TICAD 8, un enjeu majeur

La huitième édition de la Conférence de Tokyo pour le développement en Afrique (TICAD 8) démarre ses travaux demain à Tunis dans un contexte mondial perturbé par l’enlisement de la guerre en Ukraine qui a entamé son sixième mois et engendré une crise mondiale économique, énergétique et sociale inédite. La montée de l’inflation et la flambée des prix ont déjà engendré des grèves et des protestations sociales en Grande-Bretagne et s’apprêtent à paralyser également des pays européens dès la prochaine rentrée en septembre. Aucun pays au monde n’est épargné par les dommages économiques collatéraux du conflit armé en Ukraine et l’importance de rappeler le contexte mondial, agité également par l’autre non moins grave crise Chine-Taïwan, donne à la TICAD 8 la dimension d’un rendez-vous international incontournable, et à la Tunisie, en tant que pays hôte, le statut international d’une nation fiable, stable et prometteuse, malgré la conjoncture politique difficile et les menaces qui pèsent sur la paix sociale. 
La TICAD a été lancée par le Japon en 1993, à la fréquence d’une conférence tous les cinq ans au départ et tous les trois ans depuis 2013, afin de promouvoir un dialogue politique de haut niveau entre les dirigeants africains et les partenaires internationaux sur les problèmes de développement économique, de pauvreté et de conflits, des problèmes auxquels sont confrontés les pays africains. Co-organisée par le Japon, l’Union africaine, les Nations unies (PNUD) et la Banque mondiale, « la Conférence a, depuis, changé de vocation, assurait récemment Kaïs Darragi, coordinateur général de la TICAD 8, au magazine Leaders, elle est de plus en plus axée sur le financement et l’appui du secteur privé ». 
Cinq mille participants venant du Japon et des pays africains, dont des chefs d’Etat et de gouvernement à la tête d’importantes délégations d’officiels, de dirigeants de grandes entreprises japonaises et africaines et des investisseurs, sont attendus à ce grand rendez-vous (27 et 28 août 2022) placé sous le signe de la reprise économique post-Covid en Afrique. Un thème, faut-il reconnaître, marginalisé par la guerre qui a succédé à la pandémie, une guerre dont l’impact dévastateur sur les pays du monde entier va aller crescendo. Le japon fait partie des puissances qui soutiennent militairement l’Ukraine. Par ailleurs, le Japon est également concerné par les menaces de conflit armé (un autre) qui pèsent sur la région, à cause des tensions entre La Chine et Taïwan-Etats-Unis.
Les thèmes des discussions et des dizaines de panels qui seront abordés à Tunis portent essentiellement sur la croissance durable et inclusive, la réduction des inégalités économiques, la sécurité alimentaire, la paix et la stabilité durables en Afrique. Des ambitions réelles mais des défis difficiles à relever. La plupart des pays africains sont endettés, certains sont surendettés, ils offrent peu ou pas d’espoirs à leur jeunesse qui, en dernier recours, choisit de partir vers d’autres cieux, dans des embarcations clandestines pour soit mourir soit grossir les rangs des émigrés clandestins retenus dans des centres de « concentration ». 
A la TICAD 8, la Tunisie va proposer pour financements étrangers plus de 80 projets d’une valeur de 2,7 milliards de dinars dans les domaines de l’industrie automobile, des énergies renouvelables, de la santé, etc. En cette période de vaches maigres, d’impossibilités d’accéder à des financements étrangers, l’occasion est en or. 
Pour la Tunisie qui fait face à sa plus grave crise économique et financière, l’enjeu est majeur et les ambitions illimitées : encourager l’innovation et le transfert technologique japonais, attirer des investissements au profit des PME tunisiennes et devenir la porte de l’Afrique pour le Japon.  Il faut en effet frapper à toutes les portes quand les circuits classiques d’emprunts et de financements sont fermés ou semés d’obstacles. Même si le résultat n’est pas assuré. La parenthèse politique inédite que traverse actuellement la Tunisie, appréhendée à l’étranger avec beaucoup d’incompréhensions, d’incertitudes ou d’appréhensions, ne facilite ni la conclusion d’accords, ni la concrétisation de projets, ni l’obtention de financements à la hauteur des besoins de la Tunisie.   
Par ailleurs, la 8e TICAD tient ses assises en terre africaine au moment où le monde est en guerre et en déclin économique, où l’Occident et la Russie, en guerre en Ukraine, ont ouvert en Afrique un nouveau front d’influence et cherchent des alliés africains. C’est à qui offre le plus d’opportunités économiques, d’accords financiers, de contrats militaires et autres appâts. La France aussi, présente militairement, cherche à renforcer ses positions, son influence et ses aides. Sans le conflit russo-ukrainien, la TICAD aurait été une affaire de coopération bilatérale afro-japonaise. Avec le conflit, pour l’Afrique, comme pour le reste du monde, le nouvel ordre mondial est en train de changer, de paradigme au moins, il s’agit donc de repenser l’avenir, les relations internationales et de nouvelles alliances. 
La TICAD 8 démarre demain, sans le premier ministre japonais Fumio Kishida, testé positif à la Covid. Un premier bémol, pourvu qu’il reste le dernier. Kishida ne viendra pas à Tunis mais il participera à distance depuis Tokyo aux travaux de la conférence. C’est le ministre des Affaires étrangères, Yoshimasa Hayashi, qui sera à la tête de la délégation officielle. Décidément, la Covid continue d’imposer ses règles et ses restrictions. A cause de cela, il n’y pas eu non plus de poignée de main présidentielle et de circonstance entre Joe Biden et Mohamed Ben Salmane à l’arrivée du président américain à Jeddah, en Arabie saoudite, le 16 juillet dernier, pour assister à une réunion du Conseil de Coopération du Golfe. Hier la Covid, aujourd’hui la guerre en Europe, le monde a changé. 
Le sommet de la Francophonie, prévu en novembre prochain est, semble-t-il, en sursis, on soupçonne déjà un autre report. Peut-être même une annulation. Des médias français rapportent que le premier ministre canadien, Justin Trudeau, à l’origine du premier report, chuchote aux oreilles d’Emmanuel Macron et compte le convaincre lors de sa visite au Canada. 

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