Tricheurs

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L’irrégulier outrepasse le champ des poulets avariés pour englober l’immatérialité. La tendance à l’appropriation des mots et propos dits par autrui sans, pour autant, citer les auteurs initiaux tente les intellectuels peu scrupuleux. Ces chapardeurs comptent sur l’ignorance des lecteurs pour cacher le pot aux roses où loge leur prose.
Parmi la bande des quatre premiers initiés à la sociologie en Tunisie, l’un associait une qualité remarquable à une tare détestable. De ses lectures innombrables, ce chercheur connu soutire l’idée approfondie et la redit à ses collègues réunis tout comme si elle était de son crû.
D’abord épatés, ses collègues deviennent outrés, une fois découvert l’ouvrage soumis au pillage. Ces pratiques peu catholiques et pas du tout islamiques perpétuent celle de l’étudiant surpris en flagrant délit. Le voici en train de commettre un larcin lors de l’examen.
Il sera sanctionné pour avoir piraté la copie du voisin. Le sévice intercepté parmi les novices étonne quand l’intellectuel patenté le retrouve chez ses collègues bel et bien confirmés. Eux aussi, tels des corsaires déchaînés, montent à l’assaut des ouvrages et en tirent la substantifique moelle sans les mentionner. Ces manières flibustières attirent un réflexe ironique dans la mesure où elles contribuent à lever le voile sur la représentation différencielle des intellectuels. Une conception immémoriale et intemporelle assigne à ces derniers, mais surtout aux enseignants, un statut valorisateur et un tant soit peu flatteur.
Kadal mou3allimou an yakouna rasoula.
Hélas, avec son fameux « humain, trop humain », Nietzsche dégonfle cette baudruche où le sens commun réunit le génie et le crétin. L’intellectuel se donne à voir pour le dépositaire d’une supériorité apte à le distinguer à l’heure où le commun des mortels nargue sa prétention à l’exceptionnel.
Car ce présupposé prétentieux émarge au registre des propos fallacieux. En effet, des luttes mesquines, sournoises et acharnées entre-déchirent les chercheurs affiliés à une même spécialité.
Les enjeux disputés ont à voir avec les voyages, les colloques, les séminaires et les réunions plus ou moins régulières. Parfois et même souvent, le chef de la section cache l’invitation adressée à tous les membres de la section. Après coup, ses collègues, furibonds, découvrent l’infraction et il ne sera jamais plus réélu. Quelquefois, le directeur de la boîte achète l’un de ses ouailles indociles par l’offre, clandestine, d’un beau voyage ni vu ni connu. Ni pires ni meilleurs que les va-nu-pieds des quartiers marginalisés, des campagnes et des montagnes, les intellectuels seraient bien avisés de tempérer leur tendance à l’arrogance. Lorsque l’éminent historien gaffe, ses collègues du comité scientifique métamorphosé en conseil de discipline arborent leur grise mine.
Zut alors ! Comment l’un des nôtres, un professeur, peut-il commettre pareille erreur ?
Le scandale ne devait-il pas limiter son domaine infernal aux autres catégories de la société globale ? Ces hauts cris charrient un chapelet d’idioties. A ce propos, Nietzsch tend la main à Bourdieu qui écrit : « Arracher le monde intellectuel au statut d’exception ou d’extraterritorialité que les intellectuels sont enclins à lui accorder ».

Eux aussi peuvent tricher.

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