Teemu Sepponen, ambassadeur de Finlande en Tunisie: « Se connaître plus, se connaître mieux »

Fraîchement nommé ambassadeur de Finlande en Tunisie, depuis le 1er septembre dernier, Teemu Sepponen revient, dans cette interview, sur le bilan des relations bilatérales entre la Tunisie et la Finlande datant d’une soixantaine d’années, sur ses ambitions et les objectifs qu’il s’est fixés durant son mandat en Tunisie. Interview.

Propos recueillis par Hajer Ben Hassen

Vous êtes fraîchement nommé en tant qu’ambassadeur de la Finlande en Tunisie. Quelle était votre impression quant à la Tunisie et y a-t-il un événement ou une rencontre qui vous ont marqué depuis votre entrée en fonction ?

J’ai pris mes fonctions en Tunisie depuis le 1er septembre. En si peu de temps, j’ai pu découvrir combien les Tunisiens sont amicaux et chaleureux. Ils s’intéressent aussi à d’autres pays et sont ouverts au monde, chose qui ressemble énormément aux Finlandais qui sont très ouverts envers d’autres nations. Une autre particularité qui me paraît très intéressante, c’est que les gens posent très souvent la question de savoir comment trouve-t-on la Tunisie ? C’est ce genre de questions que posent très souvent les Finlandais aux étrangers. Ce sentiment de vouloir découvrir et partager les sentiments et les impressions des autres.

Cette volonté d’être aimé, c’est typiquement commun pour nos deux pays.

Le 4 novembre 2022, soit deux mois après ma désignation en tant qu’ambassadeur en Tunisie, j’ai présenté mes lettres de créances au président de la République Kaïs Saïed lors d’une cérémonie officielle au Palais de Carthage. Je cite également l’entretien fructueux ayant eu lieu quelques jours plus tard à Charm el-Cheikh, entre la Cheffe du gouvernement tunisien Najla Bouden et la Première ministre finlandaise, Sanna Marin en marge de leur participation aux travaux du sommet sur le climat, (COP27) qui s’est déroulé en Egypte. Cette rencontre a porté sur la profondeur des relations amicales entre nos deux pays et sur l’importance de les développer.


Si vous deviez nous présenter votre pays la Finlande, que diriez-vous ?

La Finlande, dit-on souvent, est le pays où les gens sont les plus heureux selon des classements internationaux de plusieurs types basés sur des critères et sujets différents. Je pense qu’il existe plusieurs paramètres et avantages qui font de la Finlande le pays le plus heureux. Parmi ces avantages figure en premier lieu l’égalité. Dans mon pays, il y a peu d’hiérarchie et les gens se connectent facilement même avec les autorités. Cette valeur concerne aussi l’égalité entre les sexes qui est d’une importance majeure. En Finlande, les femmes occupent des positions importantes dans la société à tous les niveaux.
L’égalité entre les régions y compris celles défavorisées, constitue aussi l’une des priorités absolues des autorités. Cet aspect se manifeste aussi dans le système éducatif qui est très égalitaire. Les enfants ont tous les mêmes possibilités et les mêmes opportunités. La preuve, en Finlande, il y a très peu d’écoles privées.

Autre paramètre de cette réussite, c’est la digitalisation dans les entreprises, les PME et les startups. La Finlande est connue pour la haute technologie et en particulier les technologies vertes.

La technologie verte fait aussi partie de nos priorités. Nous avons comme mission de combattre le changement climatique et de diminuer ses effets négatifs partout dans le monde, mais notamment dans les pays en voie de développement.

La haute technologie peut être donc un important secteur de coopération entre la Finlande et la Tunisie pour renforcer l’infrastructure en Tunisie.

Qu’en est-t-il du modèle de gouvernance publique appliqué en Finlande ?

