers la femme afghane. Moins dupes, les bourguibistes, version locale, fuient, à toutes jambes, le pays. Car des catégories de pensée inculquées dès les jeunes années, au plus profond des subjectivités, ne sauraient déguerpir, soudain, du jour au lendemain. A ce niveau, celui des profondeurs, le succès taliban dessine en creux le dépit nahdhaoui, tant la mondialisation des moyens de communication met en relation l’ensemble des sociétés, fussent-elles éloignées. Voilà pourquoi en Tunisie, les bourguibistes perçoivent, au miroir de l’Afghanistan, vers où la bande à Ghannouchi escomptait mener le pays, à l’instant même où nos amis nahdhaouis admirent, là-bas, l’image de leur idéal enfin accompli.

Et si la Chine, l’Iran, le Pakistan ou la Russie arborent des prises de position dénommées géostratégiques, les Tunisiens vaccinés contre la pandémie takfiriste, appréhendent plutôt le réarmement subjectif de leurs sinistres terroristes au vu de la performance djihadiste apte à humilier l’arrogance de la première puissance.

Le grand scandale incite Jo Biden à dire que «ce n’est pas Saïgon», mais la négation elle-même en dit long. Les ailes du papillon, agitées en Afghanistan, exercent un effet de séduction sur nos talibans. Hélas, la dynamique interne et le contexte régional paraissent renvoyer aux calendes grecques l’utopie chère à Ghannouchi.

Que faire si Bourguiba surplombe le débat ? Au cœur de la problématique, à rayon d’action planétaire, prospère le conflit engagé entre l’option démocratique et l’optique théocratique.

A ce propos, la question soulevée par la décennie noire en Tunisie dévoile ceci : les usages de la religion opèrent de multiples façons où prévaut l’immolation de l’intérêt général sur l’autel de la rapacité personnelle. Dans ces conditions, la critique de la croyance peut, par précaution, prendre des gants. Ainsi, dans son bel ouvrage titré «Telle que je suis», Menie Grégoire écrit : «Pas une fois mon père n’a été troublé par les contradictions qui ne manquent pourtant pas dans les textes des premiers siècles de notre ère. Il était si volontairement croyant, si aveugle que je ne pouvais pas, moi qui l’aimais, lui poser des questions sur la religion, c’est-à-dire sur son équilibre.» Que les Talibans d’Afghanistan ou d’ici croient, grand bien leur fasse, mais l’exportation du takfirisme ne passera pas au pays de Bourguiba. Même sous terre, son héritage mène la vie dure aux cerbères. Interviewé, Nabil Daboussi, pratiquant régulier, me dit : «Ils n’auraient pas dû recevoir leur salaire après avoir vidé les caisses de l’Etat et affamé la population. Aujourd’hui, la victoire des Talibans les encourage et ils vont recommencer à s’activer». Fourrer dans le même sac des pays si différents pourrait suggérer maintes objections. Cependant, une fois  les couleurs locales mises entre parenthèses, l’investigation découvre la même problématisation. Lors d’une conférence de presse à l’université Todaï, au Japon, Bourdieu proclamait : «Je pense au contraire, qu’en présentant le modèle de l’espace social et de l’espace symbolique, j’ai construit à propos du cas particulier de la France, je ne cesserai pas de vous parler du Japon».

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