La connaissance du passé nous guide-t-elle vers les actions du futur ?
La Tunisie vit actuellement une phase transitoire et une remise en cause ‘’d’un ensemble de valeurs’’ qu’une communauté semblaient partager et pour le moins qu’on puisse dire irrémédiablement acquises. Comment envisager un avenir ensemble, pour mener à bien le projet des générations futures, devient peut être la plus importante des interrogations du présent commun. Notre société se lit à travers de nouveaux paradigmes et les modèles d’hier ne conviennent plus aux contextes d’aujourd’hui. Néanmoins la Tunisie a connu une période transitoire par le passé dans les années d’après indépendance : sans avoir la prétention de trouver les solutions d’aujourd’hui dans les problématiques du passé, l’oubli et la mémoire donnent à certaines franges à la société, dont les artistes, la possibilité de participer au débat public entre autre par leur travail et leurs créations.
L’image et l’oralité comme perversion du passé
La période historique choisie pour cette comédie musicale se situe entre les années 50 et la fin des années 60 : faits historiques, chansons humoristiques et mémoire collective seront le matériel autour duquel se développera la fable. Reproduire le passé fidèlement n’étant pas une priorité, la liberté de l’interprétation d’un certain patrimoine immatériel tout en sauvegardant les marqueurs de l’Histoire permettra la mise en fiction de l’oral. Transmission et performance comme outil de l’oralité, qui ne se doit pas d’être uniquement un héritage du passé qui instaure un lien avec nôtre présent, nécessairement contemporaine et vivante. La chair de cette fiction étant le performer qui par le prisme des outils dramaturgiques mis à sa disposition et son chemin mental présentera, ici et maintenant, au spectateur : un discours en train de se faire, forcément perverti du passé, dans une lecture de l’immédiateté.
Quelques repères historiques
-20 mars 1956 : Indépendance de la Tunisie
-13 août 1956 : mise en place du Code du statut personnel qui donne aux femmes tunisiennes le statut le plus avancé dans le monde arabo-musulman
– 25 juillet 1957 : la monarchie est abolie par la constituante
– 1er juin 1959 : promulgation de la constitution
– 1961 : dans un contexte d’achèvement prévisible de la guerre d’Algérie, la Tunisie revendique la rétrocession par la France de la base militaire de Bizerte. Le refus français aboutit à la bataille du même nom
– 1962 : naissance du « socialisme destourien » lorsque le congrès national du Néo-Destour proclame l’adoption du socialisme.
– 1963 : le Néo-Destour adopte le régime du parti unique
– Si l’option en faveur du socialisme comme doctrine économique a été déterminante dans le choix du système du parti unique, le complot avorté de 1962 (ourdi par des officiers subalternes, d’anciens résistants et des partisans de Salah Ben Youssef) n’a fait que renforcer la volonté du président Bourguiba d’instaurer un régime autocratique.
Bab Souika comme espace de mémoire
Bab Souika signifie en arabe « Porte du Petit souk » et constituait l’une des portes de la médina, à mi-chemin entre Bab El Khadra et Bab Saadoun et tout près du quartier de Halfaouine. Après sa démolition en 1861, elle a donné son nom au quartier environnant.
Entre Bab Saadoun et la place Bab Souika, la rue Bab Lakouas qu’empruntaient jadis les lignes 3 et 4 du tramway abritait toutes sortes de petits métiers tels qu’artisans ferblantiers et maréchaux-ferrant dont le tintement clair des métaux sous leurs coups de leurs marteaux résonnent encore dans la mémoire du quartier. Sur la place qui grouillait d’une foule bigarrée et bon enfant, se tenait un marché de petits charretons couverts de fruits et de légumes tandis que le soir des petits cafés et des gargotes servant méchoui et pâtisseries orientales assuraient l’animation du mois de Bab Souika, signifiant « Porte du Petit souk ». ramadan.
Plus tard, dans les années 1980, la médina de Tunis fera l’objet de plusieurs tentatives d’assainissement plus ou moins réussies. L’une des plus importantes d’entre elles fut le réaménagement de la place Bab Souika. Pour sa réalisation, on a dû procéder à la destruction d’une bonne partie du tissu urbain préexistant pour laisser la place à un ensemble d’immeubles assez éclectique, construits dans un style « arabisant ». Des travaux furent également entrepris pour restaurer la mosquée Sidi Mahrez et le palais Saheb Ettabaâ (1984) et pour permettre la création d’une zone piétonne et d’une vaste place. Un tunnel est également creusé sous la place entre novembre 1984 et juillet 1987 pour faciliter la circulation dans ce quartier réputé encombré. La mosquée de Bab Saadoun est inaugurée en 1988 pour remplacer l’ancienne mosquée détruite du fait des travaux du tunnel. Enfin, le marché El Kallaline remplace celui de Sidi Mahrez en 1985.
Le « cafichanta » est une déformation du français « café chantant’’. Ce type de divertissement a rythmé les nuits du Ramadan depuis le début des années 50 et jusqu’à la fin des 1970, dans des salles comme « Salet el Fath » « Kortba » plusieurs café et restaurants à Bab Souika, « Salet El Âyachi » ou encore « Salet Madrid« .
Il s’agissait de lieux de fêtes populaires où le public venait assister nombreux à des spectacles de chant donnés par des artistes reconnus tels que Chafya Rochdi, Ali Riahi, Ismaël El Hattab, Fathia Khairi ou la fameuse Zohra Lambouba. Les numéros de danse orientale étaient assurés par les incontournables Zina et Aziza qui ont marqué l’imaginaire de générations de tunisois.
