Terroristes en Tunisie : qui sont-ils ? Que veulent-ils ?

La mort ou l’arrestation des leaders terroristes dans les opérations sécuritaires de l’Ariana, comme Kamel Ghadghadhi ou le « Somalien », ne sont pas restés sans ripostes du mouvement djihadiste. En témoigne la dernière embuscade organisée contre une patrouille sécuritaire à Jendouba. Que veulent exactement  les terroristes? De quels moyens disposent-t-ils ? Et comment sont-ils organisés ?

A l’aube de la journée du 16 février, la région d’Ouled Manaa (Gouvernorat de Jendouba) s’est réveillée après une opération terroriste ayant provoqué quatre morts (trois agents de la Garde nationale et un civil) en plus de quatre blessés. Les terroristes, dont le nombre est estimé à cinq, trois Tunisiens et deux Algériens, avaient installé un faux  barrage sécuritaire, en portant des uniformes identiques à ceux des unités d’intervention. Ils avaient en premier lieu pris pour cible une voiture dans laquelle se trouvaient  quatre personnes, en tuant deux (un gardien de prison et un civil) et en blessant deux autres. Avertie de cette opération, la Garde nationale a dépêché une patrouille vers 1 h du matin. Arrivée sur les lieux, elle a été bloquée et criblée de balles. Bilan : deux agents tués et deux autres blessés.

Un tournant dans le mode opératoire terroriste

Cette opération marque une nouvelle étape dans l’action terroriste en Tunisie. Désormais on est passés à la phase des faux barrages sécuritaires, un peu à l’image de ce qui s’est passé  en Algérie pendant la décennie noire. Une phase prévue par la mouvance djihadiste depuis longtemps. On se rappelle le terrible incident de l’égorgement de huit soldats tunisiens en août 2013. À l’époque les militaires tués ont été débarrassés de leurs habits et de leurs armes. Dernièrement, les services de la douane ont saisi une voiture libyenne à la frontière sud avec la Libye, transportant cinquante uniformes militaires. Ce n’est pas la première fois que les groupes terroristes font entrer des tenues de ce genre. En témoigne les trouvailles faites par les forces de sécurité lors des différentes saisies d’armes effectuées.

Mais que cache ce changement de taille dans l’attitude des terroristes ?

Le timing choisi pour cette opération n’est pas anodin. Elle a en effet eu lieu à la suite de la mort de sept terroristes et  à l’arrestation de quatre autres dans les deux dernières opérations de Raoued et de Borj El Ouzir. Une perte douloureuse, côté djihadiste, puisqu’il s’agit d’éléments qui ont participé aux assassinats de Chokri Belaid, de Mohamed Brahmi et des soldats du Chaâmbi, comme Kamel Gadghadhi et Ahmed Melki alias « le Somalien », soit les « meilleurs » éléments du mouvement. Il fallait alors riposter contre le « taghout » (les forces de sécurité). « Cette embuscade est une forme de représailles exercées par les terroristes qui s’inscrivent désormais dans une logique de vengeance », indique Noureddine Enneifer, expert sécuritaire. En conséquence, d’autres opérations d’envergure seraient en préparation, avec une montée crescendo de la violence terroriste. Désormais, les 400 cellules dormantes existantes — d’après les estimations de certaines sources sécuritaires — sont devenues actives et prêtes à agir de la pire manière pour anéantir l’institution sécuritaire tunisienne. «Il est possible que les terroristes aient recours aux explosions dans les centres commerciaux ou les lieux à forte densité humaine, aux opérations kamikaze et même au rapt de jeunes filles, les considérant comme des « sabeya » (butins de guerre) à l’image de l’exemple algérien», affirme Enneifer. Face à ce péril qui s’intensifie, une question se pose : savons-nous à qui nous avons affaire ?

