Tunisair a subi depuis 2011 trois chocs profonds qui ont bouleversé son bon fonctionnement et détérioré ses équilibres et sa rentabilité.
D’abord, la réintégration des filiales dans la société-mère, d’où un alourdissement insupportable des charges financières. Ensuite, la crise du secteur touristique qui représente 60% de l’activité, surtout après les attentats de 2015. Enfin, la perte du marché libyen autrefois prospère qui a frappé de plein fouet la compagnie.
Autant de facteurs négatifs qui ont engendré des modifications profondes du plan de flotte, conclu en 2008 avec Airbus, qui devait rénover sur dix ans la totalité du parc de Tunisair.
Tunisair saura-t-elle rebondir comme souvent depuis 70 ans, après avoir connu des difficultés conjoncturelles, et redevenir l’un des fleurons de notre économie ?
Son PDG, Ilyes Mnakbi, « invité de la semaine » de Réalités, donne un éclairage sur la compagnie et répond à toutes nos questions. Interview.
Tunisair a été l’initiateur quant à la reprise de plusieurs marchés touristiques en Europe et l’accroissement de l’activité sur les destinations africaines
Depuis plusieurs mois, Tunisair enregistre des performances au niveau du nombre des passagers transportés et du taux de remplissage des avions. Pour autant, peut-on dire que la compagnie est sur une courbe ascendante?
Tunisair a enregistré une croissance très importante de 23 mois successifs (2017/2018) en transportant 800 000 passagers de plus qu’en 2016, démontrant ainsi la capacité de notre compagnie à se développer malgré une conjoncture économique très difficile. Par ce développement, Tunisair a été l’initiateur quant à la reprise de plusieurs marchés touristiques en Europe et l’accroissement de l’activité sur les destinations africaines.
Tunisair connaît un déficit chronique depuis plusieurs années. N’est-il pas temps qu’elle renoue avec l’équilibre financier pour ne pas disparaître? Avec un sureffectif de 1300 agents, comment relever le défi de la rentabilité?
La compagnie a connu une baisse importante de ses recettes suite aux événements vécus par la Tunisie depuis 2011, dont principalement la baisse de l’activité touristique et la suspension du marché libyen depuis 2014 (500 mille passagers transportés annuellement et un chiffre d’affaires de plus de 100 millions de dinars). D’un autre côté, la masse salariale a augmenté suite à la titularisation des agents contractuels, l’intégration des employés de la sous-traitance et la réintégration des agents licenciés. L’année 2019 est plutôt prometteuse côté trafic passagers. Mais il est plus qu’urgent de concrétiser les axes de notre plan de redressement afin de sauver la saison Eté 2019, rétablir les équilibres financiers et maîtriser les charges de la compagnie à l’horizon 2020.
Le plan de restructuration de la compagnie vise essentiellement à rétablir ses équilibres financiers, améliorer ses paramètres de productivité et sa qualité de service tout en développant la synergie entre TUNISAIR et ses filiales.
Le plan de restructuration de la compagnie s’inscrit comme une priorité absolue dans le cadre de la restructuration des entreprises publiques et devait être adopté au cours du premier trimestre 2019. Quels sont les grands axes de ce plan et quels sont les moyens qui vont être mobilisés pour sa mise en œuvre?
Le plan de restructuration de la compagnie vise essentiellement à rétablir ses équilibres financiers, améliorer ses paramètres de productivité et sa qualité de service tout en développant la synergie entre TUNISAIR et ses filiales.
Sur le plan commercial, Tunisair compte consolider son réseau long courrier en augmentant le nombre de vols sur Montréal et à travers l’ouverture de nouvelles lignes, à savoir New York et la Chine. De nouvelles destinations africaines sont également prévues afin de développer notre activité sur la plateforme de Tunis-Carthage et de renforcer nos liens économiques avec les pays africains.
D’autre part, nous prévoyons l’ajustement du plan de flotte avec l’intégration des 5 nouveaux avions de type A320 neo commandés en 2008 auprès d’Airbus et qui seront livrés en 2020 et 2021 dans le cadre d’une opération de Sale and Lease-Back. Ces appareils pallieront le retrait entre 2019 et 2022 de 5 appareils âgés de plus de 25 ans. De plus, Tunisair compte renforcer sa flotte à partir de l’été 2020 en affrétant 3 appareils pour une période de 6 ans (deux moyens-porteurs et un gros-porteur identiques aux nôtres).
