Tous responsables

Un mois de janvier tendu, une célébration du sixième anniversaire de la Révolution du 14 janvier 2011 où la morosité, le désenchantement et le mécontentement ont focalisé l’attention plus que toute autre chose. Les manifestations et les mouvements de contestation observés dans plusieurs régions du pays ont été révélateurs d’un profond malaise qui ne cesse de couver depuis quelques temps d’une déception et d’attentes qui n’ont pas trouvé au fil du temps de réponses capables d’absorber cette frustration. Spontanés ou non, ces mouvements ont été l’occasion,  pour tous ceux qui sont descendus dans les rues,  de réclamer leur droit au développement, à l’emploi et à la dignité.   Des slogans qui ont été scandés par les jeunes qui ont été le feu follet de la Révolution tunisienne, mais qui sont aujourd’hui de plus en plus instrumentalisés par une classe politique, qui à défaut de présenter des alternatives valables, se délecte dans un jeu de règlement de compte inutile et improductif.
Même si elles  sont devenues habituelles en cette période de l’année et même si de nombreuses parties sont derrière leur persistance, leur extension,  aussi leurs dérives et les graves risques qu’elles peuvent constituer pour un pays qui fait face à un péril terroriste omniprésent et à des difficultés économiques de plus en plus complexes.
Ce qui est  inhabituel, en revanche,   c’est le silence assourdissant des pouvoirs publics qui ne pourraient qu’entretenir la tension. Il aurait fallu réagir vite, ne pas laisser pourrir la situation, ne pas se contenter de jouer le pompier et adresser des messages clairs aux Tunisiens C’est également l’incapacité des partis politiques d’encadrer ces mouvements  et de leur conférer un caractère pacifique par le développement d’un discours accusateur  qui ne pose pas les vrais problèmes, ni proposent de bonnes solutions, comportant les relents de règlement de comptes politiques. C’est, enfin, le discours décalé des organisations sociales, notamment l’UGTT, qui rend le gouvernement responsable de tous les maux dont souffre actuellement  la Tunisie et s’en prend à un modèle de développement qui a atteint ses limites.
Il faut noter d’emblée que la colère qui a un peu grondé dans certaines régions comme Sidi Bouzid, Kasserine, Ben Guerdane, Gafsa et ailleurs, a été en quelque sorte favorisée par des  dysfonctionnements dont sont responsables  et le  gouvernement, les  partis de l’opposition et les organisations de la société civile.
Un  gouvernement  d’union nationale qui,  dès les premiers instants,  a fait face à une situation d’une extrême complexité sans trouver de la part des partis qui le soutiennent, l’appui nécessaire pour aller de l’avant sur la voie de la mise en œuvre des réformes urgentes, de la guerre contre le terrorisme, la contrebande, la corruption et de la restructuration d’une économie en panne. Un gouvernement qui n’a pas pu agir efficacement et rapidement,  en raison du blocage de la vie politique, de la résistance farouche au changement et du tarissement des ressources de l’Etat, sous l’effet d’une gestion calamiteuse des affaires du pays qui a longtemps duré.
Un gouvernement peu  réactif, qui n’a pas su anticiper et dont les mesures annoncées dans la foulée des derniers mouvements sociaux furent aussi  tardives que  sans grand effet.  Alors que partout on demande au gouvernement d’avoir une sorte de baguette magique pour  apporter des réponses immédiates à des problèmes structurels, on n’a pas fait preuve de pédagogie au gouvernement, on n’a pas, surtout, eu le courage de parler le discours de la vérité pour que les Tunisiens acceptent d’attendre, de faire des sacrifices tout en ayant une vision et des perspectives sur l’avenir.
Face à une  majorité gouvernementale hétéroclite, peu solidaire et minée par les dissensions, la voix de l’opposition, dont le poids est pourtant faible, est plus audible. Une opposition dont certaines de ses figures les plus illustres réclament plus d’Etat dans tous les domaines d’activité, investissent les médias et développent un discours qui va à l’encontre du jeu démocratique dans lequel ils ont adhéré. Certains partis, dont la défaite cuisante aux dernières élections présidentielle et législatives, feignent d’oublier que le pouvoir ne s’acquiert que par la légitimité électorale, non par le discours haineux et encore moins par la manipulation de la rue.
Une opposition qui s’active  à  compenser sa faible popularité, par  la critique à tout va, rarement par la proposition de solutions alternatives  crédibles et encore moins par un débat public serein et sérieux.
Enfin,  des organisations de la société civile qui ont gagné du terrain  et  se profilent en un réel contrepouvoir, mais qui pèchent de plus en plus par leurs excès et leurs écarts vis-à-vis des réalités du pays. Est-il loisible de pousser le pays à opter pour des choix ruineux tout en le taxant de dévier des objectifs de la Révolution ? C’est cette dichotomie du discours qui est à l’origine de l’aggravation des difficultés dont le pays est en train de payer le prix fort  qui ne cesse de l’enfoncer, par la faute de tous, dans un cercle vicieux.

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