Trump et nous

Donald Trump a décidé de suspendre l’aide américaine destinée à tous les pays sauf Israël et l’Egypte, pendant trois mois, dans le but, selon lui, de secourir les finances publiques américaines et redresser son économie. Bien sûr, d’autres décisions concomitantes ont été prises à cet effet, mais celle-ci nous concerne particulièrement. L’assistance américaine à la Tunisie est ancienne et touche à divers domaines, en particulier celui de la sécurité, notamment dans le cadre de la lutte contre le terrorisme. Une aide précieuse, à n’en point douter, mais désormais, il faudra s’y faire sans elle, car la décision de Trump préconise la réévaluation des programmes d’aide étrangère américaine en cours et selon les « résultats », satisfaisants ou non, il sera décidé de leur reconduction ou de leur arrêt. Chaque pays fera l’objet d’un diagnostic spécifique et d’une réponse tout aussi spécifique. Il faut donc tout prévoir d’autant que les penchants de Donald Trump envers les pays arabes musulmans, nous le savons tous, convergent tous vers la normalisation avec Israël, par le biais de son autre programme « d’influence » étrangère élaboré lors de son premier mandat, celui des « Accords d’Abraham ».
En ce qui concerne la Tunisie, sa position sur le sujet est connue, elle n’a toujours pas changé par rapport à la cause palestinienne et au droit des Palestiniens à un Etat libre et indépendant. A moins que l’imprévisible Trump nous réserve autre chose en échange de « son » aide, un autre programme qu’on ne va sûrement pas tarder à connaître. Il est communément admis que le 45e et 47e président des Etats-Unis est un redoutable homme d’affaires qui ne donne rien pour rien. Dorénavant, il faudra donc prévoir une monnaie d’échange à cette aide si précieuse.
Et que pourrait proposer la Tunisie à Trump qui puisse le convaincre de l’équité de la transaction ? Car, oui, Trump a promis aux Américains, dans son discours d’investiture, qu’il mettrait un terme à l’injustice dont est victime l’Amérique dans ses échanges avec les autres pays, dont la Chine, l’Union européenne et d’autres. Il s’agit là, bien sûr, d’échanges commerciaux et d’investissements mais quand on est un brillant homme d’affaires et en même temps un puissant chef d’État, tout devient monnayable, y compris les relations bilatérales et internationales ainsi que la géopolitique. Sommes-nous prêts à payer le prix de notre souveraineté ? En avons-nous les moyens ? Sûrement pas. La souveraineté n’a pas de prix, ça ne s’achète pas, ça s’assume et ça s’exerce. Et de diverses façons. Celle qui nous sied le plus en tant que Tunisiens, qui répond simultanément à nos moyens et à nos aspirations, c’est de ne compter que sur nous-mêmes et sur une coopération avec les pays amis et partenaires qui sont disposés à travailler avec nous sans nous imposer de « factures » impayables, une collaboration dans le cadre du respect mutuel de la souveraineté et des choix nationaux. Compter sur nous-mêmes implique une mobilisation nationale pour redresser notre économie par le travail, la productivité et l’abnégation, pour assainir notre climat des affaires et notre cohésion sociale, pour ouvrir la voie à un dialogue national franc sur les questions qui minent notre climat politique et hypothèquent notre jeune démocratie et pour, également, œuvrer à l’édification d’une solidarité nationale à toute épreuve. Bien sûr, ce discours peut sembler utopique dans les circonstances internes actuelles, même s’il nourrit bien des espoirs ici et là. Peut-être sera-t-il réalisable dans un futur plus ou moins proche. Mais pour le moment, il ne tient pas la route pour ce qui concerne le retour ou non de l’aide américaine quand on a affaire à un gendarme du monde qui promet « l’enfer au Proche-Orient » si ses desiderata ne sont pas respectés. Rien que ça. Et dans le cas d’espèce, Trump ne s’attend pas à moins que « Gaza soit nettoyée » de ses habitants, comme il l’a proposé le week-end dernier au Roi de Jordanie et au président égyptien, sous prétexte que l’enclave est entièrement démolie et que les Gazaouis ont besoin d’être relogés ailleurs, « provisoirement ou plus longtemps », comprendre indéfiniment. En d’autres termes, ce que l’armée israélienne n’a pas pu obtenir par le biais des 15 mois de guerre sanguinaire —le déplacement des Palestiniens hors de Gaza —, Trump compte le réaliser en faisant pression sur les pays arabes pour accueillir les Gazaouis et, aussi, pour reconstruire Gaza.
Selon des fuites médiatiques palestiniennes, la Tunisie (l’Algérie et la Turquie seraient aussi sur la liste) aurait déjà fait une concession, elle aurait accepté d’accueillir des prisonniers palestiniens condamnés à de lourdes peines et libérés dans le cadre de l’accord de cessez-le-feu et dont Israël a exigé l’éloignement. Ce qui est tout à fait faisable et même souhaitable afin d’aider nos frères palestiniens victimes d’un apartheid sioniste depuis de nombreuses décennies et dès lors qu’il n’a pas été possible de les aider plus tôt quand les bombes pleuvaient sur leurs têtes et quand la faim et la soif tiraillaient leurs entrailles. Que faire de plus pour récupérer l’aide américaine ? Que faire de plus pour Trump —en supposant qu’il faille faire quelque chose pour avoir la paix — sinon prier pour que celui-ci s’occupe du Groenland, du Canada, du Canal de Panama, du Mexique, de la Chine, de la paix en Ukraine et oublie les Accords d’Abraham ? Sinon, il faudra espérer que les dirigeants arabes comprennent enfin que leurs divisions, leurs divergences et leurs guerres fratricides hégémoniques préparent l’enfer qui n’épargnera aucun bout de l’ensemble du monde arabe.
La montée vertigineuse de l’islamophobie dans le monde occidental n’est pas un hasard et ne vient pas de nulle part, le foyer de l’incendie a déjà pris et il ne va pas s’arrêter en si « bon » chemin.

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