La crainte maintes fois annoncée de l’éventualité d’un débordement urbain des réseaux terroristes s’est récemment justifiée. En effet, l’opération kamikaze à l’hôtel Palm Beach de Sousse et la tentative de faire exploser le mausolée de Habib Bourguiba à Monastir, dans la matinée du mercredi 30 octobre dernier, confirment bien la stratégie de la terreur engagée par les groupes armés. Cette dérive, où l’on voit des cellules dormantes commencer à agir en plein cœur des villes et viser les points névralgiques de l’économie (le tourisme essentiellement) prête à penser que l’on est entré dans une nouvelle phase du terrorisme ; une guerre ouverte où tous les coups sont permis. Face à cette véritable stratégie de la terreur, il est grand temps de nous interroger sur des questions fondamentales qui concernent notre immunité contre ce phénomène destructeur de tous nos acquis historiques. Comment prémunir les Tunisiens contre ce fléau, est-ce que les mesures sécuritaires sont capables de nous éviter ce danger éminent et imminent ?
Les limites des mesures sécuritaires antiterroristes
La mobilisation combien salutaire de nos forces de sécurité, de la Garde nationale et de l’Armée sont déterminantes pour faire face aux menaces des groupes armés. Quoiqu’avec un manque flagrant de moyens (armes, logistique, renseignements), nos forces ont fait preuve d’une bravoure exemplaire. Toutefois, on demeure toujours dans une posture attentiste, sans pour autant aller au fond du problème, c’est-à-dire mener une guerre préventive et immunitaire de la société contre les racines de ces idéologies qui n’ont aucun prolongement dans l’histoire de la Tunisie.
Il convient aujourd’hui, face à ce phénomène nouveau qui s’étend et qui menace la sécurité de chacun, de formuler clairement toute une stratégie de lutte contre le terrorisme. Cette stratégie, loin des dispositions actuellement prises, n’est qu’en partie sécuritaire.
Il faudrait remonter aux origines même de l’irruption du terrorisme afin d’y faire face radicalement. Il est difficile, sur la courte durée et depuis le 14 janvier 2011, d’opérer une analyse profonde et de décortiquer ce phénomène qui n’a cessé de prendre de l’ampleur. En effet, les groupes armés agissent en petits groupes, le recrutement se fait à travers de multiples moyens, dont le net, le contact direct dans les mosquées et d’autres lieux publics… Il est à remarquer que le terrorisme devient de nos jours un phénomène complexe, dû en grande partie à une accumulation historique de plusieurs facteurs à la fois théologiques, sociologiques, psychologiques, etc. Mais pensons-nous que la matrice de tous ces facteurs demeure l’enseignement et la pédagogie pratiquée dans nos écoles, devenue désuète et vidée de son sens patriotique, avec une banalisation sans précédent de l’essence même des valeurs inculquées ayant trait aux véritables valeurs islamiques et humanistes ?
En l’absence d’une société du savoir, l’obscurantisme règne !
Loin de limiter l’analyse sur les moyens matériels et humains pour faire barrage au terrorisme, nous pensons que la question essentielle du terrorisme a trait à l’endoctrinement et donc aux mentalités travaillées par des discours religieux hors temps. Les moyens d’information se sont énormément multipliés: satellites, internet, Facebook, Twitter, la téléphonie mobile, etc. On ne cherche plus l’information, elle nous envahit. Et c’est là le problème majeur ! Plus besoin de travailler soi-même ce savoir pour le comprendre, car des idéologies importées sous des apparences multiformes viennent à domicile et ne nécessitent pas une grande intelligence: voir et écouter, c’est tout l’effort à fournir. D’où l’importance extrême des médias sous toutes leurs formes aujourd’hui. Nos écoles fournissent-elles à nos générations actuelles et à venir une matière les protégeant pour ne pas succomber à des croyances qui n’ont rien à voir avec les véritables préceptes de l’Islam ?
Malheureusement on en vient aujourd’hui à un véritable constat d’échec quand on voit de près ce qu’est devenu l’enseignement, à tous les échelons : préparatoire, primaire, secondaire et universitaire ; les lacunes sont essentiellement pédagogiques.. Le gain facile et le rêve de faire fortune prennent le dessus sur le savoir. Cette valeur essentielle sur laquelle a été bâtie la République s’affaiblit de jour en jour.
Depuis le début des années 90, les gouvernements successifs ont pensé à diminuer l’échec scolaire qui affecte lourdement le budget de l’État. Par ailleurs et comble de l’ironie, pour faire croire aussi aux progrès réalisés, il fallait absolument gonfler le nombre de diplômés quitte à sacrifier la qualité de l’enseignement ! Pire encore et pour des raisons budgétaires, le nombre des détachés de l’enseignement supérieur avoisinait les 4000, autant d’enseignants non spécialisés chargés de former nos futurs maîtres d’école et professeurs. Pendant les vingt dernières années, deux générations ont été mal formées ; le diplôme universitaire n’a ainsi plus aucune valeur, ni les concours d’ailleurs, qui ont été souvent truqués et ont fait l’objet de pots-de-vin.
C’est bien à travers ces graves lacunes que l’obscurantisme a trouvé sa place. Une explication superficielle des préceptes de la religion, pris dans un sens fourbe et détourné, s’impose au plus profond des campagnes et des banlieues populaires. Est-ce que nos programmes scolaires, la façon d’enseigner prennent en compte les méthodes pédagogiques les plus novatrices et avons-nous les moyens de les faire appliquer ?
À l’université et en l’absence de tradition d’enseignement des valeurs républicaines et d’une lecture scientifique et objective de l’histoire, les étudiants qui seront nos futurs cadres, se retrouvent déconnectés de leurs racines.
Une révision de nos méthodes pédagogiques qui prendraient en compte toutes les dimensions mentales des jeunes et les impliquerait dans la réflexion, serait le meilleur relai à la pédagogie actuelle qui n’insiste que sur les programmes ayant trait à un apprentissage répétitif. En effet, peu d’espace est laissé à l’enfant dès son jeune âge pour s’épanouir en faisant travailler son intelligence, son savoir-faire et son imagination. L’école doit être l’accompagnatrice, le socle grâce auquel l’enfant explore ses talents et les développe. Malheureusement nous sommes très loin de cette conception où l’école, le lycée et l’université donnent aux jeunes toutes les possibilités de dégager leurs énergies et de les canaliser de manière créative.
Par Fayçal Chérif