Tourisme : Des pistes pour une sortie de crise pérenne

Pour le tourisme tunisien les temps ne seront plus ce qu’ils étaient. La Covid-19 et ses effets dévastateurs introduiront une toute autre configuration du paysage touristique, aussi bien national qu’international. Ces effets vont bousculer des modèles de développement jugés dans plusieurs pays obsolètes. Ils vont aussi éclairer sur les limites du tourisme de masse, du mono-produit balnéaire, le tour-operating classique. Ces mêmes effets vont certainement affecter les relations entre producteurs et distributeurs de l’offre touristique et partant les relations entre professionnels tunisiens et leurs partenaires étrangers.
Relancer le secteur est aujourd’hui une nécessité. Pérenniser l’activité en est une autre…
Sur ces questions Mohamed Moez Belhassine Directeur général de l’Office national du tourisme tunisien a bien voulu nous entretenir…Interview.

 Comment se présentent les indicateurs du tourisme tunisien en 2020 ?
L’industrie touristique dans le monde a été, de toute évidence, l’une des activités les plus touchées pendant l’année 2020 ; le tourisme tunisien en fait partie.
En raison de cette crise sanitaire du fait d’une pandémie qui a frappé de plein fouet le tourisme, les recettes touristiques ont chuté de 87,7%.
Le nombre de touristes étrangers a enregistré une forte baisse de 66,1% au premier semestre de l’année 2020. Cette baisse a concerné les différentes nationalités, notamment les touristes européens, dont les entrées ont chuté de 84,3% par rapport à la même période de 2019.
Les recettes touristiques en devises ont accusé une diminution de 47% au cours du premier semestre de 2020, pour revenir à 1,085 milliard de dinars (334,174 millions d’euros).
Nous gardons toutefois un optimisme mesuré par rapport à l’évolution de la situation sanitaire et au regain d’intérêt progressif à l’égard des voyages. À l’échelle mondiale, une majorité de destinations (53%) a maintenant commencé à assouplir les restrictions sur les voyages ultérieurement imposées en réponse à la pandémie de la Covid-19.

Quels sont selon vous les axes essentiels sur lesquels va se baser la stratégie de relance Post-Covid qui mobilise aujourd’hui tous les acteurs du tourisme ?
Pour nous, une chose est sûre : le monde d’après Covid ne sera point identique à celui d’avant et cela s’applique au tourisme. Nous allons assister à une évolution voire une révolution dans nos modes de consommation. Il sera désormais temps pour le tourisme de saisir cette conjoncture pour accompagner la mutation qui est en train de s’opérer.
Face à une crise sanitaire sans précédent, la mobilisation de l’ensemble des composantes de notre secteur sera nécessaire pour faire redémarrer le tourisme et enclencher le redressement. Une coopération axée sur trois points : reprise du tourisme, retour de la confiance, renforcement des partenariats.
Nous devons continuer à faire du tourisme un pilier essentiel du programme de développement durable à l’horizon 2030 énoncé par les Nations unies et d’aller plus loin pour renforcer la durabilité et l’inclusion à l’échelle de tout le secteur.
Il va falloir repenser le développement du tourisme, notamment en transformant le secteur, en reconstruisant l’écosystème et en investissant dans le tourisme durable.

Sur le plan microéconomique, la majorité des récentes mesures prises par le gouvernement profite à l’entreprise touristique toutes filières confondues. Croyez-vous que ce choix est à même de sauver le secteur de l’effondrement ?
Absolument. Les effets collatéraux du coronavirus ont plongé le secteur dans la plus grave crise de son histoire. L’objectif ultime des nouvelles mesures prises au profit du secteur du tourisme est de remettre le secteur à flot.
Le gouvernement a pris des mesures audacieuses en faveur des professionnels afin qu’ils repartent sur des bases solides.
Parmi les mesures les plus importantes, une ligne de financement de 500 millions de dinars a été créée pour surmonter la crise, augmenter la liquidité des institutions touristiques, maintenir les emplois, ainsi qu’une ligne de financement de 10 millions de dinars destinés aux artisans pour couvrir les dépenses urgentes sans oublier la subvention de 200 dinars. Une prime mensuelle de 200 dinars sera accordée aux employés du secteur touristique qui se trouvent en chômage technique. Idem aux guides touristiques.

De quelle manière sera déclinée la mesure relative à la promotion du tourisme intérieur ?
Face à l’ampleur de la crise et à ses répercussions sur la mobilité des voyageurs par le moyen aérien, le tourisme local se présente en meilleure alternative pour combler, dans l’immédiat, le manque de clientèle venant de l’étranger.
A ce titre, des mesures ont été prises par le Chef du gouvernement pour une meilleure perspective de redémarrage à court et à moyen termes. Il s’agit notamment de mettre en œuvre un programme d’incitation au tourisme intérieur valable du 1er décembre jusqu’au 31 mars 2021, via une convention avec nos partenaires, à financer par le Fonds pour le développement de la compétitivité dans le secteur touristique. Les mêmes mesures tendent à mettre en œuvre un programme d’appui à la connectivité aérienne avec l’aéroport international de Tozeur, qui vise à stimuler les réservations touristiques dans le Sud-Ouest.

