Tourisme tunisien : où en sommes-nous ?

Par Ali Gana*

D’accord, « on vous a compris »
Tant d’études des plus sérieuses au plus futiles, tant de séminaires constructifs parfois  peu intéressants le plus souvent, tant d’échanges d’idées qui se transforment plus en un exercice d’étalage de connaissances d’expert plutôt que de s’inscrire dans une démarche constructive aboutissant à des plans d’action pragmatiques, tant d’articles des plus techniques au plus généralistes consacrés au sujet ; en tout cas s’il y a une certitude que cet intérêt pour le tourisme met en évidence c’est bien que le sujet est à la fois important et passionnant.
Les plus imaginatifs de titres d’articles de presse et de sujet de séminaires ont été épuisés : le tourisme tunisien est malade, le tourisme tunisien à la croisée des chemins, le tourisme tunisien doit faire sa révolution, le tourisme tunisien à la recherche d’un second souffle, le tourisme tunisien doit amorcer sa mue…..D’accord, personne ne lui vient à l’esprit de contredire cette amère réalité.
Le diagnostic ? D’accord on l’a compris. L’all inclusive est dans la majorité des cas une malédiction, la qualité de services laisse à désirer, le système de formation est caduc, le bradage des prix est suicidaire, la propreté et le déficit d’animation des villes sont alarmants, le parc hôtelier est vieillissant, la question de l’endettement semble être insurmontable, la prédation des TO ne peut être contrée compte tenu des rapports de force défavorables, le retard de la mise en place de l’Open Sky n’aide guère à obtenir cette bouffée d’oxygène espérée, la gouvernance du secteur  est fort contestable ( législation de travail peu flexible, code d’investissement peu incitatif, système de classement des hôtels obsolète, stratégie de promotion dont l’impact est fort aléatoire, manque criant de ressources humaines de l’administration …). 

La solution ? On l’a compris aussi : une sortie par le haut dans le cadre d’une stratégie de revalorisation du produit : meilleure qualité d’un produit touristique diversifié mettant en valeur les traits distinctifs des régions dans le cadre d’une gouvernance transparente, participative et efficace. Résumée ainsi la stratégie nationale se traduit en fait par une ambition de passer d’un tourisme de masse à un tourisme plus « noble ».

Comment y arriver ? Là, par contre, non seulement on peine à comprendre mais on se perd en conjecture. Quel chemin a été parcouru dans ce long processus de transition ? La déclinaison de la stratégie en actions concrètes a-t-elle été bien amorcée (actions bien conçues avec un planning de mise en œuvre, évaluation à mi-parcours, mesure d’impact, diffusion de l’information sur le degré d’atteinte des objectifs et le degré de contribution dans la réalisation de la stratégie…). Difficile d’afficher une quelconque satisfaction quant à cette nécessité tellement les routines organisationnelles du département Tourisme l’emportent sur l’action rationnelle et le défilé des ministres en charge du département laisse peu de place à la continuité du processus. 

Et si on parlait simplement. Quelles actions, dans le court terme, pour l’amélioration de la qualité du produit touristique pourraient être envisagées qui soient réalistes, compatibles avec les ressources  disponibles et tenant compte des contraintes du cadre institutionnel et des exigences de l’économie de marché. A chaque rencontre avec un professionnel du tourisme, un expert ou un responsable de l’administration c’était cette question que je leur posais en essayant à chaque foi de pousser l’interlocuteur à formuler des réponses simples et concrètes. Le recueil que j’avais finalement obtenu comportait différentes actions des plus pragmatiques au plus fantaisistes. Tour d’horizon.

Des idées pragmatiques réalisables
L’accueil, la clé de voûte : Un fonds commun entre les départements Tourisme, Intérieur et Transport dédié à la formation en Techniques d’accueil des agents de frontières, des agents d’enregistrement et d’accueil des compagnies de transport, des chauffeurs de Taxis… Un tel dispositif viendra compléter le système de formation continue existant destiné essentiellement au personnel hôtelier qui, soit dit en passant, doit être revu dans le sens de plus de flexibilité. Les formateurs de haut niveau ça ne court pas dans les rues. Faut-il encore, via des procédures d’appel à candidature selon les normes convenues, s’assurer de recruter les meilleurs formateurs, y compris internationaux.

