Terrorisme : L’Islam en otage

Il a fallu qu’il soit Tunisien. L’info tant redoutée ici, de l’autre côté de la Méditerranée, est tombée comme une malédiction. L’horreur de la tuerie dans la basilique Notre-Dame de l’Assomption de Nice et l’émoi qu’elle a engendré sont tels que d’aucuns espéraient que l’assassin ne soit pas d’origine tunisienne. Soudain, le choc, la honte et la peur. Brahim Aïssaoui, 21 ans, originaire de Bouhajla, gouvernorat de Kairouan, débarqué clandestinement à Lampedusa, a commis l’irréparable en France. Choqués par la barbarie de l’acte, les Tunisiens ont honte de cette jeunesse endoctrinée, embrigadée, et de n’avoir pas les mots suffisants pour exprimer leur compassion, leur colère et leur condamnation de tous les actes barbares commis au nom d’Allah ou du prophète Mohamed. Ils ont aussi peur des amalgames – si faciles dans ces circonstances – qui font croître les incompréhensions, les divisions, les stigmatisations, les confrontations, alors que la France et la Tunisie mènent la même guerre contre le même ennemi, le terrorisme islamiste. Saurons-nous, pourrons-nous, faire face ensemble aux démons de la violence et de la division ?

Les églises de France ont toutes sonné le glas le 29 octobre à 15 heures, après l’attaque au couteau perpétrée le matin par un jeune Tunisien clandestin de 21 ans, faisant trois morts et plusieurs blessés dans la basilique Notre-Dame de Nice. Les clochers ont clamé haut et fort la blessure, la souffrance et la sidération de la communauté chrétienne frappée ce jour-là dans son fief, une église où priaient des fidèles. Un acte barbare, injustifiable, incompris, qui plus est commis par un étranger sans attaches familiales, ni sociales, ni économiques dans l’hexagone, ni fiché S, même pas connu des services de sécurité tunisiens, venu, semble-t-il, pour commettre son crime, sans doute commandité. Un groupe inconnu des renseignements tunisiens s’appelant « Al Mahdi dans le Sud tunisien » a revendiqué l’attentat dès le lendemain, vendredi 30 octobre. Le même jour, le ministère public près le Pôle judiciaire antiterroriste ordonne l’ouverture d’une enquête sur le groupe en question.

Enième provocation depuis les caricatures danoises en 2005
La colère est justifiée. En l’intervalle d’un mois, la France a été frappée trois fois par le terrorisme islamiste. Le premier attentat perpétré (25 septembre) par un réfugié pakistanais faisait écho à l’ouverture du procès de l’attentat de Charlie Hebdo ouvert le 2 septembre dernier. Le second (16 octobre) ciblait un professeur d’histoire décapité pour s’être servi des caricatures du journal satirique sur le prophète Mohamed pour enseigner la liberté d’expression. Le troisième (29 octobre) visait la basilique de Nice et ses fidèles en réaction à la promesse du président Macron faite aux Français que les caricatures du prophète Mohamed continueront d’être publiées et la liberté de presse à la française préservée. Mais cette promesse a déclenché un flot de critiques dans de nombreux pays musulmans de la part de dirigeants politiques et religieux et une vague de manifestations de rues. Un appel au  boycott des produits français est largement relayé sur les réseaux sociaux et dans plusieurs pays, comme le Koweït et le Qatar, des rayons sont vidés de leur marchandise française dans les grandes surfaces.
Le tollé est le énième depuis la publication des premières caricatures danoises en 2005. Ce qui laisse beaucoup de musulmans penser que cette fixation sur les caricatures du prophète, outre le fait qu’elle s’inscrit dans le cadre de la liberté d’expression française, a pour objectif de provoquer et d’humilier 1,5 milliard de musulmans à travers le monde. La représentation des prophètes est strictement interdite par l’Islam et celle du prophète Mohamed est une offense pour les musulmans. Mais le président Macron n’a pas que suscité la colère des bons musulmans, il a aussi remué des braises sous la cendre. Lors de l’hommage à Samuel Paty, Emmanuel Macron est paru déterminé à faire la guerre à l’islamisme radical sur le sol français. Il cible les associations liées à cette branche radicale de l’islam, essentiellement le Collectif contre l’islamophobie en France et la BarakaCity (son président a déjà demandé l’asile à Ankara), et s’engage à mettre un terme à leurs activités ainsi qu’à anéantir tous les réseaux de financements étrangers qui les alimentent. Après son discours sur le projet de loi sur le  séparatisme islamiste (2 octobre) et son examen prévu en conseil des ministres le 9 décembre prochain, le président Macron signe et persiste, lors de l’hommage à Samuel Paty, le professeur décapité. Les appels d’une partie de l’élite politique française, pas seulement l’extrême droite, aux pires répressions après l’attentat contre la basilique de Nice présagent de moments difficiles pour les musulmans de France : une législation de guerre, plus de restrictions à l’émigration (Marine Le Pen, RN), la fermeture des frontières, la déchéance de la nationalité et même un « Guantanamo » à la française (Eric Ciotti, député LR).

