Par Nouri Zorgati
Pour la troisième année consécutive, l’économie est en berne. La croissance est loin d’avoir retrouvé son rythme de progression antérieur. Les voyants sont au rouge. Le taux de chômage évolue autour de 17% de la population active malgré l’émigration. Il atteint prés de 21% dans le nord-ouest, 20% dans le centre-ouest et 24% dans le sud. Les inégalités régionales s’accentuent. Les investissements sont en recul. Les liquidités bancaires s’assèchent. Le dinar est dans la tourmente. Le déficit commercial extérieur s’accentue. Les réserves de change sont en baisse. Les prix sont en hausse. Le pouvoir d’achat s’érode. Les déficits publics se creusent sous l’effet des dépenses non prioritaires dans des voyages officiels incessants à l’étranger, des bons d’essence accordés sans compter, des indemnités généreusement distribuées et des recrutements directs et indirects effectués dans les services publics sans aucune nécessité. Le silence assourdissant autour de la situation économique relève d’une inconscience totale. La notation du pays est dégradée continuellement par les instances internationales. Les unités industrielles ferment jour après jour, le tourisme s’enlise saison après saison, l’économie dans son ensemble paie ainsi un lourd tribut à l’acharnement à imposer au pays un modèle de société étranger à ses valeurs, à ses traditions et à son attachement irréversible aux libertés, au droit et au progrès.
Une saison touristique gâchée
Profondément secoué depuis de longues années par l’apparition du terrorisme international, dont notamment l’attaque des tours de New York en 2001, l’attentat de Djerba en 2002, les guerres du Golfe, d’Afghanistan et d’ailleurs, puis par la grande crise économique internationale de 2008, le tourisme souffre. Le coup de grâce lui est porté par la montée de l’intolérance, de l’intégrisme et de l’insécurité dans le pays. Ainsi pour la troisième année consécutive, le secteur est sinistré. Les unités hôtelières avec leurs 240.000 lits sont désespérément sous occupées, les plages devant les hôtels sont quasiment désertes, les personnels désœuvrés, l’artisanat et les activités connexes aux abois. Les 6,9 millions d’entrées de visiteurs, les 32 millions de nuitées des non résidents dans les hôtels et les 3,5 milliards de dinars de recettes touristiques enregistrées en 2010 ont fondu comme neige au soleil et paraissent aujourd’hui appartenir à un passé lointain. Ces constats parlent d’eux-mêmes malgré le mutisme et l’absence exaspérante de statistiques officielles en matière touristique comme pour la majorité des autres activités. La timide poussée du tourisme intérieur, indispensable à l’équilibre du secteur, reste limitée aux jours fériés et se trouve contrariée par l’érosion du pouvoir d’achat. Enfin, l’arrière-saison s’annonce dramatique à moins d’un sursaut spectaculaire pour assurer la réussite de la transition démocratique.
Le tourisme peut et doit rebondir
Bien que représentant seulement 5% du PIB en régime normal, le tourisme est une activité économique stratégique en raison de son statut de pourvoyeur de devises et surtout en raison de sa position de plus grand secteur entraînant pour l’ensemble des autres activités. Il est par ailleurs caractéristique de la diversité de l’économie, diversité qui permet à un secteur d’amortir l’effet d’un autre secteur qui passe par une mauvaise conjoncture. Tourisme exclusivement balnéaire à l’origine, ce qui constitue un atout majeur grâce à la qualité du climat, des plages et de la mer d’une part et la proximité des principaux marchés émetteurs de touristes d’autre part, le secteur a amorcé une diversification progressive vers le tourisme saharien, le tourisme de thalassothérapie, le tourisme médical et le tourisme sportif avec le golf et le nautisme. Le maillon faible du secteur demeure la qualité de service qui l’a cantonné dans un tourisme de masse peu exigeant, mais peu valorisant. La situation doit être redressée par l’intensification de la formation professionnelle afin de disposer de ressources humaines de qualité.
Le secteur touristique peut et doit rebondir, il en a les moyens. Il peut progresser et fournir plus d’emplois, plus de ressources en devises et plus d’opportunités de développement aux différents secteurs de l’activité économique et sociale. Quant aux problèmes qu’il rencontre, il faut faire confiance aux professionnels et aux promoteurs qui, une fois libérés du diktat de l’Administration, prendront les initiatives nécessaires pour régler progressivement les questions liées à la diversification du produit touristique, à l’assainissement de la situation financière des unités hôtelières, à la restructuration de la capacité d’hébergement, à l’adaptation des catégories des hôtels à la clientèle potentielle, à la détermination des actions de marketing et à la nécessaire libéralisation du transport aérien. Cependant la réussite de telles actions reste tributaire du préalable démocratique.
État de droit
Plus que toute autre activité, le tourisme ne peut cohabiter avec l’intolérance, l’intégrisme et l’insécurité. Il ne peut prospérer durablement en dehors d’un État de droit c’est-à-dire d’un État démocratique. Certes dans un régime démocratique le pouvoir est assuré par la majorité désignée par les urnes, mais cela ne doit pas conduire à la dictature de la majorité. Celle-ci doit exercer le pouvoir dans le respect des droits et des libertés. Lorsque la majorité faillit à ses obligations, le peuple exige le retour au respect des droits et des libertés universellement reconnus. Au lendemain de la Révolution, la priorité consistait à assurer la transition démocratique.
Cependant cette transition démocratique, qui était censée durer quelques mois le temps de l’élaboration d’une nouvelle Constitution et de la mise en place d’institutions républicaines stables, s’éternise et ne semble pas prés de s’achever. Pour atteindre l’objectif, la priorité est et demeure la résistance pacifique à toute atteinte aux droits et aux libertés comme le fait avec succès la population.
L’adoption consensuelle d’une Constitution démocratique et la mise en place des institutions pérennes de l’État sont seules aptes à assurer la sécurité, la stabilité et la visibilité indispensables à tout développement économique et social. À cet effet, la Constitution doit prévoir une répartition équilibrée des pouvoirs politiques d’une part et une réelle indépendance des pouvoirs non politiques d’autre part.
Le bon fonctionnement des institutions politiques exige une répartition réelle des pouvoirs entre le chef de l’État, représentant de la souveraineté nationale, l’Assemblée nationale, détentrice du pouvoir législatif et le gouvernement, responsable du pouvoir exécutif. Le chef de l’État élu au suffrage universel est le chef suprême des Armées et des Forces de sécurité intérieure. Il supervise les relations avec l’extérieur. Il est le garant des droits et des libertés et veille au bon fonctionnement des institutions. En cas de dysfonctionnement, il prononce la dissolution de l’Institution concernée et ordonne son renouvellement conformément aux dispositions de la Constitution.
La Constitution doit prévoir aussi une véritable indépendance des pouvoirs non politiques relevant des autorités chargées respectivement de la justice, de l’organisation des élections, de la régulation des médias, de la monnaie, du marché financier, de la concurrence économique et de la statistique. Ces autorités doivent se constituer sur une base élective démocratique sous le contrôle des autorités politiques.