Préambule
Les événements de cette comédie musicale se déroulent à Bab Souika pendant le mois de Ramadan.
Nous sommes en décembre 1967, dans l’un de ces lieux dits « café chantant ». Cette année-là, l’hiver était en avance.
Il faut cependant remonter à l’année 1952 pour bien comprendre l’origine de notre histoire. A cette époque, le Néo-Destour avait chargé le dénommé Mehrez d’acquérir un local destiné a priori à abriter les activités de ce parti dans ce quartier populaire de Tunis. Juridiquement propriétaire du lieu, Mehrez obtient en contrepartie de pouvoir l’utiliser pendant les mois de Ramadan pour produire et diffuser des spectacles chantants et dansants.
Il faut savoir que l’année 1952 est cruciale dans l’histoire du mouvement national tunisien. Car c’est le 18 janvier 52 que s’est déclenchée l’insurrection populaire contre l’occupant français. Cette date a vu également l’arrestation d’Habib Bourguiba après « la fin de non-recevoir » du gouvernement français, par la lettre du 15 décembre 1951, au gouvernement Chenik venu négocier à Paris l’autonomie interne. La crise politique qui s’en suivit ne connaîtra son dénouement que le 20 mars 1956, date de la fin du protectorat français en Tunisie.
Après l’indépendance, Mehrez cède son local au parti tout en gardant la possibilité de l’utiliser pour les spectacles du Ramadan ce qu’il fait bon an, mal an jusqu’aux événements de la fable.
Entre temps, les événements politiques se succèdent dans la Tunisie nouvelle, avec leur lot de déceptions et de crises. L’étatisation de l’économie, la collectivisation des terres agricoles et la répression des étudiants de gauche qui ont constitué les faits marquants de l’année 1968 n’ont fait qu’accroître le malaise déjà né de l’agitation nationaliste, de la nationalisation des entreprises, et de l’arabisation de l’enseignement et d’une partie de l’administration.
L’année précédente, en juin 1967, la guerre des six jours avait ébranlé le peuple tunisien et suscité une forte réaction antisioniste comme dans l’ensemble du monde arabe. Les derniers juifs tunisiens quittent le pays après avoir déjà commencé à le faire à partir des années 1950, surtout au lendemain de l’indépendance. A l’époque, « l’Agence juive » avait ouvert un bureau spécial à Tunis et dans d’autres villes du pays afin d’organiser, avec l’aide du Mossad, l’émigration d’une majeure partie des populations juives: c’est l’alyah, la montée en Israël.
La fable
Mehrez, chef d’orchestre, chanteur et animateur de spectacles est confronté à une crise financière aigüe. Suite à la guerre des six jours, son épouse de confession israélite et toute sa famille ont vendu tous leurs biens pour une bouchée de pain et quitté précipitamment la Tunisie pour aller s’établir dans la banlieue de Paris. Mehrez ne peut donc honorer ses engagements envers ses musiciens à qui il devait déjà les cachets du Ramadan 1967.
Sa vie sentimentale n’est pas non plus de tout repos car il fréquente une Aïcha, une danseuse vedette sur le retour, à qui il avait promis le mariage.
Parallèlement, le local de la troupe étant situé dans un quartier populaire de Tunis, commence à susciter la convoitise des commerçants et des hommes d’affaires véreux qui font leur apparition dans le pays.
Pour couronner le tout, Mehrez est doublé Farhat, le luthiste du groupe et son acolyte sfaxien qui promettent au président de la cellule destourienne de lui construire un appartement au-dessus du local en contrepartie de l’exploitation de l’espace. Pour ce faire, les deux hommes doivent d’abord se débarrasser de Mehrez. Farhat se charge alors de semer la zizanie entre les différents membres du groupe et surtout entre Mehrez et Aïcha en proposant d’engager une jeune danseuse qui attirera davantage la foule.
Nous sommes à la veille du Ramadan 1968 et la concurrence fait rage dans le quartier de Bab Souika. Les recettes sont les seules entrées pour la troupe. Mais les musiciens refusent de commencer les répétitions tant que les cachets de la précédente saison ne leur ont pas été payés.
Mehrez réussit cependant à les convaincre en leur promettant de les payer avant la fin de la répétition.
Les composantes du spectacle
-En plus d’une trentaine de pages de dialogue entre les différents protagonistes, une dizaine de chansons humoristiques et satiriques restitueront l’atmosphère politique et sociale de l’époque. Les scènes seront accompagnées par un orchestre composé d’un luth, de deux percussions, d’un accordéon et d’un violon.
-Les événements de la fable se déroulent dans le décor kitch d’une salle de spectacle rudimentaire : chaises, enceintes, guirlandes, drapeaux, paravents… Un grand miroir en fond de scène servira d’écran pour projeter des photos et des vidéos d’archives ayant trait aux tournants historiques de la jeune Tunisie.
-La mise en scène se déclinera en trois axes :
– Jeu de comédien centré sur le comique et le burlesque avec des références aux films muets du début du XXème siècle.
– Le chant et la danse et l’élément vidéo.
– Quant à l’éclairage, il sera produit de l’intérieur de la scène avec un éclairage d’appoint extérieur.
(D’après communiqué)