Les pouvoirs publics viennent de se rappeler que les terres domaniales représentent un potentiel immense pour le développement de la production agricole non exploité de façon optimale et ce, pour plusieurs raisons : l’étendue des terres qui dépasse les 300.000 ha, la dispersion des exploitations dans les quatre coins du pays, mais aussi la modestie des moyens matériels et des ressources humaines dont dispose l’Office des terres domaniales pour la gestion de l’ensemble. De son côté, l’Etat n’a pas les moyens d’investir de façon massive pour intensifier les systèmes de cultures et accroître la production agricole. Le secteur privé, en revanche, sous forme de sociétés de mise en valeur et de développement agricole, est une expérience très intéressante sur le plan théorique, puisqu’elle permet au concessionnaire du contrat long terme de financer des investissements lourds pour optimiser la rentabilité de la ferme et de prendre du temps pour récupérer le fruit de ces investissements. Ce qui engendre une croissance sensible de la production agricole destinée aussi bien au marché local qu’à l’exportation, ainsi que la création significative d’emploi dans les régions rurales.
Cependant, le respect strict du cahier des charges est rare de la part des concessionnaires, qui sont souvent préoccupés par un gain rapide, sans risque ni investissement. A ce propos, des abus multiples ont été constatés avant et après le 14 janvier 2011.
Toujours est-il que le ministère de l’Agriculture a décidé de lancer un nouveau programme. En effet, le projet annoncé récemment par le ministère est en réalité un programme ambitieux d’exploitation des terres domaniales, doté d’un investissement de 100 millions de dinars, qui pourrait créer 3500 emplois permanents dont 400 réservés à des cadres supérieurs et moyens, soit techniques ou gestionnaires.
Il s’agit en réalité d’une superficie globale de 45.000 ha à répartir entre trois catégories d’exploitants : 25.000 ha destinés aux sociétés de mise en valeur et de développement agricole (location long terme), 10.000 ha destinés aux coopératives agricoles et 10.000 ha à répartir sous forme de lots techniques destinés aux techniciens et ingénieurs.
Il y a un enjeu considérable et un défi de taille à relever à travers ce programme.
Il s’agit de mettre en place une organisation administrative rationnelle et efficace pour gérer ce programme et le mener à son terme rapidement.
D’abord, l’élaboration des cahiers des charges pour les différentes fermes à concéder sous forme de SMDA, qui constituent le cœur du projet. Ce sont les ingénieurs agronomes qui doivent procéder aux études, ferme par ferme, pour définir un programme d’investissement conforme aux potentialités de développement de la région.
Ensuite, l’élaboration des critères d’attribution des fermes : capacité d’investissement et de financement des candidats avec garantie bancaire, motivation et engagement, compétence technique de l’équipe de gestion proposée avec liste nominative et références.
Garantie de transparence des procédures de sélection des candidats par une commission. Nécessité de publier les résultats avec possibilité d’appel pour les candidats malheureux au bout de 15 jours.
Mise en place d’une commission de contrôle de l’application du plan d’investissement avec des visites et des rapports semestriels suivis de sanctions si besoin est.
Le drame de l’Office des terres domaniales, c’est qu’il souffre d’une double tutelle : celle du ministère des Domaines de l’Etat, des juristes à cheval pour ce qui est de la stricte application de la loi et des comptables soucieux d’enregistrer dépenses et recettes sans sourciller ni se poser des questions, et celle du ministère de l’Agriculture où les ingénieurs prennent leurs décisions dans le confort discret des bureaux feutrés.
Il y a souvent déconnection totale entre les réalités douloureuses du terrain : locaux d’exploitation (étables) en ruine, matériel agricole hors d’usage, terres fertiles et bien arrosées cultivées de façon extensive en céréales, plantations fruitières négligées, mal entretenues et peu productives, équipes d’ouvriers non encadrés et peu productifs, nonchalance dans les récoltes et manque de dynamisme pour les semailles et les travaux d’intersaison.
Les objectifs sont en réalité multiples, ambitieux et réalisables à la fois si l’on s’y prend de façon rigoureuse et méthodique.
Intensifier et diversifier la production de façon intégrée : si on pratique l’élevage laitier, il faudra des cultures fourragères mais aussi des cultures intensives de fruits et légumes pour utiliser le fumier et avoir des produits bio, soit grâce à la pluviométrie, sinon investir dans l’irrigation suite à des sondages profonds.
Prendre en compte les potentialités d’exportation si la culture en primeurs ou en arrière-saison est possible, sinon rechercher des clients locaux haut de gamme. De toute façon, cibler des produits de qualité et promouvoir traçabilité et conditionnement des produits.
L’enjeu est également de créer des emplois massifs pour fixer au terroir les populations rurales contraintes à l’exode, suite au chômage croissant dans les zones défavorisées.
Le législateur a pour but d’insérer les terres domaniales dans l’économie de marché et leur intégration dans la mondialisation, afin de rompre le cercle vicieux routinier de pauvre monoculture de céréales pour la consommation locale, même si celle-ci est déficitaire suite à l’augmentation massive de la consommation nationale entachée de gaspillage scandaleux.