La part du tourisme intérieur est aujourd’hui en deçà de 15%. A combien estimez-vous la part de ce segment à l’avenir et quelles mesures concrètes comptez-vous prendre pour doubler cette part et assurer ainsi la pérennité du secteur ?
Nous sommes conscients qu’à ce jour le marché intérieur demeure malgré tout une “terre inconnue” pour nos départements : aucun chiffre n’est connu – nombre de départs en vacances, types d’hébergements fréquentés – , si on exclut le nombre d’arrivées et de nuitées dans les hôtels.
La relance et le développement du tourisme local devrait commencer par un minimum de connaissance de la consommation du tourisme par le Tunisien : ses motifs de départ et de non départ en vacances, ses critères et ses canaux de choix de sa destination, son budget, etc. Tous ces éléments font l’objet d’une étude en cours de réalisation.
Conscients du fait que le tourisme intérieur est le garant de la pérennité du secteur, nous pensons qu’il devient plus que jamais nécessaire d’élaborer un plan pour développer le tourisme domestique au cours des deux prochaines années en lui allouant les budgets nécessaires. Nous comptons ainsi relever la part de ce créneau qui représentait jusque-là à peu près 20% des nuitées globales.
Parmi les mesures programmées qui vont dans cette direction  je peux citer :
– La création et le soutien des événements de grande envergure dans les régions majeures avec un parrainage de l’ONTT et du ministère du Tourisme.
– L’élaboration et la signature d’un code d’éthique « tourisme intérieur » entre les différents intervenants du secteur
– La mise en place d’un système de « chèques vacances ou tourisme » pour aider les salariés des secteurs public et privé à partir en vacances, en finançant une partie des dépenses liées aux vacances et loisirs.
– La mise en œuvre d’un programme de soutien aux compagnies aériennes nationales pour qu’elles puissent proposer des tarifs préférentiels sur les lignes intérieures.
– La mise en place du crédit vacances, qui donne la possibilité aux Tunisiens de financer leurs séjours dans les hôtels touristiques en Tunisie avec une durée de remboursement allant jusqu’à 36 mois. En plus, ils peuvent bénéficier d’un différé de remboursement de 3 mois.
– Le développement de nouveaux modes d’hébergement touristique économique.

L’une des mesures a trait à la promotion du tourisme saharien. Elle coïncide avec la récente création au sein de l’ONTT d’une nouvelle Direction dédiée exclusivement à ce créneau. Qu’en est-il exactement ?
La structure actuelle de l’Administration du tourisme et de ses institutions nécessite une révision qui prend en charge les nouvelles orientations du secteur. Compte tenu d’un besoin urgent de révision, il est prévu que la nouvelle structure organisationnelle du ministère comprendra une Direction générale du tourisme saharien. En attendant l’achèvement de cette revue, l’ONTT a pris l’initiative de charger l’un de ses directeurs du dossier tourisme saharien et qui représentera un lien entre les professionnels et l’Administration dans tout ce qui concerne les préoccupations et propositions des professionnels dans ce domaine.

La Covid-19 aura des impacts évidents sur les réseaux de distribution et de production de l’offre touristique. Comment se profilent les nouvelles orientations de la politique promotionnelle que mène l’ONTT sur les marchés émetteurs ?
Tout au long de l’année 2020, nous avons pu assurer une veille conjoncturelle et touristique sur les principaux marchés émetteurs grâce aux efforts déployés par les représentants de l’ONTT à l’étranger.  Il est tout à fait attendu que l’ensemble des acteurs touristiques (voyagistes, agents de voyages, transporteurs aériens…etc.) sortent, au meilleur des scénarios, avec des séquelles de niveaux différents.
Partant de ce pronostic, l’Administration du tourisme fournira l’assistance et l’encadrement nécessaires à nos divers partenaires étrangers pour les accompagner et les soutenir pendant la phase post-covid-19 en vue d’une commercialisation, à nouveau, de la destination Tunisie.
Nous mettrons tout en œuvre en mobilisant les fonds nécessaires pour que la destination soit présente sur l’échiquier touristique mondial avec les atouts dont elle dispose.

Deux grands chantiers mobilisent les services de l’ONTT : la refonte des systèmes de classement des hôtels et des restaurants touristiques. Où en sommes-nous ?
Pour la refonte du système de classement des hôtels de tourisme,  je voudrais préciser que le projet vise  l’amélioration de la qualité de l’offre hôtelière à travers la révision du dispositif des critères de classement, tout en les alignant sur les standards internationaux ; la qualité perçue par les clients, la durabilité et l’accessibilité aux personnes ayant des besoins spécifiques sont les leviers porteurs des nouveaux critères.
Il préconise également la mise en place d’un système d’évaluation en vue de moderniser et crédibiliser le classement. Sachant que la gestion intégrale du processus de classement sera digitalisée moyennant une plateforme web. En plus de la gestion des dossiers de classement, un pré-diagnostic en ligne pourra être effectué par les hôteliers sur la base d’une grille de simulation.
Le projet entame sa troisième et dernière phase qui vise à planifier la mise en œuvre du nouveau système et faciliter l’adhésion des professionnels ainsi que toutes les parties prenantes du projet.

Pour ce qui est de la refonte du système de classement des restaurants touristiques , le projet vise à adapter l’offre de la restauration aux nouvelles tendances de la restauration ainsi qu’aux attentes des clients.
Un document de projet définissant les objectifs spécifiques de la révision, les étapes du projet ainsi que l’implémentation de la refonte est en cours de finalisation. Un comité de pilotage stratégique réunissant toutes les parties prenantes s’installera par la suite en vue de démarrer officiellement l’exécution du projet.

Propos recueillis par
Nizar Mouelhi

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