Il est quasiment certain qu’ils seront trois candidats à l’élection présidentielle : Kaïs Saïed, Zouhaïr
Maghzaoui et Ayachi Zammel. Après le rejet de tous les recours en première instance (sept) par le Tribunal administratif, il y a peu de chances que cela change surtout après le communiqué officiel du TA du 19 août dans lequel il reconnaît la régularité du travail accompli par l’Isie dans l’examen des dossiers des candidatures et leur conformité avec la loi électorale.
Le candidat Mondher Zenaïdi, plusieurs fois ministre du temps du président Ben Ali, un commis d’Etat chevronné, déterminé à user de tous ses droits juridiques, a rejeté, pour sa part, le refus de son recours par le TA et a interjeté appel.
Le processus électoral en est là et toute l’attention des élites et des médias est concentrée sur les candidats, sur les parrainages et sur celui qui a le plus de chances de battre Kaïs Saïed à l’élection présidentielle du 6 octobre prochain. Tout l’intérêt de cette élection se résume pour eux en la personne qui remplacera Kaïs Saïed à la présidence de la République. Et, pour le moment, c’est Ayachi Zammel qui leur convient le mieux parce qu’il n’a pas soutenu le processus du 25 juillet et il vient de Tahya Tounes, le parti éphémère de l’ancien chef de gouvernement Youssef Chahed, proche de Béji Caïd Essebsi, devenu le dauphin d’Ennahdha. Ayachi Zammel proche d’Ennahdha ? Le raccourci est vite fait. Et qui est derrière Zouhaïr Maghzaoui ? Le Secrétaire général du mouvement Echaâb n’est pas dans les bonnes grâces des courants démocratiques progressistes. Défenseur des principes nationalistes arabes, au passé syndical, il est plutôt souverainiste, comme Kaïs Saïed, ce qui lui vaut une virulente campagne de dénigrement visant à affaiblir sa candidature et à faire de lui le fusible qui doit sauter. Il est accusé par ceux qui lui reprochent d’être un soutien convaincu du processus du 25 juillet de faire de la figuration pour permettre au président sortant d’être réélu.
Pour laver son honneur et préserver sa crédibilité, Maghzaoui réplique en déclarant qu’il ne sera pas un « faux témoin », notamment pour ce qui concerne le tour de vis que connaît le domaine des libertés, et promet aux Tunisiens « une Tunisie nouvelle », forcément différente de celle de Kaïs Saïed.
Les profils des deux candidats novices peuvent à présent être dessinés : Zammel réhabilitera « la décennie d’or des islamistes » et de leurs alliés, quant à Maghzaoui, il poursuivra le processus du 25 juillet pour ce qui concerne l’exclusion des islamistes des cercles du pouvoir mais révisera le volet politique du processus et celui des libertés.
Les dés sont donc jetés. Il est temps de passer aux choses sérieuses et de décréter la trêve des balivernes. Stop aux slogans creux et aux déclarations médiatiques propagandistes ! Ceux qui prétendent être à la hauteur de la fonction de président de la République et se préparent à occuper le bureau présidentiel au Palais de Carthage doivent se pencher sur leurs programmes respectifs et les projets que leurs partis ont dû déjà concevoir et cacher à l’abri des regards curieux. C’est le moment de les sortir de leurs casiers et de les présenter aux Tunisiens pour que ces derniers sachent à qui ils ont affaire et pour qui ils vont voter. La Tunisie ne peut plus être un terrain d’apprentissage de la gouvernance politique ni ne saurait supporter d’autres systèmes prêts à l’emploi imposés de l’étranger.
La décennie ratée de la transition démocratique de façade parachutée, après la chute de Ben Ali, devrait servir à retenir une leçon stratégique qu’on peut résumer dans un adage : «On n’est jamais mieux servi que par soi-même». Autrement dit, c’est à la force des cerveaux et des bras tunisiens que tout peut être reconstruit, sur des bases solides.
L’expérience de la décennie chaotique post-révolution dont on cueille encore les affres est utile pour rectifier le tir et recadrer toutes nos ambitions à la dimension de nos moyens, qu’il est impératif de développer au plus vite, et des spécificités de notre culture et de notre identité. Ce, non sans s’ouvrir, avec une vision à court, moyen et long termes, sur le monde, celui-là même qui bouge, aujourd’hui, violemment, mais pas dans le sens du vent de notre liberté et de notre prospérité. Les élites tunisiennes ont milité pour la liberté depuis les premières années de l’indépendance, il faudra continuer jusqu’à atteindre un niveau de liberté qui soit libre de toute contrainte extérieure, un niveau qui donne les moyens de ne pas subir frontalement les diktats des rapports de force géopolitiques ou ceux de la finance internationale. Et, s’ouvrir, également, sur les innovations, ce nouvel ordre mondial qui écrasera tous les pays « arriérés ».
Le candidat Kaïs Saïed a, bien sûr, une longueur d’avance sur ses deux concurrents, mais il a aussi des retards et des échecs. Rien n’est donc joué.
La campagne électorale n’a pas encore démarré mais les Tunisiens qui, par expérience, ne croient plus aux partis politiques, seront tout de même davantage intéressés par des confrontations d’idées, de projets et de programmes sérieux et applicables, que par des querelles politiciennes sur fond de compétition pour l’accès au pouvoir, dont un souvenir pas très lointain traumatise encore nombre de Tunisiens.
Les nombreuses familles sinistrées par les arrestations de leurs proches et par les procès politiques aimeraient, à juste titre, tourner la page de Kaïs Saïed pour voir leurs proches retrouver la liberté et revenir à leurs familles. Qu’adviendra-t-il alors de toutes les affaires de corruption en cours d’examen par les services judiciaires compétents ? « Les comploteurs » seront-ils blanchis et les « instructeurs » jugés ? Qu’en sera-t-il du Conseil national des districts et des régions, silencieux et peu visible ? Tant d’autres questions se poseront dans l’urgence, mais le plus important sera de garder la boussole Tunisie orientée dans le bon sens et s’interdire de refaire les erreurs du passé et de retomber dans les mêmes pièges.