Le secteur public fonctionne très bien en Finlande. Il s’agit d’une relation de confiance en premier lieu. Les gens font confiance aux institutions et aux autorités et croient en la science et en l’éducation. Les autorités finlandaises collectent les taxes et les citoyens sont assez satisfaits de les payer puisqu’ils en voient l’effet sur leur vie quotidienne. En effet, les citoyens qui payent leurs impôts bénéficient notamment d’un bon système de santé publique, d’un excellent système éducatif et de moyens de transport public efficaces qui contribuent à la diminution de la pollution. En effet, la Finlande se veut neutre de carbone à l’horizon de 2035. Il faut aussi noter le comportement des gens et des acteurs du secteur économique, le bon fonctionnement du secteur public, la coopération entre les citoyens et les autorités et surtout la confiance mutuelle.


Plus de 60 ans de relations diplomatiques entre la Tunisie et la Finlande, quel bilan peut-on dresser ?

Les années 60 étaient un bon commencement des relations entre la Finlande et la Tunisie. Les chefs d’Etat ont visité nos pays respectivement. Aujourd’hui, notre partenariat est un peu différent par rapport à cette période. Bien que la Finlande continue d’exporter des produits forestiers vers la Tunisie, elle exporte aujourd’hui les nouvelles technologies et beaucoup de machines. La Tunisie exporte, de son côté, vers la Finlande divers produits dont des produits de textile, des câbles, des produits agricoles etc. Nos relations de coopération sont basées sur le libre-échange. Le commerce est très important, mais les échanges entre nos deux pays ne sont pas très volumineux de nos jours. Or, nous avons un énorme potentiel de les développer et je pense que les entreprises finlandaises pourraient être beaucoup plus bénéfiques à la Tunisie dans l’avenir et vice-versa. Il est primordial de trouver de nouveaux secteurs de coopération et de travailler ensemble de manière plus adéquate. Pour ce faire, il serait nécessaire de partager plus d’informations et de se connaître davantage. La Tunisie regorge d’ingénieurs très compétents et les sciences naturelles y sont très bien maîtrisées. La Finlande, ce qu’elle peut offrir, ce sont les télécommunications et les technologies vertes en particulier. En Tunisie, les ports, les mines et d’autres infrastructures qui existent déjà peuvent, à mon avis, fonctionner encore mieux grâce à de nouveaux investissements. Ces infrastructures sont les clés du développement d’un pays entier. Il s’agit à titre d’exemple de digitaliser les ports et de les rendre plus intelligents. Cela servirait les échanges commerciaux qui passeraient plus facilement en Tunisie. Les nouvelles technologies permettraient également d’améliorer les conditions de travail des employés et d’accroître la productivité.

Tout comme la Finlande, la Tunisie n’a pas de grandes ressources naturelles comme le pétrole contrairement à d’autres pays arabes. L’atout réside donc dans le talent et la volonté du peuple et il est nécessaire de travailler ensemble. En tant qu’ambassadeur de la Finlande, je ne ménagerai aucun effort pour trouver des partenariats gagnant/gagnant. En Finlande, nous avons besoin de l’expertise et de la main-d’œuvre. Il ne s’agit pas d’accentuer le phénomène de la fuite des cerveaux en Tunisie, mais il s’agit d’offrir de nouvelles possibilités et opportunités qui seraient bénéfiques aussi bien pour la Tunisie que pour mon pays. Je cite à titre d’exemple le travail à distance. Les échanges humains ne demandent pas forcément aux compétences de quitter leur pays. La Tunisie a besoin de ses enfants doués, il faut juste savoir trouver des solutions bénéfiques, chose qui est très possible.

Compte tenu de son positionnement géographique stratégique à proximité de l’Europe, pensez-vous que la Tunisie peut constituer un portail vers l’Afrique pour la Finlande ?

Il y a une grande expertise sur le continent africain notamment en Afrique francophone et dans les pays arabes que la Finlande connaît un peu moins. A travers la Tunisie, les entreprises finlandaises pourraient bel et bien trouver plus de coopération en Afrique et c’est bien la stratégie finlandaise. De même, les entreprises tunisiennes pourraient trouver, à travers la coopération avec les entreprises finlandaises, de nouvelles possibilités sur le marché nordique.

Qu’en est-il du positionnement de la Finlande sur le plan international ?