Le plan de redressement est basé également sur la restructuration financière de la compagnie qui vise le rétablissement de ses équilibres financiers à travers l’augmentation de son capital, la limitation de l’endettement par le recours au leasing des avions, le soutien de l’Etat à travers des mesures fiscales et l’accélération du recouvrement des créances auprès des organismes publics. De plus, un programme d’allègement des effectifs du groupe Tunisair concernera 1 146 agents.
La recapitalisation est-elle à l’ordre du jour pour que la valeur de l’action en bourse soit plus crédible?
Il est important de noter que la recapitalisation d’une société n’a pas pour objectif de donner plus de crédibilité à la valeur de son action. Cette valeur est crédible de fait puisqu’elle résulte des règles de fonctionnement du marché.
Pour Tunisair, la recapitalisation fait partie aujourd’hui des priorités du plan de redressement avec pour objectif le rétablissement des équilibres financiers et ce, moyennant, essentiellement le renforcement des ressources propres.
Le capital de la compagnie représente près de 8% de ses actifs immobilisés et près de 13% de l’endettement à long terme. La dernière augmentation de capital en numéraire remonte à 1984, les augmentations ultérieures ont été réalisées au moyen d’une incorporation de réserves. Avec la stagnation du capital depuis 2009, la compagnie est devenue clairement sous-capitalisée.
La concrétisation d’une recapitalisation dans le cadre du plan de redressement ne pourrait être perçue par les investisseurs que positivement et ne pourrait avoir qu’un effet favorable sur la valeur de l’action «Tunisair» en bourse.
La multiplication et l’allongement des retards sur plusieurs vols quotidiens ont nui à l’image de Tunisair. Quelles solutions avez-vous retenues pour réprimer cette tendance?
Afin d’éviter les retards dus aux opérations au sol, Tunisair Handling s’est engagée à:
* Renforcer l’effectif chargé du traitement des bagages au départ et à l’arrivée et du nettoyage des avions.
* Poursuivre le renouvellement du matériel roulant et de servitude déjà entamé depuis l’été 2018.
* Elargir la liste des hôtels conventionnés pour l’hébergement des passagers en cas de retard important.
Dans le cas de retard annoncé, informer les passagers à travers notre Call Center par l’envoi de SMS / appels téléphoniques / e-mails.
TUNISAIR met en place une stratégie avec les différents intervenants (ministère du Transport, OACA, ministère de l’Intérieur, Douanes…) Le nombre de vols a baissé considérablement, mais c’est un travail continu.
Le vol des bagages des passagers a entaché la réputation de la compagnie. Où en est cette affaire? Combien d’arrestations ont-elles été effectuées et y a-t-il eu des licenciements? On dit que chez les bagagistes, il y a plus de chefs que d’agents. Y avez – vous remédié?
TUNISAIR met en place une stratégie avec les différents intervenants (ministère du Transport, OACA, ministère de l’Intérieur, Douanes…)
Le nombre de vols a baissé considérablement, mais c’est un travail continu.
La flotte a vieilli et le programme ambitieux de renouvellement établi en 2008 a été révisé plusieurs fois. Faut-il comprendre que l’affrètement d’avions est un moyen de substitution à l’acquisition d’avions neufs avec les avantages et les inconvénients que cela comporte ?
Effectivement, la compagnie a été obligée de réviser son plan de flotte pour s’adapter à la baisse du trafic suite aux attaques terroristes de Sousse et du Bardo en 2015 et aux difficultés financières qu’elle rencontre et ce, en annulant des commandes et en reportant les livraisons des avions au-delà de 2020. Par ailleurs, la compagnie a recours à l’affrètement d’appoint afin de soutenir son programme commercial de l’été. Elle était contrainte depuis 2017 d’augmenter les affrètements saisonniers afin de pallier les immobilisations techniques prolongées de nos appareils vieillissants et qui engendrent un retard de leur disponibilité suite à la difficulté d’approvisionnement du stock de rechange auprès de nos fournisseurs à l’étranger, exigeant de plus en plus un paiement à l’avance de leurs commandes.
D’autre part, et afin d’accompagner la reprise de la demande touristique sur la Tunisie et le développement prévu de notre réseau moyen et long courrier, Tunisair compte renforcer sa flotte à partir de l’été 2020 en affrétant pour une période de 6 ans 3 appareils (2 moyens-porteurs et 1 gros-porteur). Il est évident que les locations d’avions pour une longue durée sont beaucoup plus économiques que les affrètements saisonniers.