Le Printemps arabe, la Syrie, le terreau terroriste
Le choc est tel que la colère est totale. Mais le temps a le pouvoir d’apaiser les esprits et de permettre à l’intelligence de relativiser, même l’horreur. Pour ce faire, il est opportun de ne pas faire d’amalgames et de se rappeler, par devoir de mémoire, que la même douleur et la même blessure ont frappé et frappent encore la communauté musulmane, dans le monde entier, y compris dans les mosquées. L’ennemi est le même : l’islam radical. Pas l’islam. La branche extrémiste de l’islam. Toutes les religions en possèdent, mais actuellement seule la religion musulmane est prise en otage par cette branche violente qui est montée en puissance et s’est étendue dans plusieurs pays grâce au Printemps arabe. Avec la guerre en Syrie, le monde a découvert à quoi ressemblent Daech et toutes les organisations terroristes exhibées sur toutes les chaînes de télé en train de couper des têtes de détenus musulmans ou d’otages occidentaux, au nom d’Allah et de la démocratie occidentale, « larguée » par les avions de la coalition internationale. Cette guerre a dévoilé au monde entier tous les enjeux géopolitiques, économiques et énergétiques, les rivalités Etats-Unis-Russie, Arabie-saoudite-Iran-Turquie et leurs alliés respectifs. Les puissances occidentales et arabes ont mené une guerre pour laquelle des organisations terroristes ont été créées pour mettre à genou le dictateur ou le rival géopolitique. Une guerre complexe où les terroristes et les mercenaires ont été présentés comme des opposants, des militants. Ce scénario n’est plus un secret. Plus récemment, des mercenaires multinationaux n’ont-ils pas été transférés (et filmés) par convois aériens de Syrie vers la Libye pour tuer des Libyens ? Cette guerre mondiale, qui ne dit pas son nom, en terres d’Islam, a fait monter le terrorisme djihadiste et exacerber les divisons et les haines. Il est temps que cette guerre cesse. Le président américain, Donald Trump, tente d’esquisser avec l’Accord du siècle, concocté avec Benyamin Netanyahu, premier ministre israélien, en l’absence des Palestiniens, mais avec l’accord de certains pays arabes, ceux-là mêmes qui ont signé ou sont en passe de signer un accord de normalisation avec Israël. Même les pays arabo-musulmans farouchement opposés à la normalisation sont aujourd’hui mis devant le fait accompli. Les citoyens du monde musulman sont témoins, profondément meurtris, certains, par faiblesse, cèdent à la haine et pas seulement de l’Occident.
Tant que la question relative au retour des djihadistes de Syrie et d’Irak et même de Libye n’aura pas été réglée dans la transparence,  le problème restera entier. Beaucoup de points méritent d’être éclaircis. Pourquoi les pays ont-ils été contraints à accepter leur retour en dépit de l’opposition de leur population ? Quel sort leur est réservé après leur retour au pays ? Que font-ils, où vont-ils, après la phase prison ? Pourquoi les peines judiciaires ne sont-elles pas à la hauteur de l’horreur de leurs crimes, même s’ils ont été commis dans un pays étranger ?  Une autre interrogation qui mérite aussi réflexion : serait-ce une coïncidence que la violence urbaine ait explosé dans presque tous les pays où l’on compte des ressortissants parmi les jeunes embrigadés et envoyés combattre en Syrie ? Il faudra sans doute attendre des années, voire des décennies avant d’avoir des réponses car pour le moment le sujet est soit occulté soit déformé.