Les cellules dormantes s’activent

En 2003, 1300 personnes soupçonnées d’activités terroristes ont été arrêtées, selon les dernières déclarations du ministre de l’Intérieur Lotfi Ben Jeddou. Or, le nombre global des djihadistes en Tunisie est estimé à 5000. À ceux-là, il faudra ajouter les terroristes tunisiens revenus de Syrie, de Libye et du Mali, que Noureddine Enneifer estime à 1200. Il s’agit d’éléments aguerris, qui manient différents types d’armes et qui  connaissent parfaitement les techniques de guerre. Ces derniers avaient reçu l’ordre de rentrer, de s’installer dans leurs villes d’origine pour y créer des cellules dormantes, lesquelles se composent de deux à cinq personnes et peuvent aller jusqu’à une soixantaine de personnes, il s’agit d’une grande cellule comme celle de Chaâmbi. Elles sont activées généralement par des cellules mères composées de chefs. La spécificité de ce système est que ces cellules ne se connaissent pas entre elles, pour des questions sécuritaires. Elles sont implantées essentiellement dans les régions du Grand-Tunis, plus précisément dans les quartiers populaires et chauds, comme la Cité Ettadhamen, Douar Hicher, Le Kram, Borj el Ouzir, Raoued, El Mourouj et Ben Arous. Car dans ces endroits il est plus facile de se dissimuler et d’avoir surtout l’appui d’une population appauvrie et protestataire contre tout pouvoir en place. Des régions frontalières comme Jendouba, Le Kef, Foussana, Ghardimaou, Sidi Bouzid, Kasserine sont devenues des fiefs pour le terrorisme après avoir été déjà des fiefs pour la contrebande. Leur relief montagneux et leur proximité avec l’Algérie où sont déjà installés des groupes terroristes algériens (Chaîne des Aurès) en font des endroits idéaux pour s’implanter et stocker des armes et des vivres.

Outre leurs spécificités naturelles permettant le déplacement aisé des terroristes, ces régions se caractérisent par un haut niveau de précarité et de pauvreté, ce qui en fait un réservoir  potentiel de djihadistes. Ce n’est pas par hasard si une bonne partie d’entre eux est originaire de ces zones, comme Kamel Ghadghadhi, originaire de Ghardimaou (Jendouba.)

Il faut préciser que tous les djihadistes ne  procèdent pas nécessairement à des opérations sur le terrain. Il y a une division bien précise des tâches. Enneifer identifie trois catégories ; les « croyants»: spécialisés dans la fabrication des explosifs et l’usage des armes pour commettre des opérations terroristes.  « Les Ansars » (les partisans) : responsables de l’approvisionnement en vivres, en armes et en puces téléphoniques, et qui font de la surveillance et du recrutement de jeunes autour des mosquées. « Al mouallafatou koulobouhom » (ceux qui sont unis par le cœur) : chargés de recueillir de l’argent, au profit des groupes terroristes, dans les lieux de culte et dans les associations caritatives où ils occupent des responsabilités.

Un financement inconnu

À vrai dire, le financement des groupes terroristes reste une grande énigme en Tunisie, de par l’existence d’un tissu associatif  qui constitue le premier pourvoyeur de fonds pour le terrorisme et dont les ressources restent inconnues. Rappelons qu’après la Révolution, les associations caritatives à caractère religieux ont pullulé en vertu de la nouvelle loi sur les associations, la loi 88-2011, très permissive. Leur nombre est estimé à environ 1000 et personne ne sait comment elles sont financées étant donné absence d’un contrôle de l’État. Résultat, ces associations qui reçoivent de l’argent de l’Arabie saoudite et du Qatar pour soi-disant promouvoir la culture islamique sont en réalité des vitrines pour faire circuler de l’argent au profit de groupes terroristes. À ce système il faudra ajouter les sommes fournies aussi par les prêcheurs, venus du Golfe et du Moyen-Orient, qui apportaient dans leur sillage des valises pleines d’argent sans aucun contrôle effectué dans les aéroports. L’autre source de financement pour le terrorisme est la contrebande. Une alliance de fer a été scellée entre djihadistes et contrebandiers dont plusieurs se sont convertis au terrorisme. En effet, leurs modes opératoires sont les mêmes ainsi que leurs zones d’activités (les frontières) et leurs cibles (les forces de sécurité). Il ne faut pas oublier que l’activité de contrebande a prospéré après la Révolution à cause de la faiblesse de l’État.

