Tunis andalouse : Senteurs d’un autre temps

Par Alix Martin

2014 a été l’année de la gastronomie tunisienne. Aussi, avons-nous décidé de développer cette idée intéressante qui n’a pas été « exploitée ».
Et si, en ces temps froids d’hiver, nous organisions une journée douillette puis gourmande au cœur de Tunis ? Nos lecteurs accepteraient-ils de nous suivre dans La médina à la recherche des monuments andalous avant de s’assoir pour déguster des mets typiques ? Si l’on demandait aux cuisiniers de restaurants réputés ou aux propriétaires de belles maisons d’hôtes de nous préparer un repas andalou, nous sommes certains qu’ils accepteraient !

Jusqu’à Dar Othman
Un matin, pas trop tard, avant que la foule n’envahisse La médina, on se dirigera vers Bab Menara disparu. On y entrera par la rue du Château, en partie couverte de voûtes. Le bas des murs de la mosquée El Ksar en pierres de taille surprend. Toute sa construction reflète ce parti pris : elle faisait, sans doute partie du mur d’enceinte disparu. En tout cas, elle participait à la défense de La médina. Son minaret, de section carrée, d’inspiration hispano-maghrébine est construit en petites pierres. Il est composé de trois « registres » dont le deuxième est orné d’un panneau à décor géométrique formé d’incrustations de marbre noir et de terre cuite émaillée très décoratives. Deux baies, étroites et élégantes, en arc surhaussé, encadrées d’entrelacs, occupent le 3e registre.
Sur la place du Château, on ne se laissera pas tenter par la splendide Dar Hussein. On ira tout de suite vers Dar Haddad qui est, sans doute, l’un des plus anciens palais de La médina. Au début du XVII-XVIIIe siècle, il appartenait à Saïd El Haddad El Andaloussi, riche fabricant de chéchia. L’originalité du plan du bâtiment et des solutions architecturales ainsi que sa décoration sont remarquables.
Puis, on « descendra », vers le Sud, la rue des Andalous. Elle nous laisse une impression mitigée : on l’aurait souhaitée mieux entretenue de façon à « attirer » les visiteurs. Tant pis ! C’est dommage : elle a tout pour plaire !
Chemin faisant, on bavarde, on découvre que les « merguez » sont d’origine andalouse ainsi que le « djèj Amrous » : un poulet en morceaux cuit avec un peu d’oignon et de la coriandre puis assaisonné d’un mélange de lait, d’œuf et d’un peu de levain. On suit une petite carriole en humant les parfums de fromage frais et de « lablabi » qui s’en dégagent.
Un autre « marcheur » évoque le « zabzine » qui est une « m’hamsa » de la taille d’un pois chiche, cuite avec de la coriandre et un oignon, puis, avec des morceaux de fromage.
Cela nous conduit à un ensemble magnifique mais qui n’est pas andalou : Tourbet El Bey, Dar Ben Abdallah : le musée des traditions et des Arts populaires qui mérite une longue visite, la Mosquée des teinturiers et enfin Dar Othman : notre but.
La beauté et la richesse de la décoration de cet élégant palais sont remarquables. Il a été construit pour Othman Dey (1594-1610) qui a accueilli les Andalous chassés d’Espagne. Son architecture hispano-maghrébine, sa décoration de stucs ouvragés, les boiseries peintes des plafonds, sa façade monumentale, l’emploi généralisé de marbre blanc « souligné » par des incrustations de marbre noir sont indéniablement magnifiques.
Dans une telle demeure, que pouvait-on manger, « déguster », dirions-nous ? Des mets délicats, sans conteste ! Par exemple : un agneau farci aux volailles, plat de rois ? Plus simplement, un « Yahni » : ragoût de viande de veau à l’aubergine et à la courge, assaisonné de cumin, de gingembre, de coriandre, d’ail, d’oignon, de feuilles « trouj » et d’une branche de fenouil. Couper l’aubergine, en 4 morceaux sans les séparer. Puis, ajouter du safran, de la courge, l’aubergine et la viande. Ensuite, après cuisson, ajouter du vinaigre, de la cannelle, du gingembre et la moelle des os et verser le tout sur des petits morceaux de pain.
« C’est trop compliqué » ! En suivant la rue de l’Ariane – quel nom curieux ! – on revient rue Tourbet El Bey pour passer devant un atelier de tissage qui n’a jamais été fermé depuis le XVIIe siècle. La porte d’entrée est magnifique. Cet édifice cache les secrets d’un artisanat masculin qui mêlait à la soie, les fils d’or et d’argent ! Pourquoi laisse-t-on disparaître cet artisanat, d’art, dirions-nous ?
Tournons dans la rue du Trésor et arrivé au souk El Blat, allons voir la mosquée El Ichbili : du Sévillan dont le minaret superbe, construit au XIVe, domine un petit oratoire intéressant.
Depuis le Souk El Blat, on peut, soit vers « les trois médersas » qui, même si elles ne sont pas andalouses méritent au moins un coup d’œil, soit par la rue Jemaä Zitouna, « remonter » jusqu’à la Grande Mosquée.

