Même si elles sont devenues habituelles en cette période de l’année et même si de nombreuses parties sont derrière leur persistance, leur extension, aussi leurs dérives et les graves risques qu’elles peuvent constituer pour un pays qui fait face à un péril terroriste omniprésent et à des difficultés économiques de plus en plus complexes.
Ce qui est inhabituel, en revanche, c’est le silence assourdissant des pouvoirs publics qui ne pourraient qu’entretenir la tension. Il aurait fallu réagir vite, ne pas laisser pourrir la situation, ne pas se contenter de jouer le pompier et adresser des messages clairs aux Tunisiens C’est également l’incapacité des partis politiques d’encadrer ces mouvements et de leur conférer un caractère pacifique par le développement d’un discours accusateur qui ne pose pas les vrais problèmes, ni proposent de bonnes solutions, comportant les relents de règlement de comptes politiques. C’est, enfin, le discours décalé des organisations sociales, notamment l’UGTT, qui rend le gouvernement responsable de tous les maux dont souffre actuellement la Tunisie et s’en prend à un modèle de développement qui a atteint ses limites.
Il faut noter d’emblée que la colère qui a un peu grondé dans certaines régions comme Sidi Bouzid, Kasserine, Ben Guerdane, Gafsa et ailleurs, a été en quelque sorte favorisée par des dysfonctionnements dont sont responsables et le gouvernement, les partis de l’opposition et les organisations de la société civile.
Un gouvernement d’union nationale qui, dès les premiers instants, a fait face à une situation d’une extrême complexité sans trouver de la part des partis qui le soutiennent, l’appui nécessaire pour aller de l’avant sur la voie de la mise en œuvre des réformes urgentes, de la guerre contre le terrorisme, la contrebande, la corruption et de la restructuration d’une économie en panne. Un gouvernement qui n’a pas pu agir efficacement et rapidement, en raison du blocage de la vie politique, de la résistance farouche au changement et du tarissement des ressources de l’Etat, sous l’effet d’une gestion calamiteuse des affaires du pays qui a longtemps duré.
Un gouvernement peu réactif, qui n’a pas su anticiper et dont les mesures annoncées dans la foulée des derniers mouvements sociaux furent aussi tardives que sans grand effet. Alors que partout on demande au gouvernement d’avoir une sorte de baguette magique pour apporter des réponses immédiates à des problèmes structurels, on n’a pas fait preuve de pédagogie au gouvernement, on n’a pas, surtout, eu le courage de parler le discours de la vérité pour que les Tunisiens acceptent d’attendre, de faire des sacrifices tout en ayant une vision et des perspectives sur l’avenir.
Face à une majorité gouvernementale hétéroclite, peu solidaire et minée par les dissensions, la voix de l’opposition, dont le poids est pourtant faible, est plus audible. Une opposition dont certaines de ses figures les plus illustres réclament plus d’Etat dans tous les domaines d’activité, investissent les médias et développent un discours qui va à l’encontre du jeu démocratique dans lequel ils ont adhéré. Certains partis, dont la défaite cuisante aux dernières élections présidentielle et législatives, feignent d’oublier que le pouvoir ne s’acquiert que par la légitimité électorale, non par le discours haineux et encore moins par la manipulation de la rue.
Une opposition qui s’active à compenser sa faible popularité, par la critique à tout va, rarement par la proposition de solutions alternatives crédibles et encore moins par un débat public serein et sérieux.
Enfin, des organisations de la société civile qui ont gagné du terrain et se profilent en un réel contrepouvoir, mais qui pèchent de plus en plus par leurs excès et leurs écarts vis-à-vis des réalités du pays. Est-il loisible de pousser le pays à opter pour des choix ruineux tout en le taxant de dévier des objectifs de la Révolution ? C’est cette dichotomie du discours qui est à l’origine de l’aggravation des difficultés dont le pays est en train de payer le prix fort qui ne cesse de l’enfoncer, par la faute de tous, dans un cercle vicieux.