Un armement en abondance

Ces mêmes réseaux (de contrebande) ont aussi permis aux djihadistes de s’approvisionner en armes, venant essentiellement de Libye. Jusqu’à maintenant il n’y a aucune estimation de la quantité d’armement qui circule en Tunisie. Mais l’on sait qu’il en existe beaucoup, avec une diversité surprenante quant à leur type. En 2013, 246 fusils d’assaut Kalachnikov et 112 fusils de chasse ont été saisis selon le ministère de l’Intérieur. Les saisies effectuées au niveau des dépôts de Mnihla (Ariana) et Médenine, ont révélé l’existence de RBG et de deux missiles étaient stockés selon Enneifer, « pour bombarder les sièges des ministères de l’Intérieur et de la Défense ». Par ailleurs et lors de la dernière opération à Raoued, les forces spéciales de la Garde nationale ont trouvé des armes très sophistiquées comme la « douchka», qui est une arme russe pouvant tirer jusqu’à 430 balles, sans compter les 600 kilos d’explosifs (TNT et ammonitrate).  Ces exemples donnent une idée sur les quantités d’armes existantes et sur leur dangerosité. La Révolution libyenne a eu un impact très négatif pour la Tunisie. Environ 8 millions de pièces d’armes circulent désormais dans toute la région et les terroristes tunisiens en profitent. La Libye a été aussi un lieu d’entrainement pour les djihadistes en provenance de Tunisie dans les camps de Zenten et de Derna. Elle est devenue aujourd’hui la base arrière des groupes terroristes implantés sur le sol tunisien et leur refuge quand le contrôle sécuritaire s’intensifie. D’ailleurs Ahmed Rouissi, l’un des terroristes, est allé se réfugier là-bas. Ce dernier est le chef d’un camp d’entrainement kamikaze dans le sud de la Tunisie. Beaucoup de terroristes tunisiens se sont transformés en  de vrais émirs de guerre s’activant sur le sol libyen et s’y rendant régulièrement pour approvisionnement.

De fortes alliances

L’Algérie voisine est aussi  devenue une terre d’accueil pour les djihadistes tunisiens, d’autant plus que des alliances fortes ont été nouées entre les représentants d’Al-Qaïda dans les deux pays. Ainsi il est fréquent de trouver des éléments des deux nationalités s’activant en Tunisie ou en Algérie. Rappelons que onze Tunisiens ont participé à l’opération d’Ain Amenas (sud de l’Algérie) et que des Algériens ont pris part à l’assassinat des soldats de Chaâmbi et aux actes terroristes à  Sidi Ali Ben Oun (Sidi Bouzid) et à ceux de Jendouba dernièrement. « On assiste à un échange de procédés, de combattants et de stratégies », note Noureddine Enneifer. Cet échange est voulu, afin de permettre de commettre des actes terroristes d’une extrême violence, puisqu’ils ne seront plus exécutés par des natifs du pays, mais par des étrangers n’ayant aucune relation avec la population et capables des pires atrocités, comme ce qui s’est passé pour les militaires tunisiens, dont l’égorgement a été ordonné par le chef algérien de l’opération.

La nébuleuse terroriste agit désormais comme une entreprise internationale. Peu importe la nationalité des combattants, l’essentiel est d’adopter la doctrine et les méthodes d’action. Ainsi, il n’est pas étrange que celui qui a succédé à Abou Iyadh à la tête d’Ansar Acharia en Tunisie soit un Algérien, Khaled Chaieb alias « Abou Lokmane », expert dans la fabrication des explosifs et très proche de Mosaab Abdelouadoud, le chef de l’AQMI (Al-Qaïda au Maghreb islamique.)

Cette internationalisation du terrorisme vise avant tout à réaliser le rêve du mouvement salafiste dhjihadiste, à savoir la création d’un califat islamique formé de plusieurs émirats au Maghreb et au Sahel. « Al-Qaïda voudrait aligner la Tunisie, la Libye, l’Algérie, la Mauritanie, le Mali et même le Maroc pour créer une seule région », précise Enneifer. De ce fait, la Tunisie est devenue une pièce maîtresse de l’échiquier. Il va donc falloir tout faire pour la garder sous l’emprise de la nébuleuse terroriste, surtout que la sortie du pays de sa crise politique et constitutionnelle a fait échouer les plans d’Al-Qaida voulant constituer le premier émirat islamiste. On s’attend donc à des renforts de djihadistes venant d’Algérie et d’autres pays, mais aussi à des opérations de plus en plus spectaculaires visant à semer la terreur aussi bien chez les citoyens que chez les forces de sécurité.

Hanène Zbiss

 

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