La Finlande est un pays multilatéral tout comme la Tunisie. Pour nous, la charte des Nations unies est très importante et nous veillons au respect de la souveraineté et de l’intégrité territoriale de chaque pays. Actuellement ce qui nous inquiète, c’est l’agression russe contre l’Ukraine. Cette agression est illégale et a été condamnée aussi bien par la Finlande que par la Tunisie. Nos deux pays sont unanimes au sujet de cette question et nous sommes tous les deux des acteurs responsables veillant sur le respect du droit international.

En même temps, nous avons nos propres intérêts en tant que grand pays en termes de diplomatie, d’idées et de solutions, mais petit en termes de population ou de territoire. Ce n’est pas dans notre intérêt que dans le monde, les grandes puissances militaires envahissent d’autres pays à leur gré. La charte des Nations unies donne aussi à chaque Etat le droit de se défendre et c’est ce que fait aujourd’hui l’Ukraine que nous devons soutenir à survivre à ses difficultés actuelles. Nous voyons aussi les répercussions de cette guerre sur le monde, notamment en ce qui concerne les produits agricoles et la Tunisie n’est pas à l’abri. La Finlande est tout à fait solidaire avec la Tunisie et œuvre à contribuer au déblocage de cette situation.

Si nous parlons chiffres, quelles enveloppes réserve la Finlande pour renforcer sa coopération avec la Tunisie ?

Tout comme les autres acteurs internationaux, la Finlande soutient plusieurs projets en Afrique du Nord y compris en Tunisie. Il existe beaucoup de projets bilatéraux et actuellement, nous travaillons sur divers thèmes liés à l’égalité des sexes, les droits des femmes, les enfants et les emplois en Tunisie.  Nous finançons aussi des projets qui combattent la violence en ligne à l’égard des femmes. Il existe également des contributions plus importantes mais d’envergure régionale qui ne concernent pas uniquement la Tunisie mais aussi d’autres pays de l’Afrique du Nord. A titre d’exemple, la Finlande a accordé une contribution de 40 millions d’euros pour le financement de projets environnementaux dans le cadre des changements climatiques. Au total, c’est une enveloppe de 60 millions d’euros que la Finlande accorde pour toute la région.

La Tunisie est un partenaire assez important et nous avons d’autres axes de coopération dont l’égalité des sexes. Je cite l’initiative « Generation Equality » où la Tunisie et la Finlande sont partenaires. Nous travaillons à l’échelle mondiale dans le cadre de l’ONU pour l’égalité des sexes et la Tunisie est un partenaire très intéressant pour la Finlande puisqu’elle représente le premier pays arabe en termes d’égalité des sexes. Ceci se traduit notamment par la nomination en Tunisie d’une Cheffe du gouvernement et de plusieurs femmes ministres. La Tunisie peut défendre ces causes à l’échelle régionale en s’adressant à d’autres pays arabes et africains dans d’autres contextes où la Finlande n’est pas présente à l’instar du sommet arabe.  Notre partenariat nous apporte donc de nouvelles expériences.

Qu’en est-il des échanges touristiques entre les deux pays ?

La Tunisie a une excellente ambassadrice à Helsinki, à savoir Sarra Chaaouani Labidi qui est très efficace et elle fait une très bonne promotion de la Tunisie en Finlande. Le tourisme et l’économie sont des secteurs où nous, en tant qu’ambassadeurs, pourrons faire un travail assez important en matière de partage d’informations en particulier. Nous pouvons faire découvrir nos pays hôtes auprès de nos compatriotes, des chefs d’entreprises etc. Dans le secteur touristique, nous avons tous vécu une période difficile à cause de la pandémie de la Covid-19. Aujourd’hui, la situation est en train de s’améliorer et personnellement, je suis vraiment très impressionné par la Tunisie qui est un pays magnifique à découvrir. Les gens sont si amicaux et chaleureux. La Tunisie est une destination que les touristes finlandais pourraient apprécier pour ses sites archéologiques et sa richesse culturelle qui méritent d’être connus. Ce n’est pas uniquement un pays où on peut profiter de la plage comme croient beaucoup de gens, mais il y existe aussi beaucoup d’endroits assez intéressants tels le Sahara et tant d’autres paysages naturels.  Il faut juste se connaître plus, se connaître mieux et renforcer le dialogue et les échanges entre nos deux pays.

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