Taxer les départs des fonctionnaires : Une solution appropriée ?

Par Mohamed Ben Naceu

Actuellement, des parlementaires essayent de trouver une solution à la fuite du capital humain à l’étranger. Ils proposent de faire payer une taxe à ceux qui quittent la fonction publique pour des postes à l’étranger. C’est une mesure radicale qui ne résout pas le problème mais le rend encore plus complexe. On aurait pu les encourager à investir leur épargne dans le pays plus tard que de les faire fuir à jamais. En effet, il s’agit beaucoup plus de retenir ces compétences que de les taxer. De plus, cela va encore pénaliser les pauvres fonctionnaires car ceux du secteur privé ne sont probablement pas concernés par cette mesure. De toute manière, cela mérite bien une réflexion sur les raisons profondes de ces départs que de tenter de résoudre les conséquences d’une manière précipitée.
La Tunisie, pays connu pour son système éducatif robuste et ses institutions académiques de qualité, fait face à un défi croissant : la fuite des compétences. De nombreux Tunisiens qualifiés, formés dans des établissements publics, choisissent de s’expatrier en Europe, attirés par de meilleures opportunités économiques et professionnelles. Cette migration des talents laisse un vide significatif dans divers secteurs essentiels en Tunisie, posant des défis pour le pays.
Aujourd’hui, le pauvre fonctionnaire est accusé de tous les maux. Il ne travaille pas, il est corrompu, incompétent, etc. On parle souvent d’une masse salariale excessivement importante, ce qui est vrai, mais on ne parle jamais du salaire d’un fonctionnaire. Ainsi, et partant d’un diagnostic biaisé, la solution est de réduire l’effectif dans la fonction publique. Départ volontaire puis départ négocié, rien ne marche. Ce sont toujours les meilleurs qui partent et ils ont bien raison. Actuellement, le salaire net d’un très haut fonctionnaire (avec rang de directeur général) ne dépasse pas l’équivalent de 700 euros. C’est scandaleux et honteux car ce même fonctionnaire peut facilement multiplier son salaire par dix avec les institutions internationales et la décision ne nécessite donc pas beaucoup de réflexion, vu la différence. Aujourd’hui, il faut, certes, lutter contre la fuite des compétences mais cette mesure doit être faite d’une manière intelligente pour ne pas entraver la qualité de notre administration qui devrait rester la fierté de la Tunisie. Malheureusement et eu égard au contexte, personne ne souhaite prendre des responsabilités dans l’administration afin d’éviter les tracasseries. Pis encore, on recense déjà 30 à 40 mille départs de hauts fonctionnaires cette année et la tendance risque de s’accélérer dans les prochaines années.

Le fonctionnaire doit pouvoir négocier son salaire…
Il est toujours souhaitable de négocier dans la fonction publique comme ailleurs. Mais il faut définir clairement les règles du jeu. On ne peut pas additionner des mesures générales, des mesures catégorielles et des effets de structure fixés indépendamment les uns des autres puis faire payer l’addition aux contribuables. Il faut raisonner dans l’enveloppe d’une masse, particulièrement dans le contexte actuel d’un prélèvement fiscal incontournable et d’un objectif de modération salariale imposé par la conjoncture actuelle.

Le fonctionnaire doit être protégé et rassuré
La campagne de « lutte contre la corruption », bien qu’étant réjouissante, a fini par imposer l’immobilisme aux fonctionnaires et donc à l’administration, d’une manière générale. Pourquoi adopter une attitude incitative quand vous n’êtes jamais gratifié mais risquant seulement d’être traîné en justice ? La solution optimale est de rendre une page vierge et donc de ne rien faire. La preuve est que de nombreuses lois ne sont pas appliquées et ne seront jamais appliquées. A ce titre, la loi sur les PPP ne sera jamais appliquée car elle fait courir au fonctionnaire trop de risques, donc autant pour lui ne pas s’engager. La même règle s’applique aux autres lois et les exemples sont multiples. La lutte contre la corruption devrait plutôt se transformer en une lutte contre l’immobilisme car si rien ne change bientôt, on détruira définitivement l’administration.
En matière d’effectifs, il faut apprendre à le redéployer. Une méthode de travail pourrait être de laisser un emploi vacant sur deux puis de décider, à un échelon plus élevé, soit d’un redéploiement soit d’une suppression.
De toute manière, une politique de recrutement, qu’elle soit dans le public ou dans le privé, doit reposer sur le critère de compétence et de mérite. L’Etat doit chercher à recruter des talents et seulement pour ses besoins. Pour cela, il va falloir changer de paradigme. Le monde a évolué et le bon sens serait d’ouvrir la voie à l’efficacité et à la compétitivité. La question de l’emploi public doit se poser selon deux logiques interreliées : celle de la recherche de l’efficience économique et celle de la remise en cause de la fonction traditionnelle de l’Etat. Plus précisément, s’interroger aujourd’hui sur l’emploi public doit conduire à identifier les transformations dans ce domaine engendrées à la fois par ces logiques économiques et par les dynamiques propres à notre pays.
Pour finir, la fuite des compétences est un défi complexe qui nécessite une approche multidimensionnelle. Pour la Tunisie, il est crucial de mettre en place des politiques intégrées qui non seulement retiennent les talents, mais aussi transforment le défi en opportunité en valorisant la diaspora comme un atout pour le développement national. En trouvant un équilibre entre émigration et rétention, la Tunisie peut aspirer à un développement durable et inclusif, en capitalisant sur son potentiel humain. De toute manière, et pour mettre fin à l’exode des compétences, il est impératif de changer de paradigme pour s’aligner sur les exigences d’efficacité et de compétitivité du monde moderne. Le capital humain est de loin plus important que le capital physique, d’où la nécessité de le préserver en lui offrant les mêmes avantages qu’ailleurs.

Related posts

Affaire du complot : Qui sont les accusés en fuite ?

Affaire du complot : Voici les peines prononcées !

Retour en images sur la cérémonie du 69e anniversaire des forces de sécurité intérieure