 Saïed et Macron : des individus utilisent l’Islam pour semer le trouble
Les conséquences de ces années de guerre sont là. Des attentats à répétition, partout. Les pays occidentaux comme les arabo-musulmans devraient faire plus que la publication de communiqués pour condamner des attentats alors qu’ils savent qui est derrière ces tueries et pourquoi ils le font. Dans un entretien téléphonique,  Kaïs Saïed et Emmanuel Macron ont échangé, samedi dernier, sur « les relations bilatérales exceptionnelles » (communiqué de la présidence de la République) et sur les derniers attentats qui ont ciblé la France. Ce fut l’occasion – un peu tardive –  pour le président Kaïs Saïed d’exprimer sa condamnation de toutes les formes de violence et de terrorisme, de fustiger encore une fois « les parties (qui) cherchent à semer le trouble dans plusieurs pays dont la France, et (de préciser) que l’Islam est innocent de leurs actes ». Les deux chefs d’Etat ont communément affirmé, selon le communiqué, que « la religion musulmane est utilisée par des individus pour porter atteinte aussi bien à l’Islam qu’aux relations entre les pays et les peuples ».  Le même jour, le Chef du gouvernement, Hichem Mechichi, a réuni ses ministres de la Justice, de l’Intérieur et des Affaires étrangères et donné ses instructions pour que l’enquête sur l’attentat de Nice soit menée avec la plus grande rigueur afin d’en connaître les circonstances et les éléments qui auraient pu contribuer à sa planification, à partir de la Tunisie, et à sa mise en œuvre. Mechichi a également ordonné une totale coopération avec les services français chargés de l’enquête.
En Tunisie, on est bien conscients que la menace terroriste est présente, depuis près d’une dizaine d’années. L’islamisme radical a connu de beaux jours grâce au Printemps arabe, il s’est développé et étendu, contre la volonté d’une majorité de citoyens tunisiens qui voyaient leur pays devenir le premier exportateur de candidats au djihad, au vu et au su du monde entier.  Impuissants mais conscients et témoins de la dégradation du climat sécuritaire, les Tunisiens, une majorité détectée par les sondages d’opinion et par le taux d’abstention aux élections, vomissent aujourd’hui les islamistes et leur islam radical, ses porte-drapeaux, ses défenseurs et ses acteurs. Ces derniers sont aujourd’hui au pouvoir, au Parlement, ils sont devenus des décideurs, grâce à la démocratie qu’ils combattent désormais avec la violence pour perdurer et concrétiser leur ultime projet, le Califat.
Avec l’attaque de la basilique de Nice, la barbarie islamiste est montée d’un cran, visant une guerre des religions, aujourd’hui en France, demain qui sait où. Une guerre qui n’avait aucune raison d’être jusque-là.  Le président Macron prenait le bon exemple en citant la Tunisie pour illustrer ses propos sur « la crise profonde » que vit l’islam partout dans le monde, dans son récent discours sur le séparatisme islamiste. Une crise profonde conséquente à l’arrivée au pouvoir de l’islam politique par les urnes. Il y a crise parce que la démocratie est en danger et que l’islam (tout court) est pris en otage par les extrémistes, les fanatiques. La Tunisie actuelle ne ressemble pas à celle de Bourguiba ni même à celle de Ben Ali.  Ceci ne justifie nullement la persécution, ni l’emprisonnement, ni la torture des islamistes de l’époque. Mais il n’y avait pas de terrorisme djihadiste. Ceux qui prétendent le contraire donnent implicitement raison aux deux présidents défunts.
La France comme la Tunisie, font face au même terrorisme. Ce qu’il faut éviter par-dessus tout, ce sont les amalgames. L’islam radical n’est pas l’islam et les intégristes islamistes ne sont pas la majorité des musulmans. Le président Macron en est convaincu, il l’affirmait sur Al Jazira, samedi dernier, dans l’interview qu’il a accordée à la chaîne qatarie. Macron déclarait comprendre que les caricatures puissent choquer, tout en dénonçant la violence qu’il dit ne jamais accepter qu’elle soit justifiée et en réaffirmant de nouveau sa volonté de lutter contre le terrorisme sur le sol français. Le président français a précisé également que son discours sur le séparatisme islamique « a été tronqué, manipulé par certains pays arabo-musulmans…qui ont laissé penser que ces caricatures seraient une émanation du gouvernement français» et a fermement condamné les campagnes de boycott des produits français et de haine contre sa personne, bâties toutes deux sur des mensonges.
Le Premier ministre français, Jean Castex, réitère, dans une interview sur la chaîne française TF1,  la détermination de la France à s’attaquer frontalement à l’ennemi, identifié, « l’islam politique radical », et à déraciner le mal, tout en précisant que « la France va combattre son ennemi, pas tous les musulmans, ni tous les étrangers ». Peut-on avoir la même détermination ici, en Tunisie ?
En s’adressant aux musulmans, entre autres, sur la chaîne Al Jazira, le président Macron prône l’apaisement, celui dont le monde entier a besoin pour affronter l’autre fléau : la pandémie du Coronavirus.

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