La montagne a accouché d’une souris, c’est le moins qu’on puisse dire à propos de la création de l’agence nationale des métiers touristique, un sosie de l’agence de formation professionnelle. N’ a-t-il pas été plus intéressant de penser à créer 4 écoles d’excellence couvrant les différents besoins qui concernent en plus du  personnel opérationnel des spécialistes en marketing territorial, des stratèges spécialistes en gestion des destinations, des pros du digital, des cadres au niveau de l’administration centrale et régionale, des chercheurs en tourisme, de spécialistes en communication et de gestion en période de crise …Seul problème à surmonter est la pénurie de formateurs de haut niveau. Tout chantier de réformes doit, à ce titre, commencer par des actions TOT dans les grandes écoles et centres de formation internationaux.

Et que pensez-vous d’un fonds commun entre les ministères de Tourisme et de la culture pour financer partiellement des microprojets d’animation culturelle loin des ghettos balnéaires. Il va de soi que les subventions à accorder vont cibler les jeunes sur la base d’un appel à projets doivent être soumises à des contrôles rigoureux pour s’assurer de la bonne allocation des fonds. Le recrutement de consultants pour évaluer le pilotage et l’évaluation d’impact du projet peut aussi s’avérer fort utile. Dans le même sens beaucoup de bâtisses datant de l’époque coloniale se trouvent en état de délabrement avancé. Les différents organismes publics qui en ont la charge dés qu’ils sont sollicités pour une éventuelle cession sous forme de location à usage touristique avec revalorisation du patrimoine architectural, avancent que ca relève de l’impossible. J’en connais personnellement à Djerba une bonne dizaine qui aurait pu être convertis en projets touristiques à même d’animer les centres villes.

Promotion de la destination, dites-vous ? Les professionnels s’accordent pour dire que le budget dédié à la promotion de la destination est non seulement insuffisant mais aussi alloué d’une manière inefficiente. En effet en plus des compagnes publicitaires classiques dont l’impact en termes d’intention d’achat devient fort aléatoire, une bonne part du budget doit être investie dans le digital et l’organisation de méga-événements.

Et si le système de classement des hôtels deviendrait une démarche volontaire et payante attribuée pour une période de 5 ans par l’administration du Tourisme suite à un contrôle de la conformité aux normes réalisé en partenariat avec des bureaux privés tout en garantissant la crédibilité et l’objectivité de la procédure. Au-delà d’une procédure de contrôle conforme /pas conforme par rapport aux critères , une démarche en termes de scoring semble plus indiquée. 

Dans le même cadre pourquoi par exemple ne pas penser à créer une collection d’hôtel qui regroupe la crème de la crème des unités 5 étoiles qui rivalisent avec les unités internationales les plus luxueuses. Sous une appellation-Label de type Tunisia Luxury Hotels Collection et avec un engagement suffisamment incitatif de la part de l’administration en termes de visibilité et de communication peuvent y figurer des unités comme El Badira, Hasdrubal Prestige Djerba…Le label « Qualité Tourisme Tunisie » que l’ONTT vient de lancer en grande pompe, comme tant d’autres initiatives, n’aura pas de suite.

La catégorie 5 étoiles traduit souvent une bonne qualité de services. Mais pourquoi un bon 4 étoiles qui se vend bien chercherait-il à passer à la catégorie supérieure avec tout ce que cela exige comme investissement. Y-a-il suffisamment d’incitations pour franchir le pas ? La réponse est non. L’Albanie, par exemple, qui veut se faire une place dans le tourisme de luxe européen, vient de prévoir pour tous les hôtels cinq étoiles une exonération totale des impôts pour 10 ans. 

Et qu’en est-il des enseignes internationales ? L’implantation des enseignes internationales garantit une visibilité internationale, s’accompagne d’un transfert de savoir faire incontestable et d’une mobilisation de circuits de distribution efficaces contribuant ainsi au renforcement de l’attractivité de la destination et de son repositionnement. Faut-il encore savoir attirer les enseignes les plus prestigieuses en mobilisant les arguments commerciaux et en activant les réseaux d’influence et de lobbying même au niveau politique le plus élevé. Exemple parmi d’autres : Après un éphémère épisode dans le balnéaire en Tunisie, Accor s’est contenté d’exploiter deux unités dans la capitale. Au Maroc, le groupe dispose de 38 hôtels d’une capacité totale de 5.459 chambres dans 14 villes et emploie un total de 2.500 collaborateurs au service de plus de 2.300.000 clients. Un vrai empire. A l’origine, c’était une rencontre entre le roi Hasan II, Gérard Pélisson PDG d’Accor et Jack Chirac. Ce dernier s’est engagé auprès du Roi de lui envoyer son hôtelier préféré pour s’occuper du chantier touristique du royaume.  

