Les discussions sur le projet de loi antiterroriste ne sont pas encore engagées alors que tout les journalistes s’y opposent vivement et pour cause : ce projet frappe de plein fouet l’essence même de la liberté de la presse. Avec la célébration de la journée mondiale de la liberté d’expression, il est évident que les lois qu’on tente de mettre en place en Tunisie ne touchent pas le fondement même de ce droit universel. On assiste parfois à un faux débat : le droit à la sécurité et le combat contre le terrorisme peut justifier, du moins en partie, de se passer de droit de la liberté d’expression. Dans quelle mesure alors peut-on dissocier les deux questions et instaurer une véritable démocratie dont l’un des piliers est certainement la liberté d’expression ?
Le terrorisme et le droit à la sécurité d’abord !
L’attaque du musée du Bardo le 18 mars dernier et les récents événements à Kasserine, prouvent, une fois de plus, que la sécurité nationale est devenue la priorité numéro 1 non seulement pour le gouvernement mais aussi pour tous les Tunisiens. Il est aussi bon de noter que la loi antiterroriste promulguée sous Ben Ali est rejetée par les forces armées ainsi que la société civile car elle était édictée dans un souci purement sécuritaire.
La loi anti-terroriste, ou plutôt le projet de loi tente de nous préserver d’un danger éminent et imminent à la fois, qui est le terrorisme qu’il faut d’abord définir en tant qu’acte subversif visant à déstabiliser le pays.
Les lois antiterroristes en vigueur sont, à n’en point douter, devenues obsolètes face aux diverses formes auxquelles les terroristes recourent : les moyens de communication (la cybercriminalité), le milieu associatif, la contrebande, le blanchiment d’argent, les attentats qui ciblent les forces armées et les civils etc. Or, après l’extraordinaire explosion de la liberté d’expression depuis 2011 et la recherche quasi hystérique du scoop médiatique, l’information sécuritaire est devenue très recherchée laissant libre cours aux spéculations, aux hypothèses et aux conjectures. Les excès d’usage de ces informations, de la plus haute importance, ayant trait aux opérations anti- terroristes peuvent nuire aux opérations du terrain, et on a même vu les terroristes recourir aux moyens d’information pour connaître le positionnement des troupes et les failles qu’ils puissent détecter. Divulguer des informations qui peuvent paraître anodines, peut aussi toucher à la sécurité nationale et à la sécurité de nos forces armées. La barrière entre ce qui relève du droit à l’information et la sensibilité accrue de certaines informations n’est pas du tout évidente.
La liberté d’expression doit continuer mais…
Point n’est question de revenir sur ce que tout Tunisien convient de confirmer que le meilleur acquis après le 14 janvier 2011 reste la liberté d’expression. On n’est pas encore parvenu à un équilibre politique, social et économique, mais la liberté des individus est un droit acquis et irréversible. Aujourd’hui même le nouveau projet de loi antiterroriste qui essaye, tant bien que mal, mais plutôt mal que bien, se focalise en une partie sur le droit de divulguer les informations pouvant « nuire à la sécurité nationale ». Rappelons que ce concept flou nous a menés dans le passé vers une dictature absolue. Mais toujours est-il que cette nouvelle guerre exige aussi de ne parler que d’une seule voix contre ce fléau qui est le terrorisme.
On ne dira jamais assez, non plus, du manque de professionnalisme de nombreux médias et journalistes qui traitent de ce fléau. Il faut dire qu’aucune formation adéquate n’a été convenue jusqu’à présent pour cadrer leur travail. Le recours des médias parfois à des pseudo-analystes ou aux réseaux sociaux, provient essentiellement du manque de communication avec les instances responsables : le ministère de l’Intérieur et le ministère de la Défense nationale. Quelques courageux journalistes avaient engagé des investigations, et les résultats obtenus étaient plus que probants, parfois même ils ont pu alerter les dirigeants politiques et l’opinion publique. C’est grâce à cette liberté d’expression et de cette éternelle quête du journaliste de la vérité que les politiques et les forces armées en tirent profit.
Complémentarité entre journalisme et soucis sécuritaires
Nous ne pensons pas qu’opposer le travail journalistique au souci sécuritaire des politiques et des forces armées, fera avancer les choses. Œuvrer à ce qu’il y ait complémentarité entre les deux, serait la meilleure solution ; mais comment ?
Dans le monde journalistique et les médias en général il faut qu’il existe des spécialistes formés dans les questions sécuritaires et stratégiques. Aussi, peut-on envisager de les former dans ce sens afin que l’on puisse s’appuyer sur des informations officielles et traitées d’une façon professionnelle, loin de la recherche du sensationnel. Cette formation permettra à coup sûr de lever le malentendu qui existe actuellement et arrêtera le défilement des informations non vérifiées. Aucun journaliste n’a l’intention de porter atteinte à la sécurité nationale, mais faut-il pour autant qu’il sache discerner entre ce qui est information et ce qui peut porter atteinte à la sécurité nationale. Pour ce faire, rien ne vaut un dialogue et une formation appropriée sur ce thème combien sensible. L’effort dans ce cas précis incombe à nos deux ministères de souveraineté de créer un véritable organe de communication et non seulement un porte-parole.
Nos forces armées doivent aussi faire l’effort de comprendre le souci du journaliste d’informer et parfois d’aller de l’avant pour mener des investigations sur le terrain, de faire découvrir aussi les failles, les réseaux et les dangers qui guettent le pays.
La complémentarité n’est pas un vain mot ; car dans cette guerre il faut conjuguer tous les efforts afin de venir à bout de ce fléau qui guette notre pays, et pour une guerre totale, une synchronisation des énergies est plus qu’obligatoire car elle donnera une synergie combien importante dans cette phase de transition que traverse notre pays.