Un dimanche matin du mois de mai, le soleil était déjà chaud malgré l’heure matinale. Cependant, le car était bondé de joyeux curieux. Ils avaient cherché et découvert sur Internet qui étaient ces « marabouts » des bords de mer à qui ils allaient rendre visite et où se trouvait cette agglomération antique appelée « Demna » près de laquelle ils devaient pique-niquer. Il était temps de partir.
La Côte nord
Passés les embouteillages habituels d’Hammam-lif, on se faufile entre les flancs boisés du Bou Kornine et les forêts de pins de Bir El Bey et de Hammam Chott. On constate avec étonnement qu’une ville se construit très rapidement vers la plage de Soliman qu’une rocade permet de contourner.
Puis, on « entre » dans le Cap Bon. Les étalages d’oranges des « marchands des quatre saisons » ainsi que les rôtisseries, encore fermées, se succèdent au pied de hautes haies de magnifiques cyprès qui masquent les orangeraies. Presque tous les fruits ont été cueillis. Dans les cageots, leur couleur rivalise avec celle des dernières grandes « marguerites » abondamment mêlées en ce moment aux pompons mauves des chardons.
Une dernière ligne droite. Puis, une descente en zigzag plonge vers l’Oued El Abid et la magnifique plage de Rtiba. Là-haut, dans l’azur serein, une buse plane et « miaule ». Là, nous nous arrêterons au village de Oued El Abid. Un groupe de dames : l’association « Senteurs de Province » offre de multiples essences et eaux distillées naturelles, délicieuses, nous les avons déjà présentées.
A partir de là, une belle forêt côtière de pins, de mimosas et d’eucalyptus borde des plages splendides qui s’étendent de Port Prince à Sidi Daoud.
Juste après les pentes, couvertes d’un maquis, touffus, piquant mais combien parfumé, du Jebel Ben Oulid, on tourne à droite et on s’arrête très bientôt en découvrant la koubba de Sidi Maouia, le fils.
Sidi Maouia, fils
Une promenade à pied, d’un kilomètre environ, nous y mène. Il semble bien qu’à l’instar de son père, vénéré, un peu plus loin, il ait vécu au XVIe siècle, époque durant laquelle, d’après M. Tahar Ghalia : universitaire, historien et archéologue, le « mouvement maraboutique » se développe vivement dans le Cap Bon.
La koubba, est soigneusement entretenue. Elle se dresse, immaculée entre de nombreuses tombes chaulées avec soin. A l’intérieur, les murs sont tapissés d’ex-voto divers : tableaux, tapisseries, sous verres qui attestent la ferveur des gens venant en pèlerinage.
A quelques pas, masquée par l’herbe haute, une grande dalle de pierre est supportée par quelques moellons. Elle est dédiée à Lella Khir qui passe pour être la mère de Sidi Maouia. Un culte antique, certainement berbère.
Cette randonnée matinale, accompagnée par les trilles aiguës des alouettes et les piaillements des moineaux dans les arbres, nous a redonné un « tonus » certain.
A partir du hameau de N’châa, la route traverse le village de Zaouiet Mgaïez, un village « maraboutique » au superbe minaret élancé, couvert de carreaux de faïence. Nous allons « zapper » la koubba et la Zaouïa de Sidi Daoud très connue, le village, les « grottes » ainsi que la belle plage d’El Haouaria pour nous arrêter un peu plus loin, sur la route de Kélibia.
Sidi Mohamed Cherif
Dans le village d’Achraf, à l’extrémité d’une courte allée, une coupole, peinte en vert, émerge des feuillages. Un énorme olivier trône au milieu d’une placette. Même s’il n’est pas « carthaginois », comme on l’a surnommé, il est exceptionnellement vieux comme ceux qui poussent à ses côtés. Il aurait été planté par Sidi Mohamed Cherif, venu, selon la chronique locale, du Maroc lointain, à l’époque hafside, pour raviver l’islam des populations du lieu.
Tout autour de nous, sur les champs « ouverts », les papillons : piérides du chou blanches, majestueux machaons aux ailes « ocellées », terminées par une petite queue, vulcains maculés de noir et de rouge, semblent des fleurs ailées.
Puis, on constate les dégâts commis dans la forêt de Dar Chichou, incendiée au lendemain de la Révolution .
A l’entrée de Kélibia, on bifurque à droite pour remonter vers Azmour, au nom berbère, et le mausolée de Sidi Amor ainsi que celui, très vénéré, de Sidi Maouia, père.
Sidi Maouia, père
Une grande zerda lui est consacrée au début du mois d’août. Si l’intérieur de la koubba de Sidi Amor est d’une blancheur nue monacale, le catafalque de Sidi Maouia est entouré de très nombreux ex-voto. La vénération qui lui est consacrée se manifeste dans la construction actuelle d’une petite, mais belle, mosquée voisine et l’entretien soigné des abords des monuments.
Quelques minutes de car nous ont permis d’atteindre ensuite Demna, au bord de la mer, le long de la route de Kélibia que nous avons rejointe.
Demna
A notre arrivée, comme pour nous accueillir, un élanion blanc, aux ailes bordées de noir, faisait le « Saint Esprit » : immobile dans le ciel, à petits coups d’ailes.
Puis, la forêt nous « engloutit ». Une grande piste carrossable, toute droite, nous mène, sous une voûte de feuillage, jusqu’à quelques petits bâtiments bas. La mer bleue sur l’azur du ciel apparaît. Aussitôt, tout le monde se précipite vers ce qui semble incroyable, à notre époque : une immense plage de sable blanc déserte qui s’étend sous le soleil entre les frondaisons d’une forêt fraîche et les vaguelettes burelées d’écume d’une eau transparente.
Seuls, quelques pêcheurs tirent 3 à 4 barques sur le sable où sèchent leurs filets.
Il est très difficile de ramener les visiteurs vers les vestiges antiques de Demna. M. Tahar Ghalia a fait dégager une église à chapelles rayonnantes et un « horrea – marché » datant du IVe au VIe siècle après J.C..
Des protestations véhémentes exigent que nous pique-niquons, immédiatement, face à la mer : la journée est bien avancée ! Ventre affamé n’a pas d’oreille !
Quel plaisir ! Au soleil, à l’ombre, à mi-ombre, au choix, cette partie de la forêt n’a pas été incendiée ! La brise marine murmure dans les feuillages où des tourterelles roucoulent. Ce sont sans doute, des migratrices au nid. Au-dessus des arbres, des guêpiers, mêlés à des hirondelles et à des martinets, chassent : il doit y avoir des ruches sous les eucalyptus.
Après le pique-nique, la promenade, le long de la mer, nous a permis de découvrir les derniers vestiges, rongés par l’érosion marine ou masqués par les broussailles, de l’agglomération de Demna.
Il semble qu’il y ait eu deux types d’occupation. Il y a d’abord eu un domaine patricien dont il subsiste une villa, la base d’un phare peut-être et des restes d’une entreprise de salaison qui fabriquait du « garum » sans doute. Puis, plus tard, jusqu’à l’occupation arabo-musulmane, le marché et l’église ont peut-être fait partie d’un village chrétien. Le long de la plage, une bande de terrain, couverte de galets pourrait être les vestiges d’une piste pavée. Manifestement, la forêt récente masque une grande partie des vestiges dont un aqueduc. Sa présence expliquerait un toponyme arabe voisin : « Esseguia ».
Mélancoliquement, en regardant le soleil descendre à l’horizon, au-dessus de la brousse qui couvre ce qui était la forêt de Dar Chichou, on rentre vers Tunis en se promettant de revenir à Demna en été.