D’ailleurs, la démarche du leasing longue durée a été adoptée par notre compagnie comme un axe majeur du plan de redressement préconisant le recours au Sale and Lease Back lors de l’introduction des 5 A320 neo commandés chez Airbus et ce, à travers des contrats d’affrètement avec des compagnies de leasing sur une période de 12 ans. Cette approche stratégique est de nos jours largement utilisée par les compagnies aériennes et représente plus de 50% des livraisons d’avions. En comparaison avec l’approche d’acquisition, elle permet de réduire le recours aux crédits et offre plus de flexibilité pour renouveler la flotte.
La saison touristique 2019 s’annonce sous les meilleurs auspices et le ministre en charge du secteur annonce des chiffres records à atteindre. Que va faire Tunisair pour répondre à une demande qui s’annonce importante pour contribuer à la réussite de la saison touristique en général, et aux demandes spécifiques orientées vers le tourisme alternatif, saharien et au nord- ouest entre autres?
Pour le volet commercial, la compagnie a répondu favorablement à la majeure partie de la demande touristique par la programmation de vols charters sur la plupart des ces destinations tout en accordant une attention particulière à ce segment sur ses vols réguliers permettant ainsi la mise en place de capacités importantes sur la plupart des marchés touristiques.
Pour le volet opérationnel, nos équipes techniques travaillent nuit et jour pour assurer la disponibilité de nos avions en période de très forte demande ; en plus de ses moyens propres, la compagnie affrétera d’autres avions pour soutenir notre activité d’une part, et assurer de bonnes conditions de transport de ponctualité en cas de problèmes imprévus, d’autre part.
En quoi le statut d’entreprise publique est-il favorable à la compétitivité d’une entreprise qui évolue dans un contexte concurrentiel?
Tunisair évolue justement dans un cadre très concurrentiel et en mutation continue.
Les compagnies concurrentes sont dotées d’une grande flexibilité au niveau de la prise de décision et d’une meilleure réactivité, ce qui affecte indirectement notre compétitivité. Pour cela, un projet de décret spécifique a été élaboré dans le cadre de la restructuration de la compagnie permettant à Tunisair de se doter d’un mode de gouvernance axé sur les flexibilités offertes par l’article 22 TER de la loi 2006-36 du 12 juin 2006.
La vocation principale de Tunisair Express est et restera le transport domestique. Ce créneau ne sera pas affecté par l’ouverture du ciel.
Quelle réactivité de la part de la compagnie nationale face à l’instauration prochaine de l’Open Sky, même si l›aéroport Tunis Carthage ne sera pas concerné durant cinq ans?
Dans tous les pays ayant eu l’application de l’Open Sky, des mesures d’accompagnement ont précédé cet accord à tous les niveaux.
Compagnie aérienne : avec la réorganisation et la mise à niveau de ces compagnies par l’octroi même des subventions pour permettre cette mise à niveau pour Tunisair, nous avons préparé un plan de restructuration qui permettra à la compagnie d’alléger ses charges, pour être plus productive et mettre en place une politique tarifaire plus compétitive. Malgré le retard de l’exécution de ce plan indépendant de notre volonté, nous avons déjà entamé des actions dans ce sens par la concentration de notre activité sur trois aéroports uniquement et le délestage d’Enfidha. Sur certaines destinations en France, la mise en place d’un nouveau modèle basé sur la vente de billets sans bagages et beaucoup d’autres mesures, nous ont facilité la réalisation de cette croissance citée plus haut.
Infrastructure : malheureusement, notre infrastructure actuelle, à tous les niveaux, ne répond pas à cette nouvelle vision du transport aérien. A titre d’exemple, en arrivant même en plein jour dans certains de nos aéroports, un transport privé coûterait aussi cher qu’un billet d’avion! Faites l’exercice d’arriver à Enfidha à 21h00 le soir, aucun moyen de transport public n’est disponible, même chose à Tunis.
Face à l’agressivité des low- cost, Tunisair Express semble ne pas être outillée pour cela?
La vocation principale de Tunisair Express est et restera le transport domestique. Ce créneau ne sera pas affecté par l’ouverture du ciel. En effet, l’Open Sky va toucher le trafic international de Tunisair principalement sur les aéroports intérieurs de Djerba et Monastir qui constituent 10% de notre activité, l’aéroport de Tunis-Carthage étant exempté lors des cinq premières années à partir de la date d’entrée en vigueur de l’accord de libéralisation. Pour y faire face, Tunisair a multiplié les fréquences des vols au départ de Monastir et Djerba. De plus, nous comptons adapter nos produits aux attentes des passagers avec l’introduction des notions de packs (voyage avec ou sans bagages, choix du siège …).
Entretien conduit par Ridha Lahmar