Par Alix Martin
Vers la mer
On peut flâner, errer tout le long de l’itinéraire qui longe le littoral car, à chaque détour, on aperçoit la mer qui a retrouvé sa couleur et ses senteurs d’été. Depuis Hammamet et ses jardins parfumés, Nabeul, son araucaria géant et son « usine » de garum, Maamoura, le charme discret de ses plages de sable, Korba dont les lagunes sont un paradis des oiseaux, Menzel Témime où Sidi Salem veille sur la nécropole punique, Kélibia, le bouclier de Carthage et enfin, Kerkouane punique et unique.
Mais on peut aussi, à partir de Soliman, ne rien regarder, ni les collines verdoyantes de Korbous, ni les opulentes orangeraies de Takelsa, ni les pentes boisées du Jebel Sidi Abderrahmen, ni les forêts de pin qui bordent les plages du littoral, nous ne verront rien avant « l’échappée » azurée qui baigne Kerkouane.
Kerkouane
Tout de suite, on est ému par les traces noires laissées par la fumée de l’incendie de la « tour carrée ». Les restes d’un four de potier, le tas de coquilles de murex dont les habitants tiraient la pourpre qui les enrichissait sont déjà des enseignements et des vestiges émouvants.
Les pierres du mur, disposées en « arêtes de poisson » est une technique sans doute importée du Moyen-Orient par les Phéniciens. Les Phéniciens nommés ainsi par les Grecs : les fabricants de pourpre dont la couleur semble prestigieuse puisqu’elle est, depuis l’Antiquité, celle du manteau des empereurs romains, des vêtements des évêques, de la robe des hauts magistrats et qu’elle décore de nombreux drapeaux nationaux.
Une promenade dans Kerkouane fait découvrir, dans les premières mosaïques, le « signe de Tanit », porte bonheur, placé à l’entrée d’une salle de séjour. On constate que l’entrée de la demeure, légèrement décalée à l’extrémité de la cour, protège l’intimité des habitants. Presque toutes les demeures avaient près de 100 mètres carrés au sol et, dans la cour les vestiges d’un escalier indiquent qu’il y avait un premier étage !
A quelques pas, de l’autre côté de la rue, les maisons sont dotées de salle de bain équipée d’une belle « baignoire-sabot » rose : au IIIe siècle avant J.C. !
Une petite « cuvette », creusée dans la cour, nous dit que la pluie, reçue par les toits à terrasse, descendaient le long de gouttières, dont les encastrements subsistent le long de certains murs, était évacuée par une petite canalisation qui longe un mur du couloir d’entrée. Dans presque toutes les cours s’ouvre la margelle d’un puits.
La cour de certaines villas du « front de mer » était ceinte d’un péristyle qui suggère que la vie était, ici, très agréable. Les rues, dotées de trottoirs, se coupent à angle droit, délimitent des quartiers et aboutissent à des placettes bordées de magasins : l’urbanisme était très « moderne ».
Un peu plus loin, la cour d’une maison est équipée d’une base qui, sans doute, supportait un autel. Le long d’un mur, une banquette recevait, peut-être, les offrandes.
« Rue du Sphinx », nous découvrions enfin la maison équipée d’une grande salle de bain où « trônent », non seulement un lavabo mais aussi une baignoire à deux places. Par ailleurs, au bout de la cour, dans une petite pièce servant de cuisine, subsiste les traces du foyer – souvent indiqué par une plaque de basalte importée d’Italie – et les vestiges d’un four « tabouna » !
Dans un coin, un vestibule ouvre sur une grande salle de séjour aux murs couverts d’un stuc d’un blanc remarquable. Cette pièce est séparée d’un « boudoir » plus petit par deux « armoires murales » dont les parois sont de minces dalles de pierre, placées de chaut et « stuquées ».
Peut-on rêver que la maîtresse de maison abritait à l’intérieur, les « pièces » les plus précieuses de la famille ?
Au bout de la rue, un temple est érigé. Regardez la pierre de seuil : il lui manque 3 à 4 centimètres à droite de l’entrée ! Les commanditaires ont sans doute jugé qu’une autre pierre aurait coûté trop cher !
Quel dieu honorait-on là, sur un autel double au fond de la grande cour ? Derrière dans la « cours sacrificielle » les archéologues ont trouvé une cachette contenant des objets d’époque romaine. Qui les a cachés là, bien après la disparition de la cité ? Pourquoi n’est- « il » pas revenu les chercher ? Les avait- « il » volés ?
Plus loin, on arrive à la « porte à recouvrement » qui s’ouvre dans les remparts. Essayez de deviner pourquoi les « portes à recouvrement » sont toujours « protégées » par un mur du côté gauche, comme celle de la citadelle byzantine d’Aïn Tounga / Thignica, à près d’un millénaire d’intervalle.
La demi-journée s’est écoulée et nous ne sommes pas encore allés au musée. De multiples vestiges de la vie quotidienne y sont exposés : bijoux, biberons, récipients divers, monnaies, figurines votives en terre cuite et même le sarcophage de la « dame de Kerkouane » : une sculpture en bois représentant peut-être la déesse Ashtart dont le nom nous vient du fond de la Mésopotamie.
Les environs
Les nécropoles voisines méritent un détour, ne serait-ce que pour y admirer les peintures pariétales qui ornent l’une des tombes. Elles représenteraient le voyage de l’âme après la mort.
Dominant la plage d’El Haouaria, où l’on peut soit pique-niquer soit déjeuner dans une des guinguettes, la colline de Ras Dreck porte un cône couleur de rouille. Ce sont les soubassements d’une – la seule en Tunisie ! – forteresse carthaginoise qui aurait « vécu » du Ve au IIe siècle avant J.C.. Ses « guetteurs » auraient-ils vu débarquer en 310 avant J.C. Agathocles, tyran de Syracuse. Il fait brûler ses vaisseaux sur la plage pour que ses soldats sachent qu’ils doivent vaincre ou mourir. Ils vont piller et détruire Kerkouane. Cinquante ans plus tard, les soldats carthaginois voient arriver le Consul romain Regulus qui va incendier Kerkouane. La cité ne survivra pas.
Au pied de la citadelle, un temple punique – le seul du pays – était dédié sans doute à la déesse Ashtart, marine et protectrice des guerriers. Son plan en 4 compartiments séparés et la citerne, destinée sans doute, aux ablutions, est typiquement phénicien. Il aurait « vécu » du IVe au IIe siècle avant J.C. : le siècle qui voit la destruction de Carthage.
A quelques tours de roues, s’ouvrent les énormes carrières d’El Haouaria. C’était sans doute, l’antique Hermaeia : consacrées au dieu Hermès. Elles ont été exploitées par les Carthaginois puis les Romains et sans doute très tardivement. Des esclaves ou des condamnés y vivaient et y travaillaient dans des conditions épouvantables, au fond de « puits » qui s’agrandissaient et s’approfondissaient au fur et à mesure de l’extraction des pierres. Elles étaient certainement acheminées sur des « chalands » qui longeaient les côtes.
Si la visite du site de Kerkouane vous a rassasié de « vieilles pierres », allez voir au hameau d’Achraf, tout proche, l’énorme olivier carthaginois ou un peu plus loin les mausolées jumeaux.
Vous pouvez aussi aller vous promener jusqu’à Sidi Daoud et admirer son vivier à poisson ou monter sur le Jebel Abiadh pour dominer le Cap Bon ou encore aller reconnaître la grande plage de Takerdouch où il fera bon cet été. Tout cela vous fera certainement revenir dans cette région.
A.M