Troubles du sommeil

Lorsque, jadis, sur les bancs de l’université j’écoutais les professeurs Pellet ou Bououni marteler que le principe de non-ingérence est un des piliers du droit international public, je mesurais déjà l’écart qui pouvait exister entre la théorie et la pratique. Le droit d’ingérence humanitaire popularisée par Bettati et Kouchner était passé par là, sans compter les effets de la domination ou de l’influence économique sur la réalité de la souveraineté des États.
La Tunisie n’est pas une île et n’échappe pas à l’effritement des principes cardinaux du droit international ; ses difficultés financières et l’instabilité de sa scène politique ont élargi la brèche à travers laquelle l’immixtion étrangère dans ses affaires intérieures s’est allégrement engouffrée.
Mais quand Michelle Bachelet, Haute Commissaire de l’ONU aux droits de l’homme, déclare que la dissolution du Conseil supérieur de la magistrature tunisien est « une violation des obligations de la Tunisie au regard du droit humanitaire international », on ne peut que sursauter et considérer qu’elle se méprend lourdement. J’espère que son indignation ne va pas au point de l’empêcher de dormir et que ces quelques modestes lignes pourront lui permettre de pallier d’éventuels troubles du sommeil.
Primo, et sur un plan sémantique, il serait utile que cette personnalité fort respectable ne commette pas de confusion entre les différentes branches du droit international public ; en effet, le droit humanitaire international, qu’on désigne aussi par le droit des conflits armés, n’a pas été violé en Tunisie, car grâce à Dieu,  quelques bousculades sur l’avenue Bourguiba et la rudesse de certains policiers ne sont pas assimilables à une situation de guerre.
L’affection débordante de la Haute Commissaire pour le Conseil de la magistrature et sa crainte pour son avenir ne doivent pas la conduire à proférer des énormités en matière juridique, ne serait-ce que pour continuer à jouir du respect des connaisseurs du droit international.
Au-delà des libertés que prend Madame Bachelet avec des notions juridiques de base, il n’est pas interdit de s’interroger en quoi la Haute Commissaire à l’ONU est concernée par une décision purement interne et dont l’impact sur les droits de l’homme est inexistante. Que je sache les droits humains des membres du CSM ne sont pas en péril et la population ne s’est pas soulevée en masse pour exprimer son attachement à cette institution. Bien au contraire, cinq petites années d’existence, ont suffi à mettre à nu ses insuffisances criantes : politisation à l’extrême, pusillanimité, inefficacité et je reste poli.
Quand le Président Saïed, dans un souci de réformer une institution à la dérive, prend la décision légale et légitime d’en suspendre l’activité, les cris d’orfraies et les jérémiades douteuses n’ont pas lieu d’être. On peut exprimer des réserves à l’égard de ses initiatives parfois abruptes mais de là à hurler à la violation du droit international humanitaire, il y a un pas que Bachelet aurait gagné à ne pas franchir. Si cette dernière souhaite élargir son champ d’intervention, il n’est pas difficile de lui transmettre une longue liste de véritables violations des droits de l’homme pour lesquels, jusqu’ici, l’ONU n’a pas brillé par son efficience.
La Tunisie a besoin de tous ses amis dans une conjoncture aussi délicate, et leurs conseils sont les bienvenus dès lors qu’ils ne se transforment en remontrances inappropriées et en paternalisme d’un autre temps. La souveraineté de l’Etat tunisien n’est ni une plaisanterie ni une farce et la non-ingérence dans ses affaires intérieures, un principe avec lequel on ne badine pas lorsqu’on prétend appliquer le droit international.
Qu’aurions-nous apprécié que Bachelet s’émeuve lorsque Abir Moussi se faisait tabasser au sein de l’hémicycle où lorsque la population de Siliana goûtait à la chevrotine sans parler des bergers qu’on égorgeait dans les montagnes.
Donner des leçons d’humanité, monter en chaire pour dénoncer des violations des droits de l’homme est un exercice périlleux surtout lorsque la bonne foi et le sens de la mesure sont absents ou affligés d’intermittence.

*Avocat et éditorialiste

Related posts

Charles-Nicolle : première kératoplastie endothéliale ultra-mince en Tunisie

Affaire du complot : Qui sont les accusés en fuite ?

Une opération sécuritaire inédite : Saisie de plus d’un million de comprimés d’ecstasy (Vidéo)