Tunis Dar Othman

Après le Jamaâ Zitouna
Bien sûr qu’elle est très belle mais il faut une permission pour pouvoir la visiter. Nous resterons dehors pour admirer le portique construit au XVIIe siècle : œuvre de l’architecte Ibn Ghalib, originaire d’Espagne.
En nous retournant, nous regretterons que les fruits secs délicieux que vendaient les marchands du souk El Fekka, aient été remplacés par des babioles laides d’origine étrangères.
Le souk El Attarine nous attend. D’un côté, les corbeilles capitonnées ornent les devantures. De l’autre côté, de minuscules échoppes offrent des parfums traditionnels : musc, ambre, civette, le santal, la girofle, la myrte et cette pâte brune dont le secret est gardé dans les familles. Une dame âgée nous a dit, un jour, que « Seule l’essence du jasmin pouvait raviver son parfum » ! L’essence du jasmin et de rose : parfums « paradisiaques ». Le docteur Gobert a écrit que « les parfums traditionnels moulaient la femme tandis que les arômes fleuris, modernes, s’envolaient derrière elle comme … un chèque sans provision » !
Là-haut, nous arrivons au « quartier ottoman ». Dommage, la porte était fermée, nous n’avons pas pu voir la superbe fontaine appelée « Midèt El Soltane ». Les magnifiques mosquées de Hammouda Pacha et de Youssef Dey nous consolent.
Le souk des « Chaouachi » : fabricant de chéchia nous retient un grand moment. D’abord pour nous reposer dans un café calme, et bavarder de nouveau. Certains d’entre nous vantent les recettes andalouses du thon au four, les ragoûts aux tripes et aux abats. D’autres n’avaient pas assez de qualificatifs pour évoquer le couscous au kaddid, la qlaya et surtout le « Berkoukech » au poulpe, aux sèches et à l’« ouzef ». Assez ! Ce sont la matinée qui avance et la faim qui font parler les bavards !
Arrêtons la polémique, l’art de la chéchia est andalou et c’est dommage qu’on lui préfère la « casquette américaine ». Mais hélas, nous avons manqué de temps pour admirer la Tourba de Youssef Dey. Ventre « affamé » n’a pas d’oreille !
Par le « marché aux esclaves » aux colonnes torses vertes et rouge, le « Café Mnouchi » presque dissimulé et le souk El Berka : celui des bijoutiers, scintillant comme il se doit, nous gagnons celui des selliers. Quel dommage qu’on ne fabrique plus ces « selles arabes » brodées qui allaient si bien aux chevaux locaux : arabes et berbères. Les plus beaux du monde, à notre avis !
Une tombe a été construite au milieu de la rue : celle d’un seigneur Khorassan et à la sortie, le mausolée moderne d’Abdallah Torjman, un prêtre chrétien, majorquin d’origine et converti à l’Islam, nous parle de la « civilisation méditerranéenne ».
En repartant vers le parking, certains ont encore évoqué les pâtisseries andalouses qui, parait-il, sont délicieuses. Nous nous sommes donnés rendez-vous pour un dîner gourmand et complètement andalou.

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