Qui aurait prévu un tel accueil en l’honneur de Kaïs Saïed en Egypte ? Un accueil grandiose par « Om Eddounya » et son peuple authentique, celui qui a enfanté des leaders intemporels : Jamel Abdel Nasser et Anouar El Sadate pour ne citer que ces deux symboles arabes devant les tombes desquelles Kaïs Saïed s’est fait le devoir d’aller se recueillir. L’hommage posthume est important pour préserver la mémoire collective, celle de l’humanité, car l’histoire, avec ses moments de gloire et de déclin, fait la grandeur des peuples et ne s’efface jamais, elle revient toujours quand on s’y attend le moins. Kaïs Saïed parle toujours très mal, mais ces derniers temps, ses actions ont du sens. Pourvu que ça dure. Le Zaïm Bourguiba, aussi, a eu droit à cet hommage le 9 avril, fête des martyrs de la colonisation. Que les détracteurs de Saïed et ses opposants se calment, cela n’ajoute rien à la position de l’actuel président ni n’altère l’aura du Zaïm ; il s’agit tout simplement d’un devoir de mémoire envers l’histoire et Kaïs Saïed n’en sera pas remercié. Toutefois, il a eu le mérite de faire vivre aux Tunisiens des moments de fierté et de faire naître l’espoir que la Tunisie peut retrouver sa place d’antan sur la scène arabe et internationale sous les projecteurs et sans qu’il soit fait allusion à sa sinistre réputation de premier exportateur de terroristes ou de point de départ des embarcations clandestines de la mort.
Au Caire, la Tunisie et son peuple ont été reçus, comme avant, avec les honneurs réservés aux nations qui ont un rôle capital à jouer dans leurs régions et à l’échelle internationale. Beaucoup de Tunisiens, de toutes catégories socioprofessionnelles et même de simples citoyens, ont été heureux de ces retrouvailles tuniso-égyptiennes, après une période de froid soufflée par les Printemps arabes, et ont fortement exprimé leur joie sur les réseaux sociaux. Certains y ont même vu l’aube d’une nouvelle ère pour la Tunisie, plus prometteuse.
Ce n’est toutefois pas le cas des médias et des forces politiques anti-Saïed essentiellement islamistes et islamo-radicales. A l’unisson, ils ont boycotté la visite d’Etat du président de la République et critiqué ce dernier pour avoir répondu à l’invitation du président égyptien, Abdelfattah Al Sissi, l’ennemi numéro un des Frères musulmans en Egypte. Un alignement politico-médiatique qui laisse pantois parce que ce sont les honneurs rendus à la nation qui ont été ignorés, en opposition avec les normes et les usages diplomatiques. Ce qui dénote, selon certains analystes, de la peur des porte-étendards de l’Islam politique du rapprochement de Kaïs Saïed avec Abdelfattah Al Sissi. Les adversaires du président de la République ont manqué l’occasion de donner une leçon de diplomatie de haut niveau qu’ils ont sans cesse revendiquée auprès de Kaïs Saïed depuis qu’il a été élu président en 2019. On lui a longtemps reproché de s’enfermer au palais de Carthage, de ne pas remplir sa mission de premier diplomate du pays, de ne pas œuvrer à améliorer les relations internationales de la Tunisie, de…, de…, de… Et quand il le fait, il est boycotté, comme Abir Moussi, pour ses idées anti-islamistes. Parlons-nous toujours de la même démocratie qui a eu raison du régime de Ben Ali ?
Le rapprochement tuniso-égyptien est mal vu et rejeté par les islamistes des deux pays alors qu’il annonce une période de réchauffement des relations et de renforcement de la coopération et des échanges, d’autant que ce rapprochement s’inscrit dans la lignée de la réconciliation arabo-arabe et du retour de la paix en Libye. La Tunisie et l’Egypte sont concernées par la reconstruction de la Libye et vont en bénéficier mutuellement.
La visite d’Etat de trois jours de Kaïs Saïed en Egypte n’a pas bénéficié de la couverture médiatique qu’elle mérite par les médias locaux, à laquelle elle a droit dans les médias publics et nationaux. Qui cherchait-on à punir ? Parce que les médias égyptiens, arabes et internationaux ont fait le nécessaire. Pas pour les beaux yeux de Kaïs Saïed, mais celui-ci est le président du pays membre non permanent du Conseil de sécurité jusqu’à la fin de cette année et le président du 30e Sommet arabe tenu en mars 2019. Et ce n’est pas peu. Qu’Al Sissi l’invite au Palais d’Al Ittihadya pour évoquer avec lui la question conflictuelle du Barrage de la renaissance entre l’Ethiopie, l’Egypte et le Soudan, ce n’est pas peu. Qu’il discute avec lui des moyens et des stratégies interrégionales et internationales de lutte contre le terrorisme, ce n’est pas peu, non plus. Il semble que les deux présidents se soient également entretenus de l’évolution de l’action arabe. Dès le lendemain du retour de Kaïs Saïed à Tunis (lundi dernier), des entretiens téléphoniques ont eu lieu respectivement entre Al Sissi et l’Emir du Qatar et entre Al Sissi et Kaïs Saïed, preuve de l’intermédiation réussie du président tunisien.
Morale de l’histoire, les médias tunisiens se sont absentés des radars médiatiques mondiaux et le front islamiste a dévoilé ses peurs et ses phobies. Inutile donc d’user d’échappatoires du type Saïed est un dictateur comme Al Sissi qui l’a accueilli et un « normalisateur » avec l’entité sioniste du fait qu’il s’est recueilli devant la tombe d’Anouar El Sadate. Nos islamistes sont de mauvais joueurs en politique. Ils avaient aussi traité Kaïs Saïed de marionnette à la solde de la France, quand celui-ci avait été bien accueilli, également, par le président Macron en juin 2020.
Finalement, la Tunisie s’est sans doute affranchie de l’autoritarisme de Ben Ali, mais elle a visiblement glissé sous le Jelbab de l’islamisme qui change aussi facilement de couleur que de forme et de cravate.