À première vue, l’habit du groupe musical Tinariwen ne rime pas avec la température ambiante d’autant plus que notre pays traverse des temps caniculaires. Mais, cet habit des touaregs est la marque emblématique du groupe musical Tinariwen. Il s’appelle le chèche ou taghelmust. Souvent, ce vêtement prend la couleur noire ou encore la couleur bleue ou blanche. C’est en l’occurrence une sorte de foulard d’environ 4 à 8 mètres de long, porté notamment par les hommes Touaregs. Traditionnellement, les hommes l’enroulent sur la tête et le visage, pour se protéger du soleil et du vent sec du désert dans leur périple caravanier. Aussi, ce groupe Tinariwen détenant à présent une résonance internationale provient du Sahara et ses bordures (Algérie, Libye, Niger, Mali, Mauritanie et Burkina Faso) mais il brandit principalement le drapeau malien même s’il se trouve à la croisée de plusieurs pays d’Afrique. Son chant se fait en langue berbère avec un alphabet appelé Tifinagh dont les lettres se présentent comme suit : ⵜⴰⵎⴰⵣⵉⵖⵜ (ceci est un extrait).
Même si la majorité des mélomanes présents ne comprenait pas un mot des chansons jouées, cela n’a pas empêché les mélodies de communiquer une ambiance positive, festive et pleine d’espoir dans des lendemains qui chantent. Le tout dans un rythme mimant l’ancestrale marche du dromadaire.
Le groupe Tinariwen au festival de Hammamet
Le 1er aout 2017 le festival de Hammamet a donc été le réceptacle de l’excellent groupe Tinariwen qui a effectué une impressionnante performance à guichets fermés. Le groupe fut créé officiellement en 1982, lors d’une participation au festival d’Alger. Le lancement international du groupe peut être renvoyé à l’année 1987. Ce sont en effet les deux leaders Ibrahim ag Alhabib « Abraybone » et Alhousseini ag Abdoulahi « Abdallah » qui ont été les premiers à penser à engager ce groupe dans l’industrie de la musique. Même s’ils multiplient les scènes depuis la sortie de leur premier album, les membres de Tinariwen sont très conscients qu’ils appartiennent à une grande famille d’artistes touareg. Dans cette perspective, leur credo est que cet art s’hérite d’une génération à une autre tout en se modernisant à travers l’usage de la guitare électrique et en se mariant avec le blues.
Le groupe considère que leur art est une façon de véhiculer une résistance, un souffle de dissidence inarrêtable au moment où la culture nomade est de plus en plus menacée par la sédentarisation forcée de la plupart des habitants de la planète. En d’autres termes, c’est une manière de prôner un retour aux sources qui éloigne de la concentration de nos grandes villes avec leurs klaxons et embouteillages interminables.
Depuis qu’il mène une carrière à l’international à partir de 2001, le groupe Tinariwen joue non seulement de la musique mais défend une culture, une façon de vivre et une singularité menacée au Mali par des enjeux liés aux problématiques d’hégémonie et de lutte pour les ressources énergétiques. Aussi, il importe de signaler que Tinariwen ne constitue pas une formation figée. Ce groupe se caractérise par une grande liberté dans la gestion de ses artistes. Ainsi ces derniers participent à leur guise ; c’est-à-dire au moment où ils sentent qu’ils veulent participer aux chants du groupe. Certains, comme Mohamed ag Itlal dit le «Japonais», contribuent à l’aventure grâce à leurs compositions sans s’impliquer dans les tournées mondiales du groupe.
Les tournées du groupe sont intensives et leurs chansons sont très prisées au point que, par exemple, pour le seul été 2017, le groupe a donné et donnera 24 concerts principalement en Europe. Il est devenu pour certains festivals notamment en Allemagne et en France comme une espèce de rite de passage.
Aujourd’hui le groupe est à son huitième album qui s’intitule Elwan. Avec cet album, le groupe se place comme étant le roi du desert blues. Dans cet album, les artistes puisent dans l’ancestral art musical malien qui s’est fait connaitre par Ali Farka Touré mais puissent également dans une forme artistique qui se marie avec le mood américain et son vigoureux son de guitare de blues ; le tout dans une posture dromadérienne, minimaliste rappelant le Sahara, son aridité, ses paradoxes de la chaleur du jour et du froid de canard de la nuit, son climat rude mais aussi ses caresses de l’aube et la prédominance du néant lors de la traversée. Sans patience, point de survie au désert. Sous cet angle, le chant-est-il une façon de s’armer de patience pour ces Touaregs ?
Jeune public enflammé
Il faut remonter plusieurs spectacles en arrière pour voir le public en symbiose avec une troupe d’artistes. Parmi les présents à ce spectacle, des jeunes dont l’âge varie entre 18 et 40. Avec des rythmes endiablés venant du fin fond du continent africain, les spectateurs étaient en transe, la température ambiante était de 40° et la musique ajoutait des degrés en plus. Dans des gradins permettant le défoulement, la plupart de ceux qui ont assistés à ce spectacle ne pas été avares en énergie et dansait parfois même de façon hystérique, s’adonnant à la joie sous toute ses formes et en particulier corporelle.
Le concert avait commencé à 22 h et s’est terminé à 23 h 30. L’effet de Tinariwen était tellement bien qu’aussitôt les artistes décidaient de partir, le public les tenait en haleine en les encourageant de poursuivre. Et les artistes à chaque fois répondaient favorablement et revenaient afin de terminer le spectacle sur un beau souvenir.
À son tour, Tinariwen a été également agréablement surpris par la verve de la jeunesse tunisienne qui attendait le lieu pour s’exprimer avec une fougue débordante. Vers la fin de chaque chanson, les artistes de Tinariwen saluaient le public avec un « choukran » et aussi à « merci à Tounes el kadra ».
Organisation touchant la perfection
Sans conteste, on peut attribuer à l’édition 53 du festival de Hammamet la place numéro 1 pour cette année au niveau de la programmation artistique, notamment si on la compare avec celle de Carthage ou encore avec celle d’El Jem. Tout y est dans cette organisation : la sonorisation, les lumières, la propreté des gradins, la sécurité, la rigueur dans le départ des spectacles et l’ambiance à l’entrée de ce festival. Cet accueil est digne d’une entrée princière mettant ainsi la ville au cœur de ses vocations touristique et culturelle.
Aussi, dans cette programmation, nous trouvons des artistes à dimension internationale et qui ont marqués par leur œuvre le patrimoine mondial de la musique à commencer par Anouar Brahem qui se produira le 26 août, Mohamed Mounir qui se produira le 18 août et plus particulièrement Faiz Ali et Titi Robin qui se produiront le 19 août. Sans oublier le spectacle de Habbouba qui aura lieu le 12 août avec la mise en scène de Samir El Aguerbi et Calypso Rose qui a été connue mondialement par sa chanson mythique Calypso Queen ; la liste de l’excellence est loin de se terminer. Bref, cette année le festival Hammamet a réellement œuvré pour une culture de qualité et une politique de l’offre très diversifiée. Bravo !
Mohamed Ali Elhaou
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