Des idées plus osées
Des régions touristiques avec des traits identitaires distinctifs. Séduisante comme idée. Des labels pour chaque région on peut en trouver à volonté, mais il faut beaucoup plus pour promouvoir l’image des régions et toucher la perception des consommateurs. Ibiza, Santorini sont arrivés à construire cette image. Ne peut-on pas commencer par Djerba qui, aidé par ses spécificités géographiques, pourrait emprunter le même cheminement. Un stand à part dans les foires ? Pourquoi pas. Mais aussi : figurer à part dans les journaux météo des chaines européennes regardées par des millions de téléspectateurs. Voilà du concret pour influencer et orienter la perception des consommateurs en termes de choix des sites touristiques. Nos réseaux d’influence (El Kabbache, Sonia Mabrouk, Djemmali…) y sont capables.

Les méga-événements. On en est encore loin. Des idées commencent toutefois à voir le jour en espérant que les bonnes volontés puissent compter sur l’appui de l’administration pour aboutir. Un grand prix Formule 1, audacieuse idée lancée par Chedly Zouiten, en fait partie. Aussi des événements au niveau des hôtels sont à même d’innover le produit hôtelier et de le rendre plus attractif pour des segments particuliers de clientèle. Exemple : 2500 jeunes et moins jeunes branchés tunisiens et étrangers ont pris part à ce qui peut s’apparenter à un festival musical et gastronomique au Radisson Blu Djerba. Il s’agit d’un  Beach Party, organisé annuellement au début du mois d’août, prenant la forme d’un événement musical et festif organisé en partenariat avec Buddha-Bar Paris. 

Les idées rabâchées jusqu’à l’usure
La prescription avancée à chaque occasion pour tenter de guérir le tourisme tunisien, on a fini par l’apprendre par cœur. Elle comporte certes des actions rationnelles mais qui résistent parfois mal aux exigences institutionnelles, d’économie de marché, de protection des secteurs stratégiques ou tout simplement dont la concrétisation s’inscrit dans le long terme.

Il faut arrêter de brader les prix ? Et que proposez-vous dans un secteur structurellement défaillant en faveur des TO? Un interventionnisme de l’Etat dont l’application relève de l’impossible et qui va à l’encontre des mécanismes du libre marché.

Il faut bannir l’all inclusive. Mais n’est-ce pas l’évolution des besoins des consommateurs qui dicte cette adaptabilité des produits proposés. Ne risque-t-on pas d’être dépassé par les destinations concurrentes dont l’offre serait plus large et qui répond mieux aux besoins évolutifs des touristes. Et pourquoi sommes- nous si persuadés que l’all inclusive ne rime pas avec qualité. D’autres sites touristiques (Antalya, Mexique…) remettent en cause cette certitude.

Il faut développer le tourisme alternatif et les structures d’hébergement para-hôtelières. Sans doute mais faut-il encore assurer un cadrage institutionnel adéquat pour l’organisation de la filière et penser à développer une plate-forme commune pour la commercialisation.

Il faut assurer l’ordre et la sécurité, développer les infrastructures, rendre la propreté des villes irréprochable, améliorer la gouvernance du secteur…Autant d’actions qui s’inscrivent dans la durée et qui pourraient connaître un coup d’accélérateur dans l’avenir proche comme résultats des vertus de la démocratisation du pays (conseils municipaux élus, police de l’environnement, regain d’efficacité de l’appareil sécuritaire…)

Il faut diversifier les marchés en partant à la conquête des marchés asiatiques et africains tout en consolidant les marchés européens classiques. Séduisante stratégie dont la concrétisation passe par l’amélioration des dessertes aériennes et l’engagement d’une politique de communication efficace.

Il faut résoudre le problème de l’endettement du secteur hôtelier qui n’a fait que trop durer à cause des conflits d’intérêts parfois inconciliables.

Des « il faut » donc, il y en a beaucoup mais qui doivent s’inscrire dans une approche volontariste dans le cadre d’une stratégie cohérente qui tient compte des pesanteurs économiques et institutionnelles qui minent le secteur.

*Enseignant

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