On ne va pas finir de polémiquer après l’annonce des résultats préliminaires sur le comportement de l’Instance Supérieure Indépendante des Elections. Les législatives et la présidentielle anticipée 2019 laisseront moult interrogations derrière elles autour de leurs résultats proclamés et validés par l’instance.
On aura vu et entendu parler de tous les dépassements possibles et imaginables au cours de ces élections. Cela va de la simple erreur au crime électoral tel que défini par le code qui gère les élections ou les textes et règlements qui fixent la mission de l’Instance.
Alors que tout le monde crie au scandale en raison des dépassements et infractions de certains candidats et certaines listes au cours de la campagne de ces législatives le moins qu’on puisse dire contre nature, l’Instance, et son président, Nabil Baffoun, n’en ont cure et ne prennent en considération ni les rapports des observateurs ni les plaintes qui leur parviennent.
Les rumeurs sur des différends sérieux entre les membres de l’instance font que cette dernière est l’objet aujourd’hui de toutes les suspicions.
Et cela ne date pas d’aujourd’hui, les retards enregistrés dans l’annonce des résultats que ce soit au premier tour de la présidentielle ou ce mercredi 9 octobre pour les législatives n’augurent rien de bon et ont ouvert la voie à toutes sortes d’interprétations et de supputations.
Et ce ne sont pas les larges sourires de Nabil Baffoun quand on lui demande des explications qui effaceront ces suspicions.
Mercredi, tout le monde avait cru, vu le très long temps d’attente, que l’instance allait annoncer de grandes décisions qui fausseraient les projections des sondages sortie des urnes et que de nombreuses listes et candidatures allaient disparaître pour crimes électoraux et autres dépassements.
Le président de l’ISIE a noyé le poisson dans l’eau et évité de répondre à toutes les questions en rapport avec ces sujets. Sauf que ses sourires n’ont pas pu cacher sa gêne de ne pouvoir dévoiler ce qu’il devait dire : la vérité sur l’origine des tensions au sein du comité directeur de l’ISIE. Cette gêne se lisait sur les visages de tous les membres. Tout le monde restera sur sa faim.
Risque de remise en cause du processus démocratique
Le problème est que tout le monde a tort. Journalistes, observateurs locaux et internationaux, représentants des partis tous ont tort. Les élections se sont déroulées dans les meilleures conditions, même si l’acteur principal de ces joutes, les électeurs, était absent. Rien à signaler et les quelque remarques signalées ici et là n’impactent pas les résultats.
Et c’est là que ça devient grave car cela représente un risque pour la crédibilité des décisions de l’instance et remet en cause le processus démocratique. Car au final, on aurait droit à un semblant de démocratie résultant de résultats biaisés et partisans. Et pour cause!
De prime abord, et pour éviter toute mauvaise interprétation, il ne s’agit ici que d’un point de vue neutre, objectif et sans parti pris né des résultats proclamés trois jours après le scrutin des législatives.
L’ISIE a annoncé avoir annulé la liste du parti Errahma de Ben Arous. Rappelons au passage que la tête de liste n’est autre que le prédicateur Saïd Al Jaziri, également président de ce parti et dirigeant de radio Al Qoraan Al Karim.
L’instance est dans son plein droit d’appliquer la loi et d’annuler des listes. Le peuple, de son côté, a le droit de connaitre les causes de ces annulations. Et c’est là où le bât blesse car les raisons avancées ne sont nullement convaincantes.
Pour préserver notre jeune démocratie, il y a lieu d’éviter le moindre soupçon ou doute quant à l’indépendance et l’intégrité de l’ISIE car au final c’est le processus électoral qui risque d’être remis en cause dans sa totalité.
Revenons aux raisons qui ont poussé l’ISIE à prendre cette décision. En effet, et en se basant sur les remarques de la HAICA, l’ISIE accuse Saïd Al Jaziri d’avoir utilisé sa Radio « Al Qoraan Al Karim » pour faire de la publicité politique au profit de son parti.
Si cela est vrai, plusieurs questions taraudent notre esprit :
La première question touche à la légitimité des membres de la HAICA dont le mandat a pris fin depuis le 03 mai dernier. La deuxième interrogation est pourquoi l’ISIE n’a pas annulé toutes les listes du Parti Errahma ? Ce parti s’est présenté avec neuf listes et pas une seule. Et si publicité il y a, elle doit concerner le parti et donc toutes les listes. Alors pourquoi uniquement celle de Ben Arous ?
La troisième question et là, franchement, il faut être idiot pour croire que la publicité du parti Errahma sur la Radio est plus importante que celle de Qalb Tounes sur Nesma ou d’Ennahdha sur la chaine Zitouna. Sans oublier le dépassement par Ennahdha de 40% du seuil de financement de la campagne électorale à Tunis 1. L’ISIE répond que cela reste en deçà du seuil autorisé qui est de 45%. L’ISIE aurait dû annuler aussi des listes du parti Ennahdha et de Qalb Tounes pour ne laisser aucune chance au doute ou à la suspicion de parti pris et de pratique des deux poids, deux mesures.
Il est inadmissible que tout le monde a tort et que seule l’ISIE a raison. La HAICA n’a pas arrêté de prendre des sanctions à coup de centaines de millions pour publicité politique à l’encontre de plusieurs médias ; l’INLUCC a soulevé, à travers ses observateurs, plusieurs infractions ; les observateurs de tous bords ont attiré l’attention sur plusieurs irrégularités ; les citoyens ont fait valoir des preuves de tentatives de soudoiement et d’incitation au vote pour un parti bien déterminé et les suspicions d’achat de voix… tout cela n’existe que dans les têtes de leurs auteurs ? Un peu de sérieux et, surtout ne prenez pas les citoyens pour des canards sauvages.
On peut toujours comprendre que l’ISIE veut limiter sa mission à la tenue de ces élections, assez lourdes il faut le reconnaître, surtout qu’il s’agissait d’organiser trois rounds électoraux en un mois, mais cela ne lui donne nullement le droit de fausser le jeu démocratique et de mettre en danger un processus payé avec le sang des martyrs.
Aujourd’hui, l’ARP compte parmi ses nouveaux membres, des élus poursuivis par la justice, d’autres soupçonnés de corruption et des contrebandiers.
Moralité de l’histoire, il est essentiel de préserver le processus démocratique mais le rôle de l’ISIE ne doit pas se limiter au volet technique des opérations électorales, il lui revient également d’assurer leur transparence et leur intégrité en fermant la porte devant ceux qui cherchent à fuir la justice au moyen de l’immunité